Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 28 février 2013 à 15h00
Vote blanc — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Alain Vidalies :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, reconnaître le vote blanc dans la pratique du suffrage universel est une démarche d’importance, car elle est intimement liée à la notion même de démocratie représentative.

La reconnaissance du vote blanc n’est pas une question nouvelle, loin s’en faut. Elle est ainsi régulièrement évoquée par les associations comme par de nombreux citoyens intéressés, qui s’étonnent que leur bulletin blanc ne soit pas distingué des votes nuls. Un sondage récent indique d’ailleurs que pas moins de 69 % des Français estimeraient nécessaire de reconnaître le vote blanc aux élections.

À une époque où l’on scrute de plus en plus finement l’état de l’opinion comme les comportements électoraux, il peut paraître en effet surprenant que nous ne puissions pas connaître l’ampleur exacte du phénomène du vote blanc, ainsi que l’a souligné dans ses travaux M. le rapporteur.

Une réforme de notre droit électoral permettrait donc, selon les promoteurs du vote blanc, de reconnaître les électeurs dans leur diversité et de mieux prendre en compte l’expression de leur volonté. Dès les années soixante, de nombreux politologues – je pense à Alain Lancelot notamment – estimaient que le vote blanc était un acte intentionnel posé par des « électeurs très politisés », capables « de distinguer les nuances d’un choix et d’en peser les implications ».

On observe ainsi que le vote blanc et nul, longtemps compris entre 1 % et 2 % des inscrits, a tendance à augmenter dans des proportions importantes depuis la fin des années quatre-vingt, puisqu’il oscille désormais entre 4, 4 % et 6, 5 %, selon la nature des scrutins. Ce phénomène nouveau est parfois analysé par les spécialistes de sciences politiques comme une « abstention participative » ou une « abstention civique ».

Nos concitoyens sont sensibles à l’adaptation de notre droit électoral aux réalités nouvelles du pays, à ses aspirations à une meilleure représentativité. Cette préoccupation trouve, je crois, un écho à l’occasion de nos échanges aujourd’hui sur le vote blanc, comme dans les projets de loi du ministre de l’intérieur actuellement en discussion devant le Parlement.

La reconnaissance du vote blanc n’est pas une question nouvelle, je le répète. Elle plonge ses racines dans l’histoire institutionnelle de notre pays.

Si le 18 ventôse an VI, c’est-à-dire le 6 mars 1798, fut votée une loi autorisant le vote blanc, au moment même où le vote par bulletin était systématisé, il est étonnant de relever que cette reconnaissance n’a jamais fait l’objet d’un débat parlementaire approfondi avant 2003, alors même que de nombreuses propositions de loi sont régulièrement déposées sur ce thème.

Depuis le décret impérial du 2 février 1852, qui est, en un sens, l’ancêtre de l’article L. 66 du code électoral datant de 1969 et encore aujourd’hui applicable, des dizaines de propositions ont été déposées tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Songez que les premières remontent à 1880 !

Plus récemment, au Sénat, on a pu relever les contributions de MM. Roland Courteau, Yves Détraigne, Ladislas Poniatowski, Hubert Haenel ou Daniel Dubois, notamment, toutes cosignées par de nombreux autres sénateurs.

Cette question trouve également un écho en dehors de nos frontières. Je voudrais rappeler à titre liminaire que, en dépit des nombreuses critiques sur ce qui est considéré comme une anomalie de la démocratie, il convient, mesdames, messieurs les sénateurs, de relever que la France est loin d’être le seul pays à ne pas admettre le vote blanc.

En Europe, trois pays reconnaissent ce bulletin vierge : la Suisse, tout d'abord, qui comptabilise les bulletins blancs aux premiers tours des élections au scrutin majoritaire ; l’Espagne, ensuite, si elle considère le vote blanc comme « valide » à tous les scrutins, refuse que celui-ci soit traduit en sièges ; la Suède, enfin, ne reconnaît le vote blanc que dans certaines élections, notamment les référendums.

Certains parlementaires, encore très récemment, ont d’ailleurs pu estimer nécessaire, pour accompagner cette reconnaissance du vote blanc, de rendre obligatoire la participation des citoyens aux scrutins et d’envisager d’autres mesures incitatives de cet ordre.

Comme la question du vote blanc, la question du vote obligatoire est récurrente. Elle sera à n’en pas douter, le moment venu, de nouveau discutée et évaluée.

S’il est exact qu’une telle obligation n’est pas complètement étrangère à la tradition française, comme le montre l’exemple du mode de scrutin présidant à l’élection des honorables parlementaires de la Haute Assemblée – les grands électeurs qui s’abstiennent sans raison valable encourent en effet le paiement d’une amende de 4, 57 euros ! –, force est de constater que, dans les pays où le vote est obligatoire, les résultats ne sont pas si convaincants. Il reste toujours, quel que soit le système, un taux incompressible d’abstention qui oscille, selon les cas et les scrutins, entre 5 % et 15 % des inscrits.

Monsieur le rapporteur, vous avez souligné à juste titre que le vote blanc et l’abstention ne se confondent pas, même s’ils se superposent parfois. Rien ne permet de conclure à un phénomène mécanique qui pourrait être jugulé de façon automatique et significative par une simple reconnaissance du vote blanc. Je crois sage, mesdames, messieurs les sénateurs, de devoir le rappeler.

Le vote blanc n’est pas uniquement l’expression de gens indécis, indifférents ou sans opinion. Il n’est pas non plus confondu avec les erreurs matérielles, volontaires ou involontaires, qui caractérisent le vote nul. Le message formulé par des citoyens qui se sont déplacés pour accomplir leur devoir électoral ne peut être considéré comme négligeable.

Une élection démocratique n’est pas une simple mesure de l’opinion. Un scrutin n’est pas un sondage, car on ne vote pas pour soi, mais dans l’intérêt de la société. La finalité des consultations demeure la désignation d’un ou de plusieurs représentants, ou la réponse à une question, ainsi que vous l’avez relevé lors de vos échanges en commission.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le vote blanc a également une valeur contestataire, et sa croissance inquiète. Il heurte la conception traditionnelle du suffrage, selon laquelle des élections doivent permettre de sélectionner les responsables publics.

Dans ce contexte, la problématique et l’alternative peuvent être formulées en des termes simples : Vaut-il mieux reconnaître le vote blanc comme une forme d’exutoire civique et élargir ainsi l’offre politique, ou bien encourager une expression protestataire nettement plus périlleuse pour notre démocratie représentative ?

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