Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, cher François Zocchetto, mes chers collègues, l’examen de la présente proposition de loi tendant à reconnaître le vote blanc nous impose de conduire une réflexion méthodique.
En premier lieu, il est nécessaire de nous accorder sur la définition du vote blanc, puis sur sa signification, afin de lui donner une substance juridique.
Passé ces deux préalables, il nous sera possible de passer à la seconde étape de notre réflexion, c’est-à-dire de nous interroger sur la place que nous devons et pouvons accorder au vote blanc dans le code électoral, tout en gardant en tête deux impératifs constitutionnels : la protection de l’expression pluraliste des opinions et l’élection des élus de la République à la majorité des suffrages exprimés.
Qu’en est-il donc, d’abord, de la définition du vote blanc, de son origine et de son sens profond. Pour ma part, je ne vous ferai pas grâce du rappel historique ; au demeurant, madame Lipietz, j’observe que vous n’avez finalement pas résisté à la tentation de vous livrer à un tel exercice. §
Le vote blanc est un concept ancien qui, dans le cadre de la République française, remonte à l’an VI, comme l’a rappelé M. Zocchetto, c’est-à-dire à 1798, date à laquelle une loi en reconnaissait l’existence tout en systématisant le vote par bulletin. Après avoir disparu, il fut rétabli sous le premier Empire avant de disparaître à nouveau. C’est donc au gré des besoins de l’histoire que le législateur se confronte régulièrement à cette question.
Quel est le sens de cette interrogation aujourd’hui ? Que signifie le désir de comptabiliser le vote blanc et de l’intégrer aux suffrages exprimés ?
Le besoin de reconnaissance du vote blanc, et donc de sa différenciation d’avec le vote nul, augmente en proportion du sentiment d’insatisfaction vis-à-vis de la classe politique. Or ce sentiment d’insatisfaction est de deux natures : il peut traduire soit l’absence de pluralité de l’offre, qui pousse l’électeur s’étant déplacé à ne pas faire de choix, soit le sentiment de défiance vis-à-vis des appareils politiques en général.
Celui qui vote blanc est donc potentiellement l’auteur de deux messages distincts : je ne suis pas satisfait par l’offre proposée ; je ne crois pas en la sincérité des offres.
Peut-on légitimement considérer que ces postures sont infondées ? Ce sentiment est-il uniquement le fruit d’une société qui doute de tout, y compris d’elle-même ? Non, et le moins que l’on puisse faire est justement de ne pas enlever au citoyen le droit de nous envoyer un message.
La démarche qui tend à une plus grande reconnaissance du vote blanc est d’autant plus fondée qu’elle permet de garantir la libre expression de la pluralité des opinions.
Si le système politique n’autorise pas la représentation de sensibilités singulières au motif que le code électoral et le système politique, par nature, ne favorisent pas l’émergence de partis, courants ou individus en décalage avec le monde politique et médiatique, il devient alors impératif de considérer le vote blanc comme l’expression d’un sentiment, et même d’un message politique. Or cette reconnaissance n’existe pas aujourd’hui.
Nous sommes tous d’accord, dans cette assemblée, pour reconnaître le caractère politique du vote blanc. À présent, il nous faut savoir comment cette absence de reconnaissance se matérialise, car l’état actuel du droit en matière de vote blanc nous indiquera comment lui donner une substance juridique.
Deux raisons ou plutôt deux barrières expliquent la non-reconnaissance du bulletin blanc : la première est qu’il n’y a pas, aujourd’hui, de distinction entre le vote nul et le vote blanc ; la seconde est que le vote blanc n’est pas intégré dans le décompte des suffrages exprimés. Or cette intégration est de fait impossible si l’on considère que le vote blanc équivaut au vote nul.
Ainsi, la reconnaissance du vote blanc comprend deux degrés distincts : tout d’abord, la différenciation des votes blancs et des votes nuls – le vote blanc est aujourd’hui assimilé de fait à une erreur ou à une volonté de ne pas se soumettre aux règles régissant le scrutin –, ensuite, l’intégration du vote blanc dans les suffrages exprimés.
Nous verrons le degré de reconnaissance qui doit être institué en la matière. En attendant, il nous faut opérer une distinction entre vote blanc et vote nul, comme le prévoit d’ailleurs le texte de cette proposition de loi.
Le vote nul ne peut s’expliquer que de deux façons : soit par la maladresse de l’électeur qui a introduit, par exemple, deux bulletins dans l’enveloppe, soit par sa volonté de ne pas se soumettre aux règles régissant le scrutin. Dans ce dernier cas, il inscrira, par exemple, des signes de reconnaissance ou des injures sur son bulletin, ou bien il n’exprimera pas clairement son suffrage, comme cela peut arriver dans les scrutins de liste. Et là, je ne parle évidemment pas des fraudes.
Quelle que soit la raison de ce vote nul, il est sain d’opérer une distinction entre bulletins blancs et nuls, à la condition que le vote blanc, par convention, soit considéré comme l’expression d’une opinion, ce qui est traditionnellement admis en France.
Partant de ce postulat, il nous faut donc disposer d’éléments permettant de différencier le suffrage non exprimé qui contient un message politique, du suffrage non exprimé qui relève de l’erreur ou de la volonté de ne pas se soumettre aux règles du scrutin. Pour ce faire, et même si la volonté de ne pas respecter les règles du scrutin peut, dans une certaine mesure, être assimilé à un message politique, par commodité, il faut admettre une définition très large du vote nul et, en conséquence, une définition restrictive du vote blanc ou, du moins, une définition qui ne puisse faire l’objet d’aucune ambiguïté.
Nous avons vu que le vote blanc, qui doit faire l’objet d’une reconnaissance accrue dans la mesure où il peut s’agir de l’expression d’une opinion, peut et doit se définir de manière très précise. Pour cette raison, toute initiative visant à clarifier et encadrer ce type de suffrage doit être soutenue.
Reste la question de l’intégration des votes blancs dans la comptabilité des suffrages exprimés. Ce texte n’en fait pas mention. Sans doute faudrait-il prendre le temps de se confronter à toutes les questions que cela pose, en particulier celle de la modification de la Constitution, qui précise en son article 7 que « le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ».
Le passage de la majorité absolue à la majorité relative emporte de nombreuses conséquences sur lesquelles il n’est pas question de s’attarder aujourd’hui. Il me semble toutefois qu’il s’agirait là d’un horizon intéressant : nos institutions tiennent leur force de leur légitimité et la fiction de la majorité absolue commençant à s’effriter, sans doute faudrait-il l’ancrer plus clairement dans le réel, afin de la préserver.
Accepter la loi de la majorité, telle est la base de notre démocratie. En revanche, ne pas comptabiliser ceux qui disent non, c’est prendre le risque de voir se développer une défiance sourde et dangereuse à l’égard de nos institutions.
Mes chers collègues, nous devrions lire le vote blanc comme un thermomètre de la démocratie et non comme une vague fantaisie d’électeurs.
La dernière élection présidentielle nous offre un exemple concret : si les votes blancs avaient été intégrés aux suffrages exprimés, sans doute François Hollande aurait-il été conduit à plus d’humilité devant la victoire, sachant que son score aurait été ramené autour de 48 %. Cette vérité des chiffres ne retirerait rien à la légitimité de son élection, mais une mesure précise de la nature de la majorité ouvrirait la voie à davantage de finesse dans l’exercice du pouvoir.
En résumé, la question de la reconnaissance et de la comptabilisation du vote blanc pose de très nombreuses questions techniques. Ce texte constitue sans doute une première étape vers la reconnaissance de tous ceux qui, jusqu’à présent, ont été un peu trop rapidement glissés sous le tapis !
Toutefois, le message important que véhicule cette proposition de loi est qu’il existe une différence entre l’électeur qui reste au lit le dimanche matin et celui qui va faire la queue devant l’isoloir pour dire non.