Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 28 février 2013 à 15h00
Vote blanc — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour les partisans de la reconnaissance du vote blanc, le bulletin blanc prend concrètement la forme suivante : une feuille de papier blanc aux dimensions de l’enveloppe que l’on glisse dans celle-ci. Si l’on ne possède pas de ciseaux ou si l’on répugne au travail manuel, il suffit de plier la même feuille pour qu’elle entre dans l’enveloppe…

Voilà pour les modalités pratiques. Dans le temps qui m’est imparti, et dans un esprit républicain, je m’attacherai plutôt aux questions de fond.

M. le rapporteur l’a rappelé, le problème de la pleine reconnaissance du vote blanc est récurrent en France. Ce type de vote paraît être de plus en plus pris en compte par les électeurs, mais aussi par les élus. En témoigne la multiplication des propositions de loi allant dans ce sens déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat depuis le début des années quatre-vingt-dix, sans toutefois qu’aucune d’entre elles ait à ce jour abouti. La proposition de loi de François Sauvadet semble échapper à ce sort puisque, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, elle poursuit son chemin dans notre hémicycle.

Les débats à l’Assemblée nationale et au sein de la commission des lois ont mis en relief deux niveaux de revendications : la simple séparation comptable des bulletins blancs et nuls à l’issue du dépouillement ; au-delà, l’assimilation des bulletins blancs à des suffrages exprimés.

Pour ce qui concerne le premier niveau, il est certain que voter blanc et voter nul ne relève pas, a priori, de la même logique. En effet, si le vote nul peut correspondre à une maladresse de l’électeur, à la volonté d’exprimer un message ou encore au rejet de telle ou telle personne dont le nom sera biffé d’un trait sur le bulletin, le vote blanc est le plus souvent un acte raisonné.

Toutefois, mes chers collègues, les échanges avec nos concitoyens qui recourent au vote blanc, au vote nul ou même s’abstiennent font apparaître que, dans leur esprit, la distinction entre ces différentes attitudes à l’occasion d’un scrutin est peut-être beaucoup moins nette.

Il reste que, cela a été rappelé, le développement de l’usage des machines à voter conforte la spécificité du vote blanc par rapport au vote nul et la nécessaire dissociation qui doit être faite entre les bulletins blancs et les bulletins nuls.

La réponse au second niveau de revendication est plus complexe, car elle implique de cerner la signification du vote blanc aux yeux de son auteur. Or, je le disais, l’interprétation est très délicate puisque de multiples hypothèses doivent être prises en compte.

En effet, si le vote blanc peut être considéré, à la différence des bulletins nuls, comme la concrétisation d’un acte intentionnel et raisonné, il peut aussi être vu comme un outil manifestant l’hostilité à l’égard de la politique, un refus des candidats en présence ou encore une difficulté de choisir entre ces mêmes candidats. On a ainsi pu parler de la nécessaire prise en compte de cet « électorat mécontent mais civique » ou de ce « vote protestataire éclairé ». En tout cas, une chose semble sûre : le vote blanc ne traduit pas une simple indifférence à l’égard du scrutin.

L’abstention, quant à elle, n’est pas toujours l’expression d’une indifférence totale à l’égard du débat politique et des choix qui peuvent être faits.

Nous pouvons cependant considérer que le fait de se rendre dans un bureau de vote afin de glisser un bulletin blanc dans une urne marque un attachement indiscutable au processus électoral, au droit de vote.

Mais gardons-nous de l’idée politiquement correcte que traduit l’expression : « mieux vaut se déplacer, même si c’est pour ne pas s’exprimer ». En effet, que l’on vote blanc, nul ou que l’on s’abstienne, finalement, on renonce à choisir entre les solutions qui sont proposées, qu’il s’agisse d’un référendum ou d’élections.

La proposition de loi que nous examinons est-elle un véritable remède à l’abstention ? Si l’on considère que celle-ci est utilisée à défaut de vote blanc comme une réponse électorale à part entière, la consécration du vote blanc aurait pour vertu certaine d’attirer vers les urnes les électeurs en cause. Mais, là encore, rien n’est certain tant les motivations d’un tel vote peuvent être diverses.

En tout état de cause, mes chers collègues, ce texte ne saurait représenter « la » réponse à la crise de la représentation politique. La lutte contre les déséquilibres de notre régime, le sentiment de défiance d’une partie de nos concitoyens envers nos institutions supposent une véritable démocratisation de ces dernières, démocratisation que nous avons maintes fois proposée : revalorisation du rôle du Parlement ; juste représentation de la diversité des sensibilités politiques de nos concitoyens par le biais de la mise en œuvre du scrutin à la proportionnelle, garant du pluralisme démocratique ; réforme des assemblées parlementaires ; véritable décentralisation, permettant la démocratie participative et de proximité, favorisant la citoyenneté.

Le temps me manque et ce n’est pas forcément le jour ni la bonne heure – nous sommes d’ailleurs bien peu nombreux ! – pour évoquer en détail les faiblesses de la Ve République en ce début de XXIe siècle et la nécessité de la transformer pour répondre aux besoins démocratiques.

Certes, face à la crise grave et profonde de la représentation, reconnaître le vote blanc serait sans doute un moyen, parmi d’autres, de lutter contre l’abstention.

La réflexion que nous menons actuellement trouve bien évidemment parmi les membres du groupe CRC. À l’issue de notre débat, la prise en compte des votes blancs dans le calcul des suffrages exprimés restera posée et devra être étudiée. En effet, le décompte à part de ces votes n’a qu’une portée limitée. Comme cela a été rappelé, leur reconnaissance soulève des difficultés juridiques, mais cela ne doit nullement nous empêcher d’en débattre.

L’ampleur de cette réforme ne saurait conduire à écarter des pistes de réflexion modestes mais pragmatiques. C’est la raison pour laquelle les sénateurs du groupe CRC voteront la présente proposition de loi. §

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