Intervention de Michel Aglietta

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 mars 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Michel Aglietta candidat proposé par le président du sénat pour le haut conseil des finances publiques

Michel Aglietta :

Un avis doit être motivé, très motivé même, puisqu'il peut aboutir à rendre des corrections nécessaires. Cela suppose une analyse approfondie, qui tienne compte des travaux de l'ensemble des organismes se prononçant sur les données macroéconomiques.

Donner publiquement mon avis en tant qu'économiste me gênera moins que d'autres, car c'est sur l'économie mondiale que se penchent les organismes au sein desquels je collabore ; et mes analyses portent sur le long terme plutôt que sur la conjoncture. Il est vrai qu'il faudra être vigilant, car les sollicitations des journalistes sont puissantes. La difficulté n'est pas insurmontable...

J'en viens à la question des écarts par rapport au solde structurel. Il y a, par définition, des situations conjoncturelles. Un chômage massif avec d'énormes capacités de production inemployées est une situation atypique, dépressive. Alors - et c'est pourquoi je dénonçais la règle des 3 % - il faut accepter une flexibilité conjoncturelle. Flexibilité dans les deux sens, au reste, puisqu'en période de haute conjoncture, il faut dégager de l'excédent, ce que les gouvernements n'ont pas fait quand la croissance était élevée.

La croissance du PIB potentiel des Etats-Unis est resté constante depuis les années soixante, de 2,5 % à 3 %. Dans la zone euro, elle n'a cessé de baisser, décennie après décennie, au point que l'on ne dépasse pas 1,5 %. C'est pourquoi je parle de politiques de croissance.

L'exceptionnel par rapport au solde structurel, c'est par exemple une crise financière de longue portée. Seule l'Allemagne a retrouvé son niveau de production de 2007. En France, en Italie, et ailleurs, on en est loin. Là est le problème de fond. La Commission européenne le prendra-t-elle en compte ? A nous, aussi, d'affirmer qu'à la flexibilité de la conjoncture doit répondre une utilisation dynamique de la règle. Gardons-nous également d'en superposer d'autres qui n'ont pas de sens.

Deux méthodes d'évaluation de la croissance potentielle s'offrent à nous. L'une, statistique, par l'analyse des données temporelles dont on extrait une tendance, sachant qu'un cycle est aujourd'hui de l'ordre de cinq ans. L'autre, économétrique, porte sur la fonction de production. Le PIB résulte de ressources productives : travail, capital, technologie. C'est, pour moi, la meilleure méthode, appliquée dans les travaux de recherche. L'étude des facteurs de production est essentielle pour estimer la croissance à venir, même si elle n'est pas un élément de détermination du PIB actuel.

En matière de finances sociales, il faut se pencher sur la notion de dette sociale, celle de tous les citoyens vis-à-vis de la nation, et qui correspond à l'ensemble des biens et services publics qui constituent le vivre ensemble et la capacité de la société à se prolonger dans le temps. Une dette de tous, donc, avec les institutions pour médiateur. Ce qui est très différent de la dette privée. Lorsque la dette est détenue par les résidents, et si l'Etat n'est pas défaillant, cette dette publique représente un transfert intergénérationnel de l'impôt. De même, si l'on fait de l'investissement public, il est normal que ceux qui en bénéficieront le plus participent à son financement. C'est le sens profond de la dette publique, elle exprime une solidarité et ne saurait être traitée comme les finances privées.

Le problème central, en matière de protection sociale, est celui des retraites, qui opèrent bien un transfert intergénérationnel et une solidarité dans le temps. Le problème ne s'en pose pas moins de la soutenabilité des comptes sociaux, partie à la soutenabilité générale des finances publiques. La manière dont on agit aujourd'hui me semble la seule possible : une réforme progressive dans le temps, sans big bang. Cela est crucial pour préserver la cohésion nationale. On s'achemine vers un mix : une certaine augmentation de l'âge de la retraite, une certaine augmentation des contributions. J'ai toujours pensé, malgré tout, qu'il faudra redéfinir ce qui est contributif et ce qui ne l'est pas, pour ne pas faire peser la totalité de la dépense sur le rendement du travail. La Suède a ainsi fiscalisé la partie non contributive des dépenses sociales. Pour travailler beaucoup sur l'environnement, enfin, j'estime que la substitution de la taxe carbone aux exonérations de charges est excellente à long terme pour la croissance et la compétitivité. Le Haut Conseil pourra émettre des idées dans cette ligne.

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