Intervention de Michel Aglietta

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 mars 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Michel Aglietta candidat proposé par le président du sénat pour le haut conseil des finances publiques

Michel Aglietta :

La connaissance pratique de la finance m'a toujours semblée indispensable : c'est pourquoi j'ai travaillé pendant huit ans à la Banque de France dans le cadre de la préparation de l'Union économique et monétaire, pourquoi aussi j'ai ensuite travaillé dans d'autres organismes pour étayer mes travaux académiques. Sous ce rapport, certains économistes, membres du conseil d'administration de diverses banques, sont plus liés que moi !

Le Gouvernement et les journalistes pensent généralement qu'il n'y a pas d'incertitude. Ils veulent des chiffres précis, et accusent les économistes de s'être trompés lorsque la réalisation s'écarte ne serait-ce que de 0,1 % de la prévision. Il faut sortir de cette vision et adopter une démarche probabiliste, définir des fourchettes, voire admettre dans certains cas l'incertitude profonde, et conduire un débat contradictoire avec les différents organismes nationaux et internationaux qui produisent des chiffres - FMI, Commission européenne, OFCE, Insee, consensus des banques d'affaires - pour élaborer plusieurs scenarii. L'estimation de la croissance potentielle peut aussi être modifiée si des informations nouvelles l'exigent. En 2013 par exemple, tous les acteurs sans exception s'étaient mis d'accord sur une fourchette de croissance du PIB allant de - 0,2 % à 0,5 %. Tabler sur une croissance supérieure, c'était sortir de la prévision et faire du volontarisme politique - peut-être le Gouvernement a-t-il le droit de le faire, mais cela pose un problème de crédibilité. Le rôle du Haut Conseil est de faire admettre, sur la base des connaissances du moment, l'incertitude fondamentale qui domine dans cette matière, et donc la possibilité de faire évoluer les prévisions.

Les dépenses publiques subissent une dérive de long terme liée à l'effondrement de la croissance. Dans mon livre, je rapporte les dépenses de recherche et développement au PIB et compare les résultats obtenus depuis les années soixante dans différents pays. Le ratio s'est affaibli lentement mais sûrement dans deux pays européens : le Royaume-Uni depuis 1980, la France depuis 1995. L'Etat n'est pas en cause : ce sont les entreprises qui n'investissement pas assez dans la recherche et le développement. En outre, l'innovation bottom up est faible car nos entreprises ont un problème de croissance : trop peu de PME deviennent des entreprises de taille intermédiaire capables de conforter cette innovation. Autrement dit, nous n'avons pas, en France, de système suffisamment organisé pour favoriser l'innovation incrémentale au fur et à mesure de l'évolution de la concurrence, ce qui impliquerait de modifier le financement qu'on lui apporte.

Quand il s'agit d'une phase conjoncturelle, suivie d'un rebond, les difficultés peuvent être surmontées. Mais il ne s'agit nullement de cela : les capacités productives déclinent depuis 2005, ce qui entraîne une hausse du chômage et rend les dépenses sociales d'autant plus difficiles à financer. On ne peut en sortir sans un minimum de croissance.

Il y a donc à fiscaliser certaines dépenses qui ne relèvent plus de notre système de protection sociale bâti après la Seconde Guerre mondiale dans des conditions démographiques particulières. Sa nature corporatiste était justifiée. Elle doit désormais être transformée. D'autres pays y sont parvenus.

J'en viens à l'investissement public productif sur lequel le président Marini m'a interpellé. Le capital humain est crucial dans une économie de la connaissance. Or nous vivons toujours sur une comptabilité de flux, conçue pour une conjoncture où le PIB potentiel s'accroissait tout seul... Nous avons désormais besoin d'une comptabilité patrimoniale généralisée, pour redonner du poids au capital collectif. Il faut revenir à l'Adam Smith de la Richesse des nations, et considérer le capital total, y compris le capital collectif. La Banque mondiale, le FMI, pratiquent une telle comptabilité. Les Etats, quant à eux, ne sont pas aussi avancés, en dehors des comptes de patrimoine que présentent certaines annexes budgétaires. Cette logique doit être introduite dans nos conceptions de la croissance. C'est la raison pour laquelle je mets l'accent sur la recherche et développement et l'enseignement supérieur.

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