Intervention de Mathilde Lemoine

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 mars 2013 : 1ère réunion
Audition de Mme Mathilde Lemoine candidate proposée par le président de la commission des finances du sénat pour le haut conseil des finances publiques

Mathilde Lemoine :

J'ai commencé ma vie professionnelle comme enseignant-chercheur. Mon doctorat de science économique portait sur le sujet suivant : « la croissance des dépenses publiques : synthèse théorique et validation empirique ». A l'époque, mon directeur de thèse m'avait dit que c'était un sujet dépassé, qui ne me procurerait aucun emploi. Je me suis passionnée pour la théorie des choix publics. J'ai effectué un post-doctorat en économie de la santé et me suis spécialisée en macroéconomie internationale, à la Fondation nationale des sciences politiques puis à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) avec Jean-Paul Fitoussi. Après plusieurs passages en cabinet ministériel, je suis revenue à mes premières amours, la théorie des choix publics, en m'occupant aussi de fiscalité à Matignon.

Je suis donc spécialiste de théorie économique et de macroéconomie internationale. J'ai écrit un manuel sur le commerce international et ses évolutions théoriques. Depuis 2006, je travaille dans le secteur privé, à la tête de la direction des études économiques de HSBC France, et depuis 2007 à la direction de la Stratégie marchés de cette même banque : j'élabore les prévisions macroéconomiques des pays de la zone euro ainsi que celles de différentes variables, comme les taux de change et les taux d'intérêt. Je réalise également des études structurelles destinées à améliorer la compréhension des investisseurs des évolutions macroéconomiques. L'expérience du secteur privé m'apparaissait indispensable pour mieux comprendre les liens entre l'économie réelle et l'économie financière.

On sait désormais que les modèles de prévision classiques, ceux de la direction générale du Trésor par exemple, sous-estiment l'influence des évolutions financières. Récemment, les investisseurs ont ainsi considéré qu'il existait un risque systémique d'éclatement de la zone euro, ce qui a poussé à la hausse les primes de risque. Ce coût d'appartenance à la zone euro, dans tous les pays qui en sont membres, n'a pas été intégré dans les modèles macroéconomiques, ce qui a masqué son impact sur les comportements d'investissement. De façon symétrique, la réduction de la prime de risque systémique est aujourd'hui sous-estimée dans les prévisions, ce qui conduit à sous-estimer le rebond, certes modeste, des investissements en zone euro.

Les compétences en matière de statistique et de prévision importent moins que la connaissance théorique. La statistique en elle-même ne permet pas d'améliorer la compréhension des phénomènes économiques. La qualité de la prévision dépend d'abord d'une bonne analyse théorique, étayée en tant que de besoin par l'économétrie et la statistique.

En tant qu'économiste, je suis protégée au sein de HSBC par une « muraille de Chine ». La banque a en effet mis en place un certain nombre de dispositifs destinés à préserver mon indépendance dans le choix de mes sujets ou le traitement des résultats que j'obtiens. Je suis physiquement séparée des activités de marché. Je ne peux entrer en contact avec les vendeurs qu'en présence de responsables chargés du respect des procédures internes. Le respect de ces procédures très contraignant est vérifié par l'Autorité des marchés financiers (AMF). Le règlement intérieur de la banque est également très précis. En pratique, je suis libre de mes analyses. Les positions que j'ai pu défendre publiquement en matière d'immobilier, de corrélation entre les prix du pétrole et ceux de l'essence, ou mes prévisions macroéconomiques en témoignent, au point qu'il m'arrive de subir des pressions fortes de la part de certaines entreprises (y compris clientes de la banque) ou du Gouvernement. J'ai pu présenter des positions non consensuelles, HSBC ne m'a jamais demandé leur retrait.

L'appartenance au Haut Conseil posera-t-elle un problème dans ma situation, si je suis détentrice d'informations privilégiées ? Le règlement général de l'AMF est clair. Il dispose que les économistes ne peuvent utiliser de telles informations ni les communiquer, sous peine de poursuites judiciaires. Je ne pourrai donc publier quoi que ce soit sur la base d'informations qui n'auraient pas été préalablement rendues publiques.

J'ai du rôle du Haut Conseil une vision moins ambitieuse - peut-être à tort - que celle de M. Aglietta. Nous devons d'abord nous défaire de la cristallisation autour du taux de croissance, et mieux expliquer les hypothèses qui en sous-tendent l'estimation, afin d'éclairer les pouvoirs publics sur les conditions de réalisation de la prévision. Il y a plusieurs années, il a été demandé à l'Insee de publier le plus tôt possible des prévisions de croissance. Le débat public s'est peu à peu focalisé sur la prévision, au dixième de point près, de la croissance.

Je crois que le Haut Conseil doit émettre des avis sur les hypothèses retenues pour élaborer ces chiffres, car certaines ne sont pas si consensuelles ! Or les conséquences de ces prévisions sont très lourdes. S'il revient au seul Parlement de décider quel solde structurel doit figurer en loi de finances, le Haut Conseil peut l'éclairer en analysant les hypothèses sous-jacentes. Nul ne sait quel impact la crise actuelle et la destruction de capital qui s'opère auront sur le PIB potentiel. Le Haut Conseil ne pourra porter de jugement définitif, mais il suggérera des probabilités en fonction des précédents historiques - sans certitude. Il s'appuiera sur la théorie économique pour évaluer le PIB potentiel, ce qui inclut une interprétation des politiques menées et un avis sur leur impact probable.

Le même raisonnement vaut pour les dépenses sociales. Le Haut Conseil doit éclairer l'estimation que l'on retiendra de l'impact de la réforme des retraites, question appréciée diversement par la Commission européenne et le Gouvernement. D'autant que ce facteur intervient dans le calcul du PIB potentiel, donc sur le déficit structurel. Le Haut Conseil pourra mettre en lumière ce facteur et tester des variantes pour apprécier leurs conséquences sur la trajectoire de moyen terme. Le Haut Conseil devrait selon moi s'atteler à améliorer la compréhension des prévisions et des hypothèses retenues.

Dans le seul cas où les finances publiques s'écartent de la trajectoire fixée, le Haut Conseil pourra émettre et motiver des recommandations afin de réduire l'écart. Sa mission essentielle reste de dire, compte tenu de l'état des connaissances, quelle est la probabilité que les prévisions soient améliorées et comment le calcul doit être interprété.

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