Intervention de Michel Aglietta

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 mars 2013 : 2ème réunion
Audition de M. Michel Aglietta candidat proposé par le président du sénat pour le haut conseil des finances publiques

Michel Aglietta :

Je suis très honoré par le choix du président du Sénat. Vous savez que je suis universitaire, ainsi que consultant auprès du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) et de Groupama Asset Management, et rémunéré, à ce titre, sur des contrats de recherche en macroéconomie. Je n'ai ni d'appartenance politique ni d'intérêts financiers dans aucune société.

En tant que macroéconomiste, j'ai surtout travaillé sur le long terme. Je suis à cet égard un élève de Braudel : l'histoire longue est à mon sens la seule manière d'aborder la théorie de la croissance, dans une vision prospective. Ma thèse, publiée dans les années soixante-dix, a donné naissance à la théorie de la régulation, reconnue à partir des années quatre-vingt, et qui se veut une analyse de la coévolution des structures économiques et des institutions. Analyse que j'ai récemment appliquée à la Chine et qui a donné lieu, au terme d'un lourd travail mené avec une jeune économiste chinoise, à un ouvrage publié en septembre 2012.

La deuxième dimension de mon travail porte sur la monnaie et la finance. Je me démarque radicalement, cependant, de nombreux économistes, qui voient dans la monnaie une marchandise, vision à mon sens réductrice. J'ai dirigé deux séminaires à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui ont donné lieu à la publication de deux ouvrages, La monnaie souveraine et La monnaie révélée par ses crises. Concernant la finance, j'ai beaucoup travaillé sur les crises systémiques, l'instabilité intrinsèque de la finance, et les aspects macroprudentiels de la régulation.

Dernière dimension, enfin, l'économie internationale, objet de mes travaux au CEPII, qui engage une réflexion sur la globalisation financière, l'interdépendance, les taux de change et, à cette aune, sur l'économie européenne comme zone monétaire internationale. J'ai publié vingt-quatre livres, auxquels s'ajoute le dernier, Un New Deal pour l'Europe, écrit avec un jeune collaborateur.

A partir de 2010, j'ai dirigé un groupe de travail pour la Caisse des dépôts et consignations, dont est issu, en 2011, un rapport, Finances publiques : l'épreuve de vérité pour la zone euro, et qui a donné lieu à un colloque en 2012. Dans Un New Deal pour l'Europe, j'ai approfondi ce travail par une étude détaillée des multiplicateurs budgétaires, une étude dynamique de la consolidation de la dette publique et un examen des pièges de l'austérité dans une conjoncture de désendettement privé massif. Réflexion sous-tendue par deux questions : quelle union politique pour la zone euro ? Quelle croissance pour l'Europe ?

La Caisse des dépôts a voulu poursuivre l'étude en l'orientant à présent sur les solutions concrètes de consolidation des finances publiques. Je dirige donc un nouveau groupe de travail. Il s'agit de prendre en compte les différents modes de consolidation des finances publiques en différentes périodes historiques et dans différentes sociétés - nous avons déjà commencé à le faire pour la France depuis 1890 - dans l'idée de définir ce que sont les principaux vecteurs de consolidation dans différentes conjonctures macroéconomiques : solde primaire, écart entre taux de croissance et taux d'intérêt (le couple le plus efficace étant une relance de la croissance et une baisse des taux d'intérêt) ou dévaluation de la dette par l'inflation afin d'éviter les défauts... Les expériences contrastées des crises traversées, dans les années quatre-vingt-dix, par les pays scandinaves et le Japon nous ont donné des pistes quant aux solutions à rechercher. Elles vont, à l'opposé de ce qui a été retenu pour la zone euro, dans le sens d'une solution dynamique, via des politiques de croissance.

L'idée d'une règle budgétaire intertemporelle est bonne. Quand la dette publique a gonflé pour des raisons exogènes - crise financière et soutien étatique aux banques - se produit un « surgissement » des finances publiques, soit un transfert de la dette privée vers la dette publique, à l'image de ce que l'on observe à l'issue des guerres, pour contrer la menace de dépression. Voilà qui montre que le processus de consolidation est un processus intertemporel long. D'où la nécessité de lois de programmation intertemporelles qui indiquent aux acteurs la direction que suivront les finances publiques. Cela ne peut se faire que via un processus coopératif, dans le cadre des semestres européens, pour garantir que les Etats de la zone euro assumeront tous la même logique. Cela est crucial pour aller vers l'union budgétaire.

Le solde structurel est une variable construite. Ce qui se trouve derrière, c'est le produit intérieur brut (PIB) potentiel, soit le niveau du PIB correspondant à une utilisation efficace des ressources. Ce PIB potentiel est déjà calculé par les institutions internationales, par les banques centrales. Le solde structurel aussi, mais il a son talon d'Achille : les controverses possibles entre gouvernements nationaux et Commission européenne pour le définir, qui peuvent donner lieu à des discussions sans fin en cas de « déficit excessif ». Cela est même inévitable. Le solde structurel est mesuré sur un cycle entier, sur lequel la croissance potentielle peut être observée. Il faut être crédible sur ce type de variables.

Pour que cela fonctionne, il y faut plusieurs conditions, qui ne sont pas, aujourd'hui, réunies. En premier lieu, le six pack est contradictoire. Le solde structurel correspond à une vision dynamique, cohérente avec les caractéristiques de croissance du PIB ; or ce « paquet » renforce des règles arbitraires, comme celle du fameux 3 % de déficit budgétaire effectif ou le retour de la dette à un ratio de 60 % du PIB. Cela n'a pas de sens et la superposition d'éléments non pertinents risque de polluer la règle dynamique du solde structurel.

En second lieu, la contrainte d'équilibre retenue, avec le seuil de déficit structurel maximal de 0,5 % du PIB, est très dure. On risque ainsi de ne pouvoir financer par la dette les investissements publics productifs.

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