Intervention de Bruno Sido

Réunion du 13 mars 2013 à 14h30
Élection des conseillers départementaux des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux et modification du calendrier électoral — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Bruno SidoBruno Sido :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Haute Assemblée est à présent saisie en deuxième lecture du dispositif électoral relatif à l’élection des conseillers départementaux, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale et amendé par notre commission des lois.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je constate que la pugnacité des débats parlementaires a été à la hauteur des ambiguïtés et des dangers que fait peser l’application du mode de scrutin binominal sur l’avenir des territoires ruraux. En effet, les récentes simulations de redécoupage cantonal ont permis de concrétiser ce que seront les conséquences d’un tel scrutin : un éloignement programmé du futur conseiller départemental de ses électeurs et une marginalisation de la représentation territoriale de proximité.

C’est pourquoi, au-delà des améliorations rédactionnelles, je salue le travail de la commission des lois, qui a permis d’apporter, au gré d’amendements et d’argumentations, un certain nombre d’améliorations.

Première amélioration : le texte de la commission prévoit de relever l’écart entre la population d’un canton et la population moyenne des cantons d’un même département de 20 % à 30 %.

Cette adaptation aux enjeux territoriaux va dans le bon sens, et je la salue. C’est l’espoir d’un peu plus de souplesse, de cantons qui seront un peu moins mis à mal par la prise en compte du critère désormais pondéré de la représentation démographique. Souhaitant que cette piste de progrès aboutisse, je propose cependant de relever l’écart des moyennes à 40 % pour respecter les spécificités territoriales en termes de superficie, de densité de population, de nombre de communes et de relief.

Deuxième amélioration : les principes du remodelage de la carte cantonale, prévus par l’article 3 et amendés en commission, encadrent un régime dérogatoire un peu plus équilibré, fondé sur des critères géographiques, démographiques ou d’équilibre territorial. Ce rééquilibrage sera une véritable reconnaissance de la ruralité et de la représentation des territoires faiblement peuplés, qui témoignent chaque jour de leur vitalité.

Mais quel est l’intérêt d’imposer une réforme électorale au détriment de la tradition républicaine qui, depuis la IIIe République, assied sur les communes et les départements la vitalité de la démocratie locale, avec le souci de la proximité ? Cette réforme s’apparenterait tout simplement à une révolution électorale, pour laquelle les Français ne nous ont pas missionnés.

La proximité doit rester adossée aux élections départementales, à plus forte raison au moment où le département devrait être prochainement conforté par le futur projet de loi de décentralisation dans son « chef de filat » des politiques sociales et des politiques de solidarités territoriales.

Je ne pense pas que l’éloignement démocratique soit le signe d’une modernité des départements. Il serait d’ailleurs contraire à l’acte III de la décentralisation, qui ambitionne un retour aux sources en identifiant clairement « les échelons pertinents de l’action publique afin d’accroître la performance de l’ensemble des collectivités publiques, participant ainsi à la réalisation d’objectifs partagés [...] », comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi.

À mon sens, il aurait mieux valu que l’acte III précède la modification des scrutins locaux pour que le conseiller départemental soit la cheville ouvrière d’une action publique cohérente dans les cantons.

Troisième amélioration : j’approuve l’amendement de la commission qui acte le principe selon lequel seuls les deux binômes de candidats arrivés en tête au premier tour peuvent se maintenir au second tour. Introduite par notre collègue Jean-René Lecerf, cette modification sera gage de clarté pour nos électeurs et gage de transparence pour les élus, soucieux d’éviter une multiplication de triangulaires qui ne sont pas toujours à l’honneur de la démocratie. Je sais que des amendements tenteront de revenir sur cette avancée, mais je commente ici le texte tel qu’il est issu des travaux de notre commission.

Pour autant, et au-delà des améliorations apportées par la commission des lois, le projet de loi maintient les principes fondamentaux contre lesquels nous nous étions opposés en première lecture.

La notion de solidarité, qui est au cœur de la gestion de nos assemblées départementales, restera, à l’usage, malmenée par le fonctionnement même du binôme. La création d’un binôme d’élus est vraiment source de confusions et de complications. Comment le partage d’un même territoire par deux légitimités sera-t-il compris ?

Je reste très circonspect quant à son application concrète. Son seul avantage, réel, est d’introduire la stricte parité dans nos assemblées sans recourir pour autant à la proportionnelle.

Solidaire en campagne électorale mais indépendant tout au long du mandat, le binôme ne donne aucune assurance à l’électeur quant à sa solidarité politique lors de la mise en œuvre de la politique départementale dans les futurs cantons.

La dimension binominale, source de tensions, risque de fragiliser la stabilité politique des futures assemblées départementales. Je n’oublie pas que l’efficacité d’une assemblée dépend de sa capacité à créer une majorité, sans que tout soit sujet à discussion ou à négociation. Dans ces conditions, je m’interroge sur l’efficacité démocratique de cette réforme.

J’en conviens, aucun mode de scrutin ne combine toutes les qualités – l’ancrage territorial, la représentation fidèle des opinions politiques, la parité, la proximité et le caractère gouvernable des assemblées délibérantes… – mais il nous revient de nous adapter aux exigences démocratiques actuelles.

Nous ne sommes pas hostiles au rééquilibrage démographique des cantons, dont la plupart des tracés remontent à leur création, en 1801. Il est vrai qu’ils sont datés, voire inadaptés. En revanche, les modalités électorales du scrutin binominal doivent correspondre le plus possible aux missions des conseils généraux, qui sont des missions de proximité et de solidarité.

L’activité du conseil général s’organise tout autant autour de la population, son budget étant très largement consacré aux dépenses de caractère social, que du territoire, par le biais de dépenses d’équipement. De ce fait, il serait contraire au principe d’égalité que toutes les portions de territoire départemental ne soient pas représentées de la même manière.

Chaque conseiller départemental est à la fois le représentant des besoins généraux du département et des besoins spécifiques de son canton d’élection. Ne dépossédons pas nos électeurs et leurs territoires d’une fidèle représentation démocratique au profit d’une stricte parité, qui apparaît comme le seul apport du scrutin binominal, comme je l’ai dit précédemment.

Mes chers collègues, les améliorations apportées par les travaux de la commission des lois sont réelles, car elles prennent en compte un certain nombre d’inquiétudes de parlementaires et d’élus locaux, mais revenir à l’esprit du texte initial aura pour conséquence de modifier durablement le territoire national et d’organiser la disparition progressive des territoires ruraux au profit du seul fait urbain.

Par une méconnaissance des pratiques électorales locales, ce mode de scrutin binominal fragilisera la gouvernance des territoires ruraux, dont on sait qu’ils peuvent, en période de crise, être un élément « ressort », pour peu que nous n’organisions pas leur abandon.

Évitons de figer ce projet de loi et de faire de l’écart démographique une règle d’airain qui aboutirait à sous-représenter des territoires au sein de collectivités censées les soutenir et à constituer des circonscriptions d’élection si vastes que le lien de proximité avec nos concitoyens, principal intérêt du scrutin majoritaire, ne serait plus qu’un souvenir.

C’est pourquoi, malgré quelques améliorations tout à fait positives, nous ne pouvons soutenir ce projet de loi, sauf à abandonner le caractère binominal du scrutin.

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