En effet. Et c'est aussi un fait qu'il faut garder en tête lorsqu'on met en avant la prétendue liberté de choix des personnes prostituées. Comment peut-on imaginer qu'une petite Nigériane qui se retrouve sur le cours de Vincennes ou dans le bois de Boulogne est arrivée là parce qu'elle l'a librement décidé et choisi ?
La violence est aussi dans l'exercice de la prostitution, que ce soit celle des réseaux, des proxénètes ou des clients - n'oublions pas que, comme le montrent différentes études internationales, les clients sont les premiers agresseurs des personnes prostituées.
Mais la violence initiale, celle sur laquelle je souhaite attirer particulièrement votre attention, c'est celle qui est inhérente à l'acte lui-même de se prostituer. Se prostituer, c'est subir au quotidien des actes sexuels non désirés, de manière répétée, avec des personnes qu'on ne choisit pas, dont on ne sait rien, et cela parce qu'on a besoin de gagner de l'argent.
Je pense que l'appréhension de cette seule violence suffirait, en soi, à changer le regard sur la prostitution et à la rendre insupportable. Qui peut encore considérer que l'on puisse choisir de vivre cela ? Cela n'a rien à voir non plus avec une forme de sexualité : il peut y avoir des personnes qui ont de multiples partenaires, mais elles les choisissent !
Cette violence inhérente à la prostitution a des conséquences lourdes. Toutes les personnes que nous rencontrons présentent des traumatismes psychiques ou développent des pathologies variées. Et elles ont énormément de mal à s'en remettre. L'exemple d'une femme belge, sortie de la prostitution depuis plus de quinze ans, mais qui continue à se sentir salie, est symptomatique. La prostitution « marque » les personnes à vie.
Autre constat : la prostitution est un frein absolu à une réelle égalité entre les femmes et les hommes.
De nombreuses associations du Collectif Abolition 2012 interviennent dans le domaine des violences faites aux femmes - que ce soit le Collectif féministe contre le viol ou la Fédération nationale Solidarité Femmes - et sont donc aux prises avec les violences au sein du couple, le viol ou le harcèlement sexuel. Elles nous rappellent que la prostitution est le dernier maillon d'une chaîne qui comprend l'ensemble des violences faites aux femmes. C'est ce qui reste, dans une société encore patriarcale, de la « mise à disposition » du corps des femmes.
On a progressivement reconnu le viol, y compris au sein du couple, puis le harcèlement sexuel. Mais on n'est pas allé au bout de la démarche. Il est admis aujourd'hui que l'on ne peut pas imposer un acte sexuel par la force ou par un abus d'autorité. Mais on peut toujours le faire par le biais de la contrainte économique. Quelqu'un qui a de l'argent peut encore imposer un acte sexuel à quelqu'un qui a besoin d'argent.
Tant que la prostitution existera, les femmes resteront, au moins aux yeux de certains hommes, « achetables » et leur sexualité une sexualité de service. Il ne peut y avoir de véritable égalité de l'homme et de la femme si la relation sexuelle n'est pas uniquement fondée sur un désir réciproque. Il faut donc aller au bout de la démarche et « faire sauter » le maillon de la prostitution si l'on veut parvenir à une véritable égalité entre les sexes.
J'ajoute que la prostitution et la manière dont nous l'appréhendons reflète aussi la vision que nous avons de la sexualité dans notre société. Tout peut-il faire l'objet d'un commerce ? Ne peut-on exclure la sexualité humaine des marchandises échangeables, du champ du commerce ?
Enfin, lorsqu'une personne en considère une autre comme un objet, comme une marchandise, cela porte atteinte à sa dignité, et à ses droits d'être humain car, dans une relation de ce genre, c'est celui qui a l'argent qui a tous les droits.
Nous considérons donc qu'il faut engager la société vers la diminution, la disparition, l'abolition de la prostitution.