Intervention de Grégoire Théry

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 14 mars 2013 : 1ère réunion
Prostitution et proxénétisme — Audition de M. Grégoire Théry secrétaire général du mouvement du nid-france membre du haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes accompagné de Mme Claire Quidet porte-parole du collectif abolition 2012

Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du Nid-France, membre du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes :

Vous avez raison mais je suis convaincu, au fond, qu'au terme d'un véritable examen transversal, on arrivera aux mêmes conclusions et recommandations que nous !

Ces recommandations s'organisent autour de quatre axes qui concernent respectivement les personnes prostituées, les proxénètes, les clients et la société dans son ensemble.

Pour ce qui concerne les personnes prostituées, nous recommandons d'abord de supprimer toute forme de répression, ce qui serait conforme à l'engagement abolitionniste de la France depuis la fermeture des maisons closes et la ratification de la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui.

La répression accroît la précarité et elle ne répond qu'à des préoccupations d'ordre public, qui ne sont pas illégitimes mais qui ne doivent pas primer sur la protection des personnes. C'est pourquoi nous sommes favorables à l'abrogation du délit de racolage.

Je rappelle que le racolage est une infraction depuis 1939 et qu'entre 1946 et 1958 il était puni d'une peine de cinq ans de prison alors que le proxénétisme n'était passible que de deux ans d'emprisonnement.

Alors que la répression fait porter la responsabilité d'un problème social sur ses victimes et non sur ses auteurs, nous pensons au contraire que l'État doit offrir aux personnes prostituées une véritable alternative et leur permettre d'envisager un autre avenir en élaborant une politique sociale globale et cohérente. Ce qui nécessite d'abord de reconnaître que la prostitution est une violence et non un métier comme un autre.

Il faut aussi revoir les conditions d'octroi de titre de séjour aux victimes de la prostitution, cet octroi étant aujourd'hui subordonné à la dénonciation des proxénètes qui les exploitent. Cette disposition incitative est une bonne mesure, mais trop restrictive. La victime doit prendre sa décision dans un délai de 30 jours et, surtout, elle n'est pas protégée contre le risque de représailles.

Il faudrait donc que puisse être protégée et recevoir un titre de séjour la victime qui s'engage à rompre avec la prostitution, même si elle n'est pas en mesure de faire une dénonciation. La condition de renonciation à la prostitution est indispensable pour prévenir l'instrumentalisation de la victime par les réseaux qui, on le sait, téléguident les demandes de titres de séjour ou d'asile car une personne en situation régulière, non expulsable, leur « rapporte » davantage. Elle pourrait être concrétisée par une convention entre l'État, une association et la personne prostituée qui s'engagerait dans une démarche d'insertion sociale, comme l'avait proposé le rapport d'information de l'Assemblée nationale. Sinon, les personnes prostituées continueront à n'avoir le choix qu'entre l'enfermement dans le réseau et l'expulsion.

Avant de parler des mesures à prendre contre les proxénètes, je voudrais souligner que la France dispose d'un très bon arsenal juridique de lutte contre le proxénétisme, qui pourrait cependant être amélioré sur deux points.

En premier lieu, les magistrats devraient prononcer plus systématiquement la confiscation des avoirs criminels des proxénètes condamnés. Une peine de prison est un risque que les proxénètes acceptent de prendre, s'ils peuvent ensuite profiter des biens acquis grâce à l'exploitation de leurs victimes. La confiscation de ces biens est, en revanche, véritablement dissuasive. Je précise que les textes existent : il suffirait donc d'une simple circulaire pour rappeler aux magistrats l'utilité de la confiscation des biens des proxénètes.

Second point : le problème de l'indemnisation des victimes. Il y a chaque année 500 à 1 000 condamnations de proxénètes mais leurs victimes ne sont presque jamais indemnisées : le proxénétisme est un crime sans victimes ! Celles-ci, en effet, ne portent pas plainte parce que, considérées elles-mêmes comme délinquantes au titre du racolage, elles ne font pas confiance aux services de police : il faudrait donc améliorer leur accès à la justice en leur permettant d'établir des relations de confiance avec ces services. Ce qui est une autre raison d'abroger le délit de racolage.

Il faudrait aussi modifier l'article 706-3 du code de procédure pénale pour inclure le proxénétisme dans la liste des infractions ouvrant droit à l'indemnisation qu'il prévoit sans que la victime ait à justifier d'une incapacité totale de travail (ITT) d'au moins un mois. Il faut souligner que la traite des êtres humains figure déjà dans cette liste, mais c'est une incrimination moins souvent retenue que le proxénétisme car sa définition, transposée du droit européen, est beaucoup plus restrictive.

Certes, les avocats parviennent parfois, au terme d'une procédure longue et complexe, à obtenir que les préjudices divers subis par les victimes des proxénètes soient indemnisés : préjudices physique, moral, manque à gagner pendant les années de prostitution, absence de protection sociale... Cette indemnisation peut atteindre des montants allant jusqu'à 120 ou 140 000 euros, ce qui permet aux victimes de se reconstruire et de reconstruire leur vie.

Comme on le sait, l'État dispose de peu de moyens. Une indemnisation plus facile des victimes, la confiscation des biens des proxénètes pourraient donc contribuer à financer la réparation des dommages causés par la prostitution.

J'en viens au troisième axe de recommandations, celui qui concerne les clients.

Cela n'a pas toujours été le cas mais, depuis cinq ou six ans, les 53 associations du Mouvement du Nid sont unanimes à estimer qu'il faut interdire l'achat de relations sexuelles et pouvoir sanctionner les clients prostitueurs.

Notre but n'est évidemment pas d'envoyer tous les clients en prison, mais plutôt de poser un interdit à valeur normative et qui sera dissuasif.

En Suède, cet interdit, dissuasif pour les clients, a surtout été la meilleure arme de lutte contre les réseaux.

Ceux-ci ont en effet un comportement d'investisseurs : ils s'installent où leurs activités sont les plus profitables. Ils se sont donc détournés de la Suède. Les pays voisins s'étant alignés sur la législation suédoise pour éviter que les réseaux ne se replient chez eux, ils s'en détournent aussi. On assiste donc à un effet-domino vertueux de la dissuasion. Dissuasion qui pourrait aussi être très efficace en France où, rappelons-le, 80 % des personnes prostituées sont aujourd'hui des étrangères exploitées par des réseaux.

J'ajoute que lorsque nous expliquons aux élèves des établissements scolaires que la sexualité doit s'épanouir dans le respect de l'autre, nous ne pouvons pas nous appuyer sur une interdiction légale de l'achat de sexe. Les jeunes que nous rencontrons sont attentifs à cela : la loi offre des repères, elle est aussi un outil de prévention. En Suède, chaque enfant apprend désormais qu'on ne tape pas sa voisine, qu'on n'insulte pas les enseignantes, qu'on n'impose pas un acte sexuel par l'argent.

Et l'on constate qu'alors qu'il n'y avait en 2000 qu'un tiers des Suédois qui étaient favorables à la pénalisation du « client prostitueur », cette mesure est aujourd'hui approuvée par 75 % de la population et n'est plus un sujet de débat partisan : portée par une majorité de gauche, son application a fait l'objet d'une évaluation favorable par un gouvernement de droite, qui envisage son renforcement.

Enfin, notre quatrième axe de recommandations concerne les actions de prévention et de sensibilisation qui s'adressent à l'ensemble de la société.

Il faut changer les mentalités, lutter contre les clichés qui présentent la prostitution comme une fatalité, comme quelque chose qui a toujours existé, voire comme un mal nécessaire...

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