Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 19 mars 2013 : 1ère réunion
Versement des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteur :

Qui doit bénéficier des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire lorsqu'un enfant est confié au service d'aide sociale à l'enfance (ASE) ? Les conseils généraux avaient été parmi les premiers à soulever la question. Cette proposition de loi y répond en reprenant deux amendements votés à l'unanimité au Sénat en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 mais supprimés par l'Assemblée nationale qui y a vu des cavaliers législatifs.

En 2011, une moitié des 300 000 enfants concernés par l'aide sociale à l'enfance a bénéficié d'actions éducatives en milieu ouvert ou à domicile et l'autre a été placée en dehors du milieu familial ; 89 % des 133 000 enfants placés ont été confiés à l'ASE, 11 % ayant été placés directement par le juge ; plus de la moitié des enfants confiés à l'ASE étaient en famille d'accueil, 38 % en établissement et 9 % dans d'autres modes d'hébergement. Les dépenses annuelles des conseils généraux au titre de l'ASE (6,4 milliards d'euros) représentent le troisième poste budgétaire d'aide sociale, après l'insertion et les personnes âgées.

Symboliquement et financièrement, les allocations familiales représentent la plus importante prestation familiale. Conformément à leur visée nataliste et à leur objectif de redistribution, elles sont versées sans condition de ressources aux parents de deux enfants et plus. Leur montant, forfaitaire, n'est pas imposable. En application de l'article L 521-2 du code de la sécurité sociale, elles sont attribuées à « la personne qui assume la charge effective de l'enfant », mais la loi du 6 janvier 1986 a complété cet article pour que, lorsqu'un enfant est confié à l'ASE, la part correspondante des allocations familiales soit, logiquement, versée à ce service ; toutefois, le juge des enfants peut décider de la maintenir à la famille.

Or l'exception est devenue la règle, les parents continuant le plus souvent de percevoir l'intégralité des allocations familiales. N'ayant le choix qu'entre retirer ou maintenir à la famille la part d'allocations à laquelle ouvre droit l'enfant placé, le juge opte le plus souvent pour la seconde solution, si bien que le principe du versement à l'ASE n'est effectif que lorsque des faits graves, notamment de maltraitance, sont à l'origine du placement, lorsque le dialogue avec la famille est impossible, en cas de placement long et, enfin, lorsque le juge ne statuant pas sur le versement des allocations, elles reviennent de droit à l'ASE.

Remédier à cette situation est à la fois une question de justice et d'équité : il n'est guère admissible que des familles qui n'assument plus la charge effective et permanente d'un enfant perçoivent les mêmes allocations que des familles dont les enfants ne sont pas placés. C'est pourquoi la proposition de loi revient à la volonté initiale du législateur, tout en laissant au juge la possibilité de maintenir à la famille la part d'allocations due au titre de l'enfant placé ou de la moduler.

L'article 1er supprime la saisine d'office du juge : seul le président du conseil général pourrait désormais le saisir. Le juge se prononcera sur l'attribution de la part des allocations due au titre de l'enfant placé au vu d'un rapport établi par le service de l'ASE. Il pourra octroyer cette part à la famille totalement ou partiellement ; en ce cas, la somme restante reviendra à l'ASE.

Créée en 1986, l'allocation de rentrée scolaire est versée annuellement sous condition de ressources pour compenser les frais spécifiques liés à la rentrée de chaque enfant scolarisés âgés de six à dix-huit ans. Son montant, modulé selon l'âge de l'enfant depuis 2008, a été revalorisé de 25 % à la rentrée 2012. Lorsqu'un enfant est confié à l'ASE, cette allocation continue elle aussi d'être entièrement versée à la famille, alors que le département supporte la totalité des dépenses liées à la scolarisation.

Pour mettre fin à une incohérence qui porte atteinte à l'équité entre les familles, l'article 2 de la proposition de loi pose, dans le code de la sécurité sociale, le principe selon lequel l'allocation de rentrée scolaire d'un enfant confié à l'ASE est versée à ce service. Les pouvoirs du juge en matière d'attribution de l'aide seraient alors les mêmes que pour les allocations familiales.

Lors de mes auditions, j'ai acquis la conviction que la saisine d'office du juge devait être maintenue puisque l'attribution des allocations découle directement de la décision de placement. Celles-ci constituent en effet, selon l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, « un instrument de politique judiciaire » indispensable au « travail de pédagogie » mené par le juge auprès des parents. Toutefois, je vous proposerai par amendement que la part réservée aux parents ne puisse excéder 35 %. Entre le souci de ne pas pénaliser les familles et la volonté de reconnaître la charge supportée les départements, il s'agit d'une solution équilibrée. En outre, en modulant la part attribuée aux parents, le juge ajustera sa décision aux situations individuelles. Cela aura un rôle incitatif puisqu'en cas de retour de l'enfant dans sa famille, celle-ci récupèrera l'entier bénéfice des allocations familiales.

Les représentants des juges ont approuvé le principe du versement de l'allocation de rentrée scolaire à l'ASE en cas de placement, au motif que cette prestation « vise un objectif précis : le financement des fournitures scolaires lors de la rentrée des classes. ». Dans la mesure où cette allocation ne constitue pas un moyen de négociation avec les parents, l'intervention des juges ne se justifie pas. Je vous proposerai en conséquence de supprimer les dispositions de l'article 2 de la proposition de loi y afférentes.

Ainsi modifié, le texte me semble apporter une réponse équilibrée aux questions soulevées ; revenir à la volonté initiale du législateur et restaurer l'équité entre les familles.

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