Intervention de Jean-Luc Domenach

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 mars 2013 : 1ère réunion
Situation intérieure et extérieure de la chine — Audition de M. Jean-Luc Domenach directeur de recherche au ceri-sciences po

Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po :

Concernant les pays de l'Asie du Sud Est, s'il y a bien un sujet qui les rassemble c'est la crainte devant ce qu'ils considèrent comme une menace chinoise. Cette crainte est si forte qu'elle peut même justifier à leurs yeux un renforcement de la présence américaine dans cette zone, y compris dans des pays comme la Thaïlande. De manière générale, les dirigeants chinois sous-estiment les craintes de ces pays, qu'ils ont tendance à regarder de haut, et ils adoptent une attitude contre-productive à l'égard de ces pays, alors qu'ils se montrent par ailleurs de parfaits manipulateurs dans leurs relations avec les Etats-Unis ou les pays européens, et notamment les responsables français.

La montée en puissance de la Chine, conjuguée à l'attitude condescendante et même parfois hautaine des dirigeants chinois, a suscité chez la plupart des pays de l'Asie du Sud Est un fort sentiment de crainte et de rejet, qui a été utilisé avec une très grande habileté par l'ancienne Secrétaire d'Etat américaine Mme Hillary Clinton pour renforcer l'influence et la présence américaine dans cette région et pour faire apparaître les Etats-Unis comme un recours face à la puissance chinoise. Cela a été une grande erreur de la diplomatie chinoise, qui pourrait créer de graves incidents dans cette région, par exemple avec le Vietnam.

Concernant l'interprétation chinoise de l'intervention occidentale en Libye et son influence sur l'attitude actuelle de la diplomatie chinoise à l'égard de la Syrie, je partage votre analyse. Toutefois, sur le dossier syrien, le véritable blocage au Conseil de sécurité des Nations Unies vient moins de la Chine que de la Russie. Les dirigeants chinois ne manquent jamais une occasion de souligner que le dossier syrien n'est pas un sujet central pour eux. La position chinoise sur ce dossier semble surtout s'expliquer par l'étroite concertation entre la diplomatie chinoise et la diplomatie russe au Conseil de sécurité des Nations unies, chacune se montrant solidaire des intérêts de l'autre et attendant en retour la même solidarité pour la défense de ses propres intérêts.

S'agissant de notre dispositif diplomatique en Chine et de notre faible présence économique, le talent et les compétences de nos diplomates ne sont pas en cause, puisque nous disposons de personnalités de très grande qualité et de fins connaisseurs de la Chine, à l'image de l'actuel Conseiller diplomatique du Président de la République, M. Paul-Jean Ortiz, ou de l'actuel ambassadeur de France à Pékin, Mme Sylvie-Agnès Bermann.

La vraie explication du faible niveau de nos relations tient au fait que nous nous sommes trompés dès le départ concernant le positionnement du Général de Gaulle à l'égard de la Chine. Contrairement à une idée largement répandue, en établissant des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine, le Général de Gaulle n'a pas cédé aux dirigeants chinois. Il a négocié parfois très durement avec eux. Or, les responsables politiques français qui lui ont succédé se sont sans doute montrés trop complaisants, ce qui fait qu'aujourd'hui la France n'est pas une priorité aux yeux de la diplomatie chinoise, contrairement par exemple à l'Allemagne.

Aujourd'hui, si la diplomatie française voulait retrouver une influence à l'égard de la Chine, il faudrait sans doute nous concerter d'abord avec les Allemands et les Britanniques et faire preuve d'une véritable unité au niveau européen.

Une autre explication à la faible présence économique française en Chine tient au fait que les relations économiques entre nos deux pays sont restées fondées sur la base de grands contrats, négociés au niveau des responsables politiques et avec les grands groupes, laissant à l'écart les PME. Il existe certes des secteurs qui ont connu une véritable réussite, à l'image de l'industrie du luxe, par exemple Hermes, ou encore le vin. Mais il est très difficile pour une PME française de s'implanter ou d'exporter vers la Chine.

La question sociale c'est le vrai défi de la Chine. Le modèle de croissance économique actuel, fondé sur l'excédent commercial grâce à l'exploitation d'ouvriers sous-payés, ne sera pas tenable à terme.

Je partage également votre sentiment sur le faible intérêt des médias français à l'égard de ce pays et l'image souvent déformée donnée par ces médias de la réalité chinoise. On surestime souvent en occident l'influence réelle des dissidents chinois au sein de la société chinoise. Entendons-nous bien, je suis naturellement un défenseur de la démocratie et des droits de l'homme et je n'hésite pas à dénoncer ouvertement les atteintes aux droits de l'homme, au Tibet ou les camps de rééducation. Mais il faut être bien conscients qu'au sein de l'opinion publique chinoise, la voix des dissidents politiques ne rencontre quasiment pas d'écho. Les véritables préoccupations de l'opinion publique, ce sont l'économie et la corruption.

Concernant les relations entre la Chine et le Japon, elles traversent certes des tensions autour de ces îles, qui pourraient entraîner des violences, mais il ne faut pas partir de l'idée que ces deux pays sont condamnés à ne pas s'entendre. Par le passé, les relations sino-japonaises n'ont pas toujours été conflictuelles et il existe même un courant pro-japonais au sein du ministère des affaires étrangères chinois. Les relations historiques et culturelles entre ces deux pays sont anciennes et on trouve de nombreuses passerelles. Il est ainsi frappant de rappeler que dans la langue chinoise, les mots « société », « révolution » et « démocratie » viennent du japonais. De nombreux dirigeants chinois, y compris sous la période communiste, ont étudié au Japon et au retour d'un voyage au Japon en 1978 Den Xiaoping a fait l'éloge de ce pays avant de lancer les réformes que l'on sait.

S'agissant du renforcement de la présence militaire américaine dans la zone Asie-Pacifique, elle annonce le duel final entre les deux puissances, les Etats-Unis et la Chine.

Que vont devenir les 600 millions de chinois ruraux qui sont appelés à quitter les campagnes ? Il est question de construire 200 nouvelles villes, comptant chacune 3 millions d'habitants. Il va falloir bâtir des logements, des écoles, des usines, des transports, des loisirs, etc.

Les terrains qui seront ainsi libérés devraient remplir trois différentes fonctions. D'abord, ils seront regroupés en vastes exploitations agricoles. A cet égard, il faut s'attendre à ce que dans l'avenir la Chine devienne une puissance agricole mondiale.

Une partie de ces terres sera également consacrée à d'immenses programmes touristiques.

Enfin, une autre partie sera laissée en jachère ou accueillera des forêts, servant ainsi de « respiration écologique ».

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