Intervention de Muriel Couton

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 21 mars 2013 : 1ère réunion
Femmes dans le secteur de la culture — Audition de Mme Muriel Couton directrice du développement et de la coordination directrice de la promotion et des actions culturelles de la société des auteurs et compositeurs dramatiques sacd

Muriel Couton, directrice du développement et de la coordination, directrice de la promotion et des actions culturelles de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) :

Je tiens à préciser que, si les missions que j'exerce à la SACD, sous la direction de son président Pascal Rogard et de son secrétaire général, Guillaume Prieur, m'amènent parfois à traiter des problématiques qui nous occupent aujourd'hui, c'est véritablement à titre personnel que je continue à développer mes activités militantes en faveur de la place des femmes, via notamment la page « Facebook » et le blog dont vous avez pu prendre connaissance. Cet engagement s'inscrit dans le fil conducteur de mon parcours.

Ayant commencé à travailler en Grande-Bretagne dans l'audiovisuel, je n'ai pas tout de suite rencontré la question du « plafond de verre », puisque la présidente-directrice générale et la directrice des ventes des programmes de la chaîne de télévision où je travaillais étaient des femmes.

Un voyage personnel au Proche-Orient ensuite, où je me suis rendue seule à travers la Jordanie, la Syrie, Israël et la Turquie, a véritablement constitué pour moi une prise de conscience.

De retour en France, j'ai travaillé dans deux organismes culturels publics, à l'Institut national de l'audiovisuel (INA), tout d'abord, puis à la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Musique - Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs (SACEM-SDRM), dans lesquels les postes à responsabilité étaient occupés par des hommes - seuls 10 % des postes de cadre étaient occupés par des femmes, celles-ci étant reléguées à des tâches d'exécution.

A cet égard, je me souviens, même si c'est anecdotique, de n'avoir vu que des hommes au « restaurant des cadres », ce qui reflétait une certaine ambiance de travail.

Alors qu'il n'y avait qu'une seule femme cadre à la SACEM, au contraire la SACD est une structure très féminisée, à tous les niveaux, depuis les agents de maîtrise jusqu'au comité de direction.

Aujourd'hui, la SACD est présidée par un directeur général, Pascal Rogard, et une directrice générale adjointe, Janine Lorente, assistés d'un conseil d'administration dans lequel les femmes sont largement représentées.

Je vous rappelle que la SACD a été fondée en 1777. Il a fallu attendre 2003 pour qu'une femme accède à la direction : Christine Miller a assumé cette fonction, dont je vous rappelle qu'elle est un peu spécifique à la SACD, puisqu'elle est confiée à une artiste, puis Sophie Deschamps ensuite, à deux reprises, en 2006 et en 2011.

C'est en 2011, au début de son second mandat, que Sophie Deschamp m'a fait part de son souhait de travailler sur les représentations stéréotypées des femmes dans les fictions diffusées à la télévision. Ce sujet faisait partie intégrante des missions de la SACD, le conseil d'administration étant, notamment, composé de réalisateurs et de scénaristes de films de fiction.

De mon côté, ayant eu l'occasion de rencontrer Reine Prat lorsque je travaillais à l'INA dans le cadre d'un programme dénommé « Art canal », et ayant suivi les conclusions de ses rapports remis en 2006 et 2009, qui dénonçaient notamment les stéréotypes de genre véhiculés dans les créations de spectacle vivant, j'ai mis en relation Sophie Deschamps avec les responsables du Mouvement H/F, mouvement créé dans la lignée des travaux de Reine Prat. C'est donc bien Sophie Deschamps qui a été l'instigatrice des travaux de la SACD à ce sujet.

En 2011, Laurence Equilbey a commandé à deux étudiants en Master 2 d'administration de la musique et du spectacle vivant à l'université d'Evry-Val d'Essonne, Mikaël Loup et Anne-Sophie Bach-Toussaint, un rapport sur « La place des femmes dans les institutions publiques du spectacle vivant dans les postes à responsabilité ». Toutes les disciplines, hors le cirque, ont été examinées.

Sous l'égide de la présidente de la commission des Affaires culturelles du Sénat, Marie-Christine Blandin, la SACD a alors décidé de réunir au Sénat, le 6 mai 2013, des artistes du spectacle vivant pour réfléchir à la question « culture et parité : le changement c'est maintenant ? ». Cette conférence a permis à Sophie Deschamps, scénariste et présidente de la SACD, de réunir Muriel Mayette, comédienne et administratrice de la Comédie Française, Laurence Equilbey, mais aussi Anne-Laure Liégeois, metteuse en scène, et des représentants du Mouvement H/F et du Laboratoire de l'égalité pour échanger sur le sujet.

C'est à cette occasion que nous avons décidé de produire un document, notamment à partir des chiffres présentés lors de la conférence, et qui est devenu la brochure que vous connaissez et qui a largement été diffusée sous le titre « Théâtre, musique, danse : où sont les femmes ? ».

La partie de la brochure consacrée à la musique, qui a été rédigée par Laurence Equilbey, est la plus éloquente : une seule femme directrice de maison d'opéra (Caroline Sonrier à Lille), des chefs d'orchestre majoritairement masculins... et cela concerne tant la musique classique que contemporaine !

Nous voulions que cette brochure, qui a été éditée à 20 000 exemplaires, soit prête pour le Festival d'Avignon, puisque nous souhaitions la remettre en mains propres à tous les directeurs de structures [centres chorégraphiques nationaux (CCN), centres dramatiques nationaux (CDN) et scènes nationales], ce qui explique que nous l'avons réalisée en un délai très court - quasiment un mois - à partir des chiffres et des informations dont nous disposions, souvent ceux des plus grosses structures, les plus subventionnées, dans trois disciplines, le théâtre, la musique, la danse. Cette méthode empirique explique que tous les lieux ne soient pas mentionnés, en particulier ceux dont les « saisons » 2013 n'étaient pas disponibles.

La réaction des directeurs d'établissements et des structures a été intéressante, chacun s'inquiétant de la place des femmes dans sa propre structure.

A cet égard, je pense que cette brochure a permis une prise de conscience sur la faible représentation des femmes dans ce secteur, alors que chacun est persuadé qu'« il y a beaucoup de femmes dans la culture ».

Je suis frappée par l'immobilisme sur ce sujet, alors que les rapports de Reine Prat, en 2006 et 2010, et de Laurence Equilbey, en 2011, auraient dû servir de détonateurs.

A ce jour, les avancées ont été faibles. On peut se féliciter que le ministère de la culture et de la communication ait publié le 1er mars 2013 un premier état des lieux, sous le titre « Observatoire de l'égalité hommes-femmes dans la culture et la communication », que nous estimons pouvoir être détaillé et c'est la raison pour laquelle nous avons proposé à la Direction générale de la création artistique (DGCA) notre collaboration pour fournir des données chiffrées en la matière.

A cet égard, nous pensons que les sources d'information sur le sujet doivent être démultipliées : les collectivités territoriales, mais aussi des structures privées, comme la nôtre, doivent collaborer avec le ministère de la Culture et de la Communication et, en particulier, avec la personne chargée au ministère de l'observation, en l'occurrence Catherine Lephay-Merlin.

A titre d'exemple, la SACD est amenée à travailler avec toutes les entités de création et de diffusion lyrique, notamment au travers du Fonds de création lyrique, ainsi qu'avec les structures qui s'occupent des arts du cirque et des arts de la rue et, plus largement, du théâtre.

Aujourd'hui, il me semble essentiel de pérenniser l'Observatoire et de le rendre plus collaboratif, à l'heure où la part des collectivités territoriales dans le financement des activités culturelles grandit. Cela permettrait d'inverser une tendance à un certain désintérêt de l'administration centrale pour les problématiques du genre, comme le non-renouvellement du poste de Reine Prat pouvait le laisser supposer.

A l'heure actuelle, tout se passe comme si chacun, le ministère d'un côté, les collectivités territoriales de l'autre, tentaient de faire avancer les choses. Mais sans concertation, le résultat est parfois étonnant. Prenons l'exemple du renouvellement de la direction de la scène nationale de Martigues, actuellement exercée par une femme. Le ministère a imposé une « short-list » entièrement féminine, ce qui part d'une intention louable, mais sans en discuter au préalable avec les collectivités concernées, ce qui a suscité inévitablement des réactions.

Inversement, la « short-list » établie pour la succession de Caroline Carlson au centre chorégraphique national de Roubaix ne présente que trois noms masculins...

Alors que les modalités de nomination des directeurs de structures culturelles vont être modifiées et, en particulier, vont être différentes selon les structures (scènes nationales, CDN et CCN), la collaboration de l'ensemble des acteurs est essentielle.

Pour rattraper le retard dans l'accès des femmes à ces postes, la transparence de l'information est essentielle. Quelles directions vont être renouvelées ? Dans quelles structures ? Quels sont les délais ? Aujourd'hui, l'opacité des procédures et notamment certaines pratiques qui consistent à « inciter » certaines personnes à présenter leurs candidatures jouent en faveur des hommes.

Alors que les années à venir vont voir de nombreux postes de direction renouvelés, la transparence et la circulation des informations sont plus que jamais essentielles.

J'en viens maintenant aux dispositifs de formation.

Reine Prat vous a déjà parlé des pratiques existantes dans les conservatoires.

Sans revenir sur ces propos, j'estime qu'il faudrait aujourd'hui généraliser dans tous les conservatoires les modules dédiés à la question du genre. Ces programmes devraient aborder la question du contenu des créations. Quelles pièces sont aujourd'hui « montées » par les metteurs en scène de théâtre, d'opéras ou d'oeuvres musicales, mais aussi dans les arts du cirque et de la rue ?

Ils doivent aussi s'intéresser à la question de la présence des femmes parmi les créateurs. A cet égard, on observe, aujourd'hui, un recul du nombre de femmes chorégraphes à la tête des centres chorégraphiques nationaux. Le remplacement d'Emmanuelle Huynh par un homme au centre chorégraphique d'Angers et de Caroline Carlson à Roubaix traduit cette tendance à la baisse, les femmes ne représentant plus aujourd'hui que 27 % des directeurs de centres chorégraphiques nationaux.

Sous l'influence d'une évolution du « genre » chorégraphique, et en particulier de la non-danse, les hommes investissent de plus en plus cette discipline. Je vous invite à suivre les travaux de Caroline Saporta sur ce sujet.

La formation concerne aussi les futurs managers des établissements culturels. On pointe souvent du doigt le risque de « fonctionnarisation » de la culture. Et à ce titre, on tend à accorder peu d'attention à la dimension « managériale » des établissements culturels.

Ce prétexte sert souvent d'alibi aux hommes aux postes de direction, dont on évalue rarement les compétences qui leur permettent de prétendre à ces postes.

Une telle évaluation permettrait aux femmes d'être mises dans une situation d'égalité avec les hommes. Et je pense que les hommes y auraient tout intérêt. On ne fera avancer les choses que si les hommes collaborent.

Sur la « féminisation » des fonctions de « metteuse en scène », « auteure », je pense que les difficultés que nous rencontrons nous-mêmes, parfois, viennent du fait que nous n'y avons pas été habituées dès l'enfance. Il est temps de faire rentrer ces mots dans les programmes dès le plus jeune âge, dès l'école !

Car, vous le savez, les mots ont leur importance. Trouvez-vous normal que Jean-Claude Casadesus, fondateur et directeur de l'orchestre national de Lille, annonce la recherche d'un « successeur », terme qui a été repris dans un communiqué de presse du président de l'orchestre ? Je l'ai dénoncé sur mon blog, mais c'est important que nous soyons tous vigilants.

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