Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat thématique qui s’ouvre cet après-midi porte sur la couverture numérique du territoire, qui constitue à la fois un des enjeux majeurs de la compétitivité économique française, un élément fondamental de l’aménagement contemporain du territoire et, de plus en plus, un des vecteurs essentiels de la communication des idées et de la culture.
La couverture numérique fait appel à plusieurs types de réseaux, depuis le fil de cuivre hérité du téléphone jusqu’à la fibre optique. Mais, au cœur des préoccupations des pouvoirs publics, l’objectif essentiel est de généraliser l’accès au très haut débit, ou THD, indispensable pour tirer le meilleur parti des nouvelles technologies numériques.
Or, ce n’est un mystère pour personne, et nos deux rapporteurs, MM. Yves Rome et Pierre Hérisson, dont je tiens à saluer le travail, précis et exigeant, vous le confirmeront dans quelques instants, cet accès au très haut débit est encore très loin d’être à la hauteur des attentes et des ambitions affichées depuis des années.
Dans ce domaine, nous accusons même un sérieux retard par rapport à d’autres pays de l’Union européenne, elle-même moins avancée que d’autres grands ensembles géographiques, comme l’Amérique du Nord ou l’Asie. J’en veux pour preuve ce chiffre éloquent : notre pays occuperait, en Europe, le vingt-troisième rang sur vingt-sept pour le taux de pénétration du très haut débit, alors que notre continent n’est lui-même équipé qu’à hauteur de 4 %, contre environ 70 % en Asie.
C’est pourquoi j’ai trouvé judicieux que, conformément à son rôle, notre commission se saisisse de cette question et puisse, sur la base d’un bilan objectif de la situation, apporter sa contribution au débat en cours, au moment stratégique où le Gouvernement a lui-même rendu publique sa « feuille de route pour le numérique ».
Je tiens à ce propos à remercier les membres de la commission du développement durable, en particulier son président, Raymond Vall, avec lesquels nous avons travaillé en excellente coordination.
Sans entrer dans le détail du travail de nos rapporteurs, je retiendrai quelques points saillants qui illustrent bien, me semble-t-il, la démarche de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.
Le premier consiste à s’interroger, conformément à notre rôle, sur la pertinence du dispositif législatif et réglementaire en vigueur.
En l’occurrence, les textes qui encadrent l’action des opérateurs sont-ils réellement adaptés, notamment en ce qui concerne l’intervention des collectivités territoriales ?
La couverture numérique du territoire met en présence différents acteurs publics ou privés, dont l’État, les collectivités territoriales, les grandes compagnies privées et « l’opérateur historique ». Plusieurs textes déterminent leur rôle et leurs rapports respectifs, selon une logique d’économie mixte, qui, semble-t-il, n’est pas propice à une bonne diffusion du THD sur l’ensemble du territoire.
Schématiquement, le modèle conçu par le législateur repose aujourd’hui sur un système de régulation distinguant deux types de « territoires numériques » : des zones très denses ou denses, où se développe une totale concurrence, et les autres portions du territoire, soumises à un système de monopole.
Or, ce schéma a montré ses limites, avec, d’un côté, des opérateurs privés qui visent avant tout à maximiser leurs profits dans des zones très denses déjà largement couvertes et, de l’autre, des collectivités territoriales réduites à intervenir dans les zones les moins rentables, mais représentant plus de la moitié du territoire et presque 40 % du total des logements.
Comme l’ont constaté nos rapporteurs, il y a là un double problème d’efficacité et d’équité, qui trouve sa source dans l’environnement juridique où évoluent les opérateurs.
Le deuxième problème, qui, hélas ! se retrouve dans l’application de nombreux autres textes, concerne les incertitudes sur le financement du système.
En effet, un déploiement équitable du THD sur l’ensemble du territoire implique des moyens financiers considérables, qui doivent être partagés entre les acteurs publics et les opérateurs privés.
Or, sur ce point, les indications recueillies par nos rapporteurs sur l’effort de l’État en faveur des collectivités locales ne portent pas vraiment à l’optimisme, alors même que les opérateurs privés ne pourront pas – et ne voudront pas –financer les investissements nécessaires à la couverture des zones les moins denses, où les équipements se révèlent les plus onéreux pour un nombre réduit de points d’accès.
Les rapporteurs évoquent, à ce propos, un « investissement poussif », aggravé par certaines incohérences dans l’attribution des responsabilités.
À quoi bon afficher des engagements ambitieux si les promesses butent sur l’absence de moyens ? La commission pour le contrôle de l’application des lois est souvent amenée, dans son travail, à rencontrer de telles distorsions entre promesses et moyens, distorsions qui risquent de saper la confiance que nos compatriotes peuvent placer dans les textes et dans ceux qui les rédigent, à savoir nous-mêmes.
Un troisième point sur lequel le président de la commission du développement durable a appelé notre attention durant notre réunion est celui du déficit d’information sur les réseaux existants. Ce déficit, dont pâtissent les maires et les parlementaires, est d’autant plus regrettable que, bien souvent, ces infrastructures ont en partie été financées grâce à des fonds publics.
On leur objecte que la divulgation des informations concernées compromettrait le secret des affaires, dans un contexte où les opérateurs se livrent à une âpre concurrence. Pour ma part, il me paraît légitime que les collectivités territoriales soient en mesure d’obtenir toutes les informations dont elles ont besoin sur la cartographie des réseaux et des points d’accès qui desservent leur territoire, ne serait-ce que pour endiguer le départ de certaines des entreprises qui se délocalisent faute d’accès au très haut débit.
Au final, en matière d’action des collectivités territoriales en faveur de la couverture numérique du territoire, notre bilan de l’application de la législation existante demeure assez réservé.
Je précise que ce bilan est politiquement impartial : les deux rapporteurs sont issus, l’un, de la majorité, l’autre, de l’opposition, conformément aux pratiques de notre commission depuis sa création, mais ils se rejoignent pour constater, dans leur diagnostic, que « le scénario du succès reste à écrire ».
Madame la ministre, voyez dans cette analyse un encouragement. En effet, compte tenu de la diversité des intérêts en présence, il est temps pour l’État d’assurer pleinement son rôle de régulateur : d’abord, en adoptant une politique technologique plus claire ; ensuite, en définissant un cadre économique et financier qui soit davantage en adéquation avec l’objectif de cette politique et qui favorise l’innovation ; enfin, en assurant une coordination plus effective de tous les acteurs.