le Président de la République a confié au ministre chargé des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique la mission de mettre en œuvre son engagement de doter notre pays d'une nouvelle infrastructure permettant à tous les Français, quel que soit le territoire où ils résident, d'accéder au très haut débit.
Cet engagement, madame la ministre, représente un enjeu politique fort : celui de l'égalité des opportunités offertes à chaque Français.
C'est aussi un choix majeur de politique économique.
C’est d'abord le choix d'élever le potentiel de croissance du pays par les activités induites et par des gains de productivité, et donc d’élever la compétitivité des activités productives. Songeons notamment aux bénéfices que peut apporter le développement de l'e-administration.
C’est aussi le choix d'augmenter le niveau de bien-être par le développement de produits, de services et de solutions susceptibles de répondre aux besoins des populations. En effaçant la distance, le très haut débit doit faciliter la résorption des handicaps subis par des populations qui ne bénéficient pas des effets d'agglomération. Ce faisant, il doit d’ailleurs aussi nous épargner les incidences négatives des concentrations géographiques que connaissent bien les urbains, épuisés par la congestion des transports.
Je remercie donc une fois encore MM. Assouline et Vall d'avoir tout de suite compris que notre Haute Assemblée se devait d'être au rendez-vous de ce qui doit être, bien plus qu'une simple étape de la modernisation numérique de notre pays, un véritable changement, une mutation profonde de notre société, annonçant et garantissant le succès d'une très haute ambition.
Disons-le tout de suite : la France n'a pas pris cette affaire par le bon bout. Le précédent gouvernement a mis en place un système peu satisfaisant, qui a suscité la perplexité puis des tentatives de reformulation, engagées ici-même et réunissant chaque fois de très larges majorités.
Les faits sont là ! Le rythme des investissements dans les infrastructures du très haut débit ainsi que la sélection des territoires où ils ont lieu laissent présager non seulement un échec de l'équipement numérique du pays, mais encore une aggravation de la fracture numérique. On dira que cette situation s'inscrit dans une contre-performance européenne patente… Cela ne me satisfait pas.
Tandis que l'Europe se livre à une dangereuse régression, quasi infantile, le reste du monde, comme vous venez de le constater vous-même, madame la ministre, avance puissamment. Il faudrait d'ailleurs tout faire pour que le très haut débit soit réellement considéré comme une nouvelle frontière par une Europe qui a bien besoin d'un nouvel élan.
Pendant que vous précisiez, madame la ministre, ce qui allait devenir la feuille de route, nous avons cherché de notre côté à évaluer la cohérence entre le cadre du déploiement du très haut débit tel qu'il a été défini et les compétences ouvertes aux collectivités territoriales – ou, si l'on est moins positif, mises à leur charge – pour moderniser l'équipement numérique de notre pays.
Je voudrais avant tout rappeler un point tout à fait essentiel. Le cadre qui valait pour le haut débit, innovation incrémentale par excellence, aux coûts de déploiement relativement modérés, est tout à fait inadapté au très haut débit, innovation radicale qu'il faut en quelque sorte arracher au terreau du numérique. C'est pour avoir feint de ne pas le comprendre que le précédent gouvernement a entériné un cadre de régulation dont toutes les composantes recelaient la promesse d'un échec doublé d'une fracture numérique qui, s'ajoutant aux fractures territoriales, est cruellement ressentie par les populations des territoires les moins denses.
En effet, ce cadre a acté à la fois la séparation du territoire entre les zones d'intérêt commercial et les zones concédées aux collectivités territoriales ; l’interdiction de l'accès à une péréquation de premier rang dans laquelle les collectivités territoriales auraient pu puiser les financements nécessaires à leurs réseaux d'initiative publique ; enfin, le choix de la concurrence entre les opérateurs privés de l'écosystème numérique, concurrence atténuée par de trop faibles outils de mutualisation.
Ce cadre a été la porte ouverte à la concentration des investissements sur quelques parties du territoire, à leur duplication et à des stratégies de marché excluant toute considération de l'objectif de la politique publique d'équipement numérique du pays.
Au contraire, madame la ministre, la feuille de route que vous avez conçue répond largement à la préoccupation de surmonter ces failles et de sortir de l'inertie à laquelle le très haut débit se trouvait condamné.
Il me plaît de le souligner, madame la ministre, c'est une bonne nouvelle pour les collectivités territoriales. Vous devez savoir, que, sans rien devoir à l'État, celles-ci sont prêtes à œuvrer pour répondre à la très forte et très légitime demande sociale qui résulte des besoins de nos concitoyens et, surtout, de nos entreprises.
Nous sommes également rassurés par la réaffirmation de l'engagement financier de l'État annoncée par le Président de la République lors de son déplacement en Auvergne. Elle témoigne d'une fidélité, dont nous ne doutions d’ailleurs pas, à un engagement qui est, de notre point de vue, un élément important du pacte de croissance conclu au bénéfice du pays.
Bien sûr, il faudra continuer à conduire une politique agile et donc – j’y insiste – évolutive.
L'obsolescence du réseau de cuivre devra être rapidement décidée et programmée. C'est une condition sine qua non du succès du très haut débit. Nous suivrons avec attention l'expérimentation conduite à Palaiseau et nous comptons sur des résultats pleinement transparents. Nous serons également très attentifs aux travaux de la mission, dont vous avez annoncé la création, sur l’extinction du réseau de cuivre, à laquelle il faut absolument que le Parlement soit associé de très près.
Le basculement du cuivre vers la fibre doit être accompagné des mesures nécessaires pour que le statut d’opérateur d’opérateurs des collectivités territoriales ne soit pas un handicap structurel pour conduire leurs projets.
Disons-le, les collectivités territoriales sont à l’évidence les investisseurs les plus disposés à contribuer à la réalisation des ambitions d’une politique nationale d’équipement numérique. Il faut tout faire pour ne pas les décourager, ce qui signifie, madame la ministre, qu’il faut les sécuriser et les aider. Nous attendons de la régulation qu’elle consolide les perspectives financières des investissements des collectivités.
Le choix de la fibre, qui est le vôtre et qui répond aux vœux du Sénat, devra se traduire par une définition très précise des situations où un panachage technologique se révélera justifié, car nécessaire.
Plus globalement, nous devons partir de l’objectif d’un véritable très haut débit et écarter la tentation de l'affadissement technologique, dont l’Europe vient de donner l’exemple en fixant à 30 mégabits par seconde le seuil du très haut débit. Il en va de la sobriété financière de l'équipement numérique à long terme. Il en va aussi de la cohérence du projet de la fibre pour tous et de la crédibilité de la politique industrielle qu'il implique.
Le calibrage du financement public devra évoluer afin de tenir compte des investissements effectivement réalisés par les opérateurs privés. Nous tenons beaucoup, madame la ministre, à ce qu'il intègre les ressources qui seront nécessaires aux collectivités territoriales pour aboutir à une véritable égalité des territoires. Les taux de subventionnement par l'État devront être modulés en conséquence afin que l'effort contributif des collectivités territoriales soit le plus égal possible.
Il faut aussi considérer que les fonds publics que l'État consacre au très haut débit doivent être mis à niveau. À ce stade, le bouclage financier de la feuille de route n'implique pas de mobiliser le levier des prélèvements obligatoires. Mais il ne faut pas insulter l'avenir. Le rapport que nous avons proposé au Sénat envisage un certain nombre d'hypothèses qui procèdent de cet état d'esprit. On y trouve quelques pistes de financement qui pourront être utiles en cas de nécessité, et je suis certain qu’il faudra les mettre en œuvre à moment donné.
Rappelons-nous que les tarifs des abonnements numériques français sont sans doute les plus bas au monde. Sachons vérifier que le surplus du consommateur engendré par la concurrence tarifaire est durable et qu'il ne se paye pas par des retards dans le rythme d'investissement. N'oublions pas que les passagers clandestins des infrastructures du net existent aussi bien que ceux des maisons d'édition et qu'ils sont en outre fréquemment localisés dans des zones fiscales que l'exemple chypriote devrait par ailleurs nous inciter à ramener à la raison.
Madame la ministre, vous avez commencé à donner une vraie substance à notre préconisation d'un retour de l'État stratège. N'oubliez pas que celui-ci a plus de responsabilités que de prérogatives et qu’il lui faut en particulier concilier une légitime préoccupation de cohérence avec les libertés locales, sans lesquelles le formidable dynamisme des collectivités risquerait d'être étouffé. Plutôt que de nous contraindre, de nous engoncer dans des cadres conçus dans les bureaux parisiens, libérez-nous, madame la ministre ! §
Monsieur le président, j'en aurai terminé quand j’aurai remercié la conférence des présidents d'avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour et formulé le souhait que notre Haute Assemblée persévère à exercer, de manière continue, son rôle de conseil de surveillance de la politique publique qui doit nous permettre de rejoindre la frontière technologique du très haut débit et, plus largement, du numérique sous tous ses aspects. §