Intervention de Pierre Hérisson

Réunion du 2 avril 2013 à 14h30
Débat sur l'action des collectivités locales dans le domaine de la couverture numérique du territoire

Photo de Pierre HérissonPierre Hérisson :

Le précédent Président de la République s’était donné l’ambition de doter les Français du très haut débit à l’horizon de 2025. Le candidat François Hollande a fait un peu de surenchère en avançant le terme à 2022, mais campagne électorale oblige et je ne ferai pas davantage de commentaires sur ce point.

Pourtant, le slogan « le très haut débit pour tous » se révèle déjà une forme de pavillon, peut-être de complaisance, sous lequel peuvent naviguer bien des réalités.

Ceux qui croyaient qu’on allait leur ouvrir l'accès à un débit minimal de 100 mégabits par seconde devront déchanter. Vous n'avez pas été pour rien dans cette croyance, madame la ministre, en répétant à l'envi qu'avec le très haut débit il s'agissait de « la fibre pour tous ».

Déjà, l'ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, avait abaissé sa norme de référence à 30 mégabits par seconde dès qu’avait été connue la position de la Commission européenne, qui n’a cessé d’élargir, en passant par la « case » 50 mégabits par seconde, la définition du très haut débit.

C’est une première observation, à propos de laquelle nous pouvons tous nous rejoindre, et une tendance que nous devons contester.

Madame la ministre, alors que vous revenez d’un pays qui vous est cher et où l’on calcule en gigabits, nous discutons aujourd'hui de débits de vingt mégabits à cinquante mégabits par seconde : nous sommes déjà en décalage par rapport à l’avenir !

Pour que cette norme n’apparaisse pas comme un sommet inaccessible pour nos compatriotes vivant en dehors des agglomérations, il vous faudra rapidement clarifier vos choix technologiques et la géographie de leur diffusion, clarification indispensable pour les collectivités territoriales, qui doivent être mises à même de mettre en œuvre des projets réalistes, mais également sécurisés.

Je suis personnellement favorable à un panachage technologique clair qui, pour s’inscrire dans la perspective d’une ambition de débits élevés, me semble imposé par le bon sens et le souci d’économie des deniers publics ; nous y reviendrons dans quelques instants.

Je suis également attaché, comme Yves Rome, à ce que l’État ne laisse pas les collectivités territoriales prendre des risques inconsidérés. Vous avez indiqué, madame la ministre, assumer l’héritage que vous avez trouvé à votre arrivée. Vous avez tourné le dos à la politique de la table rase, ce qui est un choix fort que je salue. Il n’en reste pas moins, l’expérience l’a montré, que la combinaison de ce que nous avons appelé un « oligopole déséquilibré » avec un « monopole contrarié », celui des collectivités locales, a résisté aux instruments mis en place par le régulateur et a abouti à des situations sous-optimales.

Le système de régulation mis en place par la précédente législature, qui repose sur un processus de réactualisation en continu des analyses de marché, avait pour vocation de corriger, si nécessaire, les imperfections observées. De l’analyse que nous avons proposée dans notre rapport, il ressort clairement que les incitations à la mutualisation doivent être renforcées, sauf à accepter des duplications inutiles, et que la protection des investissements des collectivités territoriales doit être améliorée. Il s’agit vraiment d’une urgence.

Je ne suis pas sûr que la feuille de route soit au rendez-vous de toutes ces exigences, mais, chemin faisant, elle pourra être renforcée.

Nous verrons bien si la perspective que les collectivités prennent le relais de leurs engagements dans les zones dites d’appel à manifestations d’intentions d’investissement, ou AMII, aura un effet sur les opérateurs privés.

Nous serons attentifs aux conditions dans lesquelles vous assurerez la cohérence entre les différents réseaux, madame la ministre, qu’il s’agisse de fibre, de cuivre, de câble ou d’autres technologies.

Nous ne voyons pas ce que vous proposez pour assurer aux collectivités territoriales une position commerciale assez forte pour élever la disposition à payer des opérateurs auxquels elles offrent leurs projets d’infrastructure.

Au demeurant, nous voudrions que vous nous convainquiez que les zones les plus déshéritées du numérique seront aussi les premières servies.

Dans les objectifs intermédiaires pour 2017 d’une couverture de la moitié des foyers français par le très haut débit ou, si j’ai bien compris, par le haut débit de qualité – il faudra nous dire ce que vous entendez par là –, combien de foyers ruraux avez-vous pour ambition de rendre éligibles ? Cela aussi, il faut nous le dire, madame la ministre !

Permettez-moi d’ajouter que nous serons très vigilants sur les indicateurs de votre politique et que l’atteinte d’un taux d’éligibilité ne nous suffira pas. Nous veillerons à ce qu’il ne s’agisse pas d’une éligibilité de façade, si j’ose dire, et que le très haut débit ne dorme pas sous les trottoirs de Paris, de Lyon ou de Lille, mais passe le seuil et monte dans les appartements et équipe les entreprises !

Pour cela, nous le savons, il faudra des financements et, sur ce point, madame la ministre, il y a de quoi nourrir quelques inquiétudes.

La première d’entre elles est assez technique : pouvez-vous nous rassurer quant aux effets du basculement vers la fibre sur le produit de la composante « télécommunication » de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, l’IFER ? Il y va d’une recette des collectivités territoriales de plus de 400 millions d'euros en 2012.

Au-delà, le besoin de financement public est au cœur de l’équation. Il dépend des équilibres économiques qui conditionneront les retours commerciaux des investissements.

Incidemment, je relève l’intérêt qui s’attacherait à ce qu’ailleurs, comme pour la question qui nous occupe, se développe une réflexion de fond sur la contribution des réformes structurelles à la résolution de notre contrainte financière.

Cela étant dit, je me demande si le cadrage financier que vous nous avez présenté respecte les obligations concurrentielles européennes.

Comme vous le savez, l’estimation du coût du déploiement du très haut débit varie considérablement. Se fonder sur un chiffre de 20 milliards d’euros, comme vous le faites, implique des choix technologiques qui écartent la mise à disposition de la fibre pour une proportion élevée de nos concitoyens. Je vous serais reconnaissant de nous préciser quel taux d’éligibilité à la fibre vous visez réellement en nous donnant toutes les informations nécessaires afin que nous soyons informés, territoire par territoire, de votre cible.

Par ailleurs, il faut considérer que nos concitoyens auront individuellement à assumer le financement du dernier segment de raccordement. Comment concilierez-vous ce choix avec le principe d’égalisation du pouvoir d’achat du très haut débit ?

Qui assumera le coût de l’extinction du cuivre, madame la ministre ? Avez-vous quelques estimations de la perte d’actif que cela représente pour l’opérateur historique ? Incluez-vous ce coût dans les 20 milliards d’euros ? Je crains que non…

Enfin, que ferez-vous si les 14 milliards d’euros que vous escomptez voir les opérateurs privés investir dans la nouvelle infrastructure ne sont pas engagés ? La feuille de route évoque la prise de relais par les collectivités territoriales, …

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