Vous avez eu à l’égard du travail sénatorial, madame la ministre, des mots extrêmement durs. Vous avez qualifié notre proposition de loi d’« idéologique et court-termiste », vous avez jugé que les mesures que nous avions adoptées à la quasi-unanimité étaient « inutiles », « inefficaces » et posaient des problèmes de « constitutionnalité » ; vous avez également indiqué que le texte était « sous-dimensionné et décalé », bel hommage rendu au travail du Sénat !
Ce qui m’a frappé, c’est que vous avez déposé des amendements de suppression de tous les articles, y compris de certains articles qui émanaient de mes collègues socialistes Michel Teston et Pierre Camani, en employant presque mot pour mot les arguments de votre prédécesseur, Éric Besson, arguments bien connus puisque ce sont ceux des opérateurs.
De cette date, j’ai dû conclure qu’il n’y aurait pas de changement mais uniquement un renoncement.
La suite des événements m’a malheureusement conforté dans cette analyse. Plutôt que de vous appuyer sur le travail des parlementaires, vous avez nommé un fonctionnaire, M. Darodes, que je n’ai pas eu le bonheur de rencontrer, afin de conduire une mission qui nous a été présentée lors d’une réunion dite « de concertation », au cours de laquelle ceux qui étaient présents ont pu constater qu’il était impossible de s’exprimer : nous étions une centaine dans une pièce avec un créneau de parole extrêmement limité. J’ai donc renoncé à parler et vous ai adressé par écrit mes remarques. Je n’ai pas eu de réponse, mais, là aussi, je suis habitué…
Sur le fond, qu’en est-il de la feuille de route, puisque c’est en définitive l’essentiel ?
Celle-ci n’aborde pas la question du haut débit, alors qu’un quart des Français n’ont même pas accès à une connexion de deux mégabits par seconde et que vous convenez vous-même qu’il faudrait un débit de l’ordre de trois mégabits à quatre mégabits par seconde.
La feuille de route n’aborde pas non plus la question de la téléphonie mobile, alors que de nombreux territoires ne sont toujours pas couverts, bien qu’ils soient considérés comme tels – c’est là le pire ! Dans l’Eure, le département dont je suis élu, aux yeux de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, et de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR, il n’y aucun problème de couverture numérique du territoire en matière de téléphonie mobile.
Je vous invite à vous rendre dans ce département, où il n’est pas besoin d’aller bien loin pour trouver des zones non couvertes !
En matière de très haut débit, vous aviez annoncé, et nous nous en réjouissions, madame la ministre, le retour de l’État stratège – nous avions déploré son absence dans le plan du précédent gouvernement –, mais, dans les faits, on n’assiste à rien de tel.
Vous vous contentez de créer une série de comités : un comité très technique – c’est très bien, et sa création figurait d’ailleurs dans notre proposition de loi –, un observatoire – c’est peut-être bien aussi – et des comités locaux, eux totalement inutiles, voire négatifs.
Pour le reste, l’État ne retrouve aucun pouvoir. Or il aurait au moins fallu qu’il se porte garant du déploiement. La couverture numérique du territoire dépend en réalité du dynamisme des départements et de la mise en œuvre ou non de politiques ambitieuses par les conseils généraux. Dans ces conditions, la fracture numérique ne fera que s’accentuer au cours des années à venir.
Concernant le rééquilibrage entre opérateurs et collectivités locales, vous envisagez certes la contractualisation, que vous aviez condamnée à l’Assemblée nationale, mais vous ne prévoyez pas de sanction dans le cas où elle ne serait pas respectée. Dès lors, la contractualisation devient sans effet.
Vous n’évoquez pas non plus la possibilité de conduire des projets intégrés, pourtant demandés par les collectivités locales afin de permettre une péréquation entre les territoires rentables et ceux qui ne le sont pas, étant de surcroît précisé que l’Autorité de la concurrence a jugé qu’il était possible de mettre en place de tels projets.
Dans le même esprit, vous réaffirmez la primauté de la fibre, ce dont nous réjouissons, mais vous distinguez bien le très haut débit pour tous en 2022 de la fibre à terme, sans que l’on sache ce que cela signifie. Toutefois, cette distinction montre bien que les choses ne sont pas aussi claires que vous le dites.
En matière de financement, le flou est absolu, comme l’a dit mon collègue Pierre Hérisson en termes plus choisis que les miens. Vous évaluez à 20 milliards d’euros le coût du déploiement, montant qui peut être accepté, mais vous n’indiquez pas comment vous parviendrez à « boucler » le financement.
Vous dites que les opérateurs financeront le déploiement à hauteur de 6 milliards d’euros, mais comment le pourront-ils alors qu’ils n’investissent pour l’heure que 300 millions d’euros par an ?
Les collectivités participeraient dans les mêmes proportions, mais comment y parviendront-elles alors qu’elles sont étranglées du fait des baisses des dotations ?
Enfin, il est question que l’État mette péniblement sur la table 3 milliards d’euros…
En conclusion, le projet du Gouvernement ne permettra nullement d’atteindre les objectifs mentionnés par les rapporteurs dans leurs travaux ni d’ailleurs ceux qui étaient fixés dans les précédents rapports du Sénat.
J’avoue que je plains beaucoup mes collègues de la majorité, avec lesquels j’ai bien travaillé sur ces dossiers, qui, comme Yves Rome, sont aujourd'hui obligés de faire comme s’il y avait une différence entre le plan Besson et le plan Pellerin.