Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je suis heureux de retrouver les rapporteurs Yves Rome et Pierre Hérisson. Un autre orateur a laissé entendre qu’il était exceptionnel de confier un rapport à deux sénateurs de sensibilité différente, mais cette pratique a toujours eu cours au Sénat ! Le rapport de nos collègues pose fort bien le problème et ils ont su nous faire toucher du doigt l’enjeu de ces prochaines années en matière de développement économique et d’équilibre de nos territoires.
Cet enjeu est celui du développement rapide et équilibré du très haut débit. C’est une chance à ne pas laisser passer si nous voulons regagner des parts de compétitivité. Après le choc de compétitivité et le choc de la simplification normative, nous allons peut-être connaître le choc du très haut débit ! En effet, chaque intervenant a pu remarquer que, sans l’intervention des collectivités locales, et notamment des départements, le développement du haut et du très haut débit sur nos territoires n’aurait pas eu lieu.
Le président Hollande s’est engagé à doter, d’ici à 2022, l’ensemble du pays d’un accès au très haut débit. Je suis curieux de connaître le contenu exact des moyens qui seront mis en œuvre. Comme mon collègue Hervé Maurey, je n’ai rien vu venir, pour l’instant, en ce qui concerne le haut débit ou la téléphonie mobile. En matière de haut débit et de très haut débit, les populations expriment une forte attente et pourraient être très vite déçues si les engagements n’étaient pas tenus.
J’ai bien compris que l’on comptait, comme par le passé, sur les collectivités locales pour apporter une grande partie de la réponse. J’ai bien compris également que l’on comptait, dans l’acte III de la décentralisation, avant tout sur les départements qui se verraient attribuer une compétence en la matière. Pour moi, ce choix n’est pas neutre, car il exprime la reconnaissance du savoir-faire, de la proximité et de la capacité des départements à être de véritables acteurs de l’économie.
Dans le cadre de cet acte III, il serait bon que le pouvoir réfléchisse bien avant d’exclure les départements de l’économie. L’économie de la proximité, l’économie du réel, l’économie du quotidien sur nos territoires, ce sont les départements !
Nous savons fort bien que les modèles qui sous-tendent aujourd’hui les déploiements des infrastructures de télécommunications fixes et mobiles risquent de créer, dans les mois et les années à venir, de fortes disparités entre les différents territoires qui auront décidé d’intervenir – ou pu intervenir – de manière significative et ceux qui auront laissé faire le marché.
Les collectivités locales sont donc contraintes d’intervenir en bâtissant des réseaux d’initiative publique, ne serait-ce que pour conserver l’attractivité de leur territoire. Mais une telle intervention ne pourra réellement être efficace que si un certain nombre de conditions sont réunies.
Toutefois, il ne faudrait pas que la réalisation de projets de compétence départementale soit suspendue à la conclusion d’accords régionaux.
Je souhaite vous faire part de quatre propositions.
Premièrement, le recours au cofinancement des réseaux d’initiative publique doit être facilité. Il faut, certes, des subventions, comme celles qui ont été instaurées avec le FSN, le Fonds national pour la société numérique, mais nous demandons aussi que ces aides soient pérennisées sur la durée des projets. Le FSN ne finance, par exemple, que les cinq premières années de déploiement.
Il faut aussi pouvoir accéder à des prêts à très long terme à des taux attractifs pour financer des investissements qui vont s’étaler sur dix à vingt ans.
La Banque européenne d’investissement donne aujourd’hui une enveloppe globale à l’échelle régionale qu’il est ensuite très difficile de flécher sur tel ou tel projet. Il faut plus de souplesse et il faut simplifier le recours à ces fonds pour toutes les collectivités.
Deuxièmement, le rôle des opérateurs est souvent illisible pour les élus locaux.
La logique qui sous-tend les investissements des opérateurs n’a plus rien à voir avec l’aménagement numérique d’un territoire. Que ce soit pour les réseaux de fibre à l’abonné ou mobiles, les opérateurs n’investissent aujourd’hui que dans des zones denses, qui sont déjà fort bien pourvues. À tel point que dans les immeubles équipés en fibre à l’abonné à Orléans ou dans les grandes métropoles, l’appétence pour la fibre demeure faible puisque les foyers disposent déjà du confort que procure un accès ADSL d’excellente qualité.
Même si, avec le temps, ces investissements s’avéreront globalement profitables, il faut aujourd’hui faire le deuil du modèle qui a permis à l’opérateur historique d’amener le téléphone dans tous les foyers à la fin des années soixante-dix.
Troisièmement, la réglementation et le rôle de l’ARCEP doivent évoluer.
Le cadre d’intervention des acteurs sur ce sujet est très fortement structuré par le cadre européen. L’ARCEP a essentiellement pour rôle de transcrire et d’adapter la réglementation européenne à l’échelle nationale. Il faut que l’intérêt général soit mieux valorisé dans cette réglementation.
La logique qui prévaut aujourd’hui conduit à des aberrations. Je prendrai l’exemple d’Amilly, dans l’agglomération de Montargis. L’opérateur historique pourrait être contraint, au titre du service universel, de réaliser une opération lourde consistant à créer un nouveau central téléphonique dans une zone fort bien pourvue en haut débit. Or cet opérateur ne serait pas autorisé à modifier légèrement son réseau téléphonique pour permettre à un quartier de cette même commune de disposer d’un haut débit de meilleure qualité. Comment les élus peuvent-ils comprendre cela ? Le cloisonnement des marchés issu des analyses menées par l’ARCEP et les principes qui sont à la base de la réglementation nationale et européenne mènent, et continueront de mener, à de telles aberrations.
Quatrièmement, il faut rétablir un équilibre entre collectivités et opérateurs.
Toute cette complexité impose aux collectivités voulant intervenir un recours systématique à des conseils, qui représentent, au bout du compte, des postes budgétaires significatifs. Outre qu’il faut simplifier le modèle d’intervention des collectivités, il importe aussi d’aider les décideurs territoriaux à mieux comprendre pourquoi et comment agir. Des guides existent ; je pense notamment à ceux qui sont édités par le Centre d’études techniques de l’équipement – CETE – de l’Ouest, l’ARCEP ou des associations comme l’Avicca – Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel – ou la FNCCR – Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Dans les préfectures de région, les Secrétariats généraux pour les affaires régionales, les SGAR, mettent à disposition leur expertise sur ces sujets. La mutualisation entre collectivités permet aussi de bénéficier des expériences des territoires voisins.
En résumé, je vous propose que le recours au cofinancement des réseaux d’initiative publique soit facilité, que le rôle des opérateurs soit rendu plus lisible pour les élus locaux, que la réglementation et le rôle de l’ARCEP évoluent et qu’un équilibre entre collectivités et opérateurs soit rétabli.
Dans l’introduction de son propos, Yves Rome nous a dit que, avant, tout était mauvais et que, maintenant, tout est bon – je le reconnais bien là –, je demande à voir. Il est toujours facile de dire en amont du problème que tout va être résolu. Mieux vaut juger après. Mais comme l’a indiqué notre collègue Leroy, votre feuille de route ne renie pas le passé. J’emprunterai plutôt ma conclusion à David Assouline : le scénario du succès reste à écrire, madame le ministre. §