Intervention de Jacques Berthou

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 2 avril 2013 : 1ère réunion
Approbation de l'accord entre la france et l'inde relatif à la répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacques BerthouJacques Berthou, rapporteur :

Nous sommes appelés à nous prononcer sur un projet de loi autorisant l'approbation d'un accord avec l'Inde sur la répartition des droits de propriété intellectuelle dans le domaine du nucléaire civil.

Cet accord a été conclu en application d'un accord-cadre plus général, signé en 2008, de coopération nucléaire. Le nucléaire est, avec la défense et l'espace, l'un des trois grands axes du partenariat stratégique conclu avec l'Inde en 1998.

Cet accord permettra, dans la mesure du possible, de régler les défis posés par la loi indienne en matière de propriété intellectuelle dans le nucléaire civil, et d'établir un cadre favorable permettant de développer l'activité des entreprises françaises dans un secteur particulièrement prometteur.

Tout d'abord, quelques mots sur l'enjeu énergétique en Inde.

Même si elle a quelque peu faibli ces dernières années, la croissance de l'économie indienne, portée par une démographie qui fera de ce pays le plus peuplé de la planète après 2020, est une croissance à deux chiffres ces dix dernières années. Malgré un récent fléchissement lié à la crise économique, sur le moyen terme le FMI prévoit une croissance future de 8 % par an en moyenne.

L'Inde, qui est aujourd'hui le 7e producteur mondial d'énergie en est surtout aujourd'hui le 3e consommateur. Pourtant, la consommation par habitant reste 3 fois inférieure à la moyenne mondiale et 15 fois moindre à celle des États-Unis. 2/3 de la population indienne a toujours recours aux matériaux traditionnels pour cuisiner et se chauffer. Les besoins énergétiques devraient donc doubler à l'horizon 2035. La demande augmente déjà de 8 % par an.

Ces chiffres qui donnent le vertige expliquent pourquoi le contexte électrique est très tendu en Inde. Le pays a connu une coupure d'électricité géante à l'été 2012, affectant durant trois jours la moitié nord du pays, avec en outre, des compagnies de distribution d'électricité en faillite virtuelle et pour lesquelles le gouvernement vient de décider d'un plan de sauvetage.

Le pays a aussi besoin d'un nouveau «mix énergétique », car aujourd'hui la production est issue pour près de la moitié de centrales au charbon. Compte tenu de sa croissance élevée depuis 10 ans, l'Inde est devenue le troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre en volume, derrière les États-Unis et la Chine, devant la Russie. Toutefois, une fois les émissions rapportées à son immense population, elle se trouve au niveau d'un pays africain.

Bien que la conscience des enjeux environnementaux ait progressé en Inde, la pénurie d'énergie est un enjeu plus immédiat et plus important politiquement. Le développement économique est la priorité du gouvernement (800 millions de personnes sur 1,2 milliard gagnent moins de 2$ par jour). Le manque d'énergie est aussi un problème pour l'agriculture et pour la sécurité alimentaire, vrai grand défi de l'Inde demain.

Le Gouvernement veut agir à la fois en modernisant les centrales thermiques existantes, en développant la production d'énergie solaire et éolienne, en construisant des barrages hydroélectriques, notamment sur le fleuve Narmada, et en relevant de 3 à 20 % la part du nucléaire dans la production énergétique à l'horizon 2050. Ce qui fait de l'Inde le deuxième marché pour l'énergie électronucléaire après la Chine.

C'est dans ce contexte qu'ont été adoptés l'accord-cadre sur le nucléaire de 2008 et l'accord de décembre 2010 aujourd'hui soumis à la ratification du Sénat.

La coopération nucléaire avec l'Inde n'était plus possible après les essais nucléaires de 1974 et de 1998 mais, à la suite d'un moratoire sur les essais et d'engagements pris par l'Inde sur la séparation des activités civiles et militaires et sur la possibilité pour l'AIEA de contrôler ses installations, la coopération internationale a repris en 2008 avec la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et la Russie.

Dans ce cadre, les projets sont nombreux. AREVA et Alstom sont en discussion avec l'électricien nucléaire indien NPCIL pour la fourniture, sur le site de Jaitapur, de 2 (puis éventuellement 4 autres) réacteurs EPR et du combustible associé.

Après le contexte, j'en viens au contenu de l'accord. C'est assez simple : il vise à contourner autant que faire se peut la législation indienne pour protéger la propriété intellectuelle de nos organismes et entreprises en matière de recherche sur le nucléaire civil.

En effet, cette loi interdit la délivrance en Inde de brevets portant sur l'énergie nucléaire. En outre, l'obtention préalable du gouvernement fédéral est requise pour pouvoir déposer même à l'étranger les résultats issus de recherches effectuées en Inde en matière nucléaire.

Ces dispositions résultent de modifications apportées en 2005 pour répondre au refus de levée d'embargo sur certaines matières. À ce stade, l'Inde refuse de modifier les dispositions de la loi sur la propriété intellectuelle tant que l'embargo n'est pas levé.

Dans ce contexte, il fallait distinguer entre l'objectif idéal qui consistait à obtenir une modification (très improbable) de la loi indienne et un compromis, élaboré d'ailleurs avec les acteurs français du nucléaire civil, visant à obtenir l'engagement a priori du gouvernement indien qu'il ne s'opposera pas à la protection à l'étranger des résultats de recherche issus d'une coopération franco-indienne. C'est l'objet du présent texte, qui concerne les recherches du CEA, de l'autorité de sûreté nucléaire, de l'IRSN (institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), de l'ANDRA (agence des déchets radioactifs), d'AREVA, d'Alstom, d'EDF, d'Onet technologies et d'une centaine de sous-traitants.

Je termine en vous disant que tous les problèmes ne sont pas réglés : en particulier la législation indienne sur la responsabilité civile en matière nucléaire n'obéit pas au principe habituel de canalisation de la responsabilité sur l'exploitant et exposerait nos fournisseurs à un risque qu'ils ne sont pas encore en mesure d'évaluer ni de chiffrer aujourd'hui. Vous trouverez des développements sur cette question toujours pendante dans le rapport écrit.

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