Intervention de Robert del Picchia

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 2 avril 2013 : 1ère réunion
Approbation du protocole commun relatif à l'application de la convention de vienne et de la convention de paris — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, vous m'avez chargé de rapporter ce protocole relatif à l'application réciproque de deux régimes conventionnels de responsabilité civile nucléaire.

Il s'agit d'une convention technique pour laquelle je vais m'efforcer d'être le plus pédagogique possible.

Il existe aujourd'hui dans le monde trois catégories de pays qui disposent sur leur territoire d'installations nucléaires.

Vous avez les pays qui ont adhéré à la Convention de Paris, signée dans le cadre de l'OCDE en 1960.

Vous avez les pays, essentiellement dans l'Europe de l'Est, qui ont adopté la convention de Vienne en 1963 dans le cadre de l'agence internationale de l'Energie atomique.

La troisième catégorie de pays sont les pays qui n'ont adhéré à aucune convention internationale et qui ont adopté des régimes juridiques nationaux, c'est le cas du Japon et des Etats-Unis par exemple.

Dans tous les cas de figure, ces régimes juridiques reposent sur cinq principes fondamentaux que l'on retrouve dans les trois type de régime juridique sous une forme ou une autre.

Ces principes organisent la responsabilité des opérateurs en cas d'accident :

1/ Une responsabilité objective sans faute. L'exploitant est responsable de tous les dommages aux personnes et aux biens provoqués par un accident sans que les victimes aient besoin de démontrer une faute. En bref, il suffit d'établir un lien de causalité entre l'accident et le préjudice subi pour engager la responsabilité de l'exploitant.

2/ Une responsabilité exclusive canalisée sur le seul exploitant de l'installation nucléaire. Ce principe évite toute recherche de responsabilité dans les fournisseurs ou sous-traitants pour garantir un traitement rapide des contentieux.

3/ Une responsabilité limitée dans la durée et plafonnée dans le montant des réparations à la charge de l'exploitant. En contrepartie des deux premiers principes, les exploitants bénéficient d'une limitation de leurs responsabilités dans le temps et sur un montant donné.

4/ Une garantie financière obligatoire pour l'exploitant afin de prévenir son insolvabilité.

5/ Une unité de juridictions conférant aux seuls tribunaux de l'Etat sur lequel l'accident est survenu compétence pour évaluer les réparations.

Le principal intérêt de ces conventions est de garantir à chaque Etat partie que ses ressortissants seront indemnisés si un accident nucléaire dans un autre pays a des conséquences sur son propre territoire.

Si demain survient un accident nucléaire en France dont les conséquences s'étendraient au-delà des Alpes vers l'Italie, les Italiens seraient protégés par la Convention de Paris et indemnisés pour les dommages causés, aussi bien aux personnes qu'aux biens, et inversement si cela se passait en Italie avec des vents contraires. C'est cette protection réciproque qui fait l'économie principale de ces conventions et leur intérêt.

Des raisons historiques, la guerre froide et la séparation de l'Europe en deux camps, a conduit, dans les années 60, à développer deux régimes internationaux qui ont chacun leur spécificité même s'ils sont articulés autour des cinq principes que je vous ai cités.

En 1986, l'accident de Tchernobyl a fait prendre conscience à tout le monde que les nuages radioactifs ne connaissaient ni les clivages idéologiques ni les frontières internationales. D'ailleurs à l'époque, l'Ukraine n'était partie à aucune convention, si bien qu'aucune victime en dehors de l'Ukraine n'aurait pu faire valoir ses droits.

Ce constat a conduit nos gouvernements à considérer qu'il fallait mettre en place une passerelle juridique qui permette aux victimes de bénéficier de façon réciproque des dispositions figurant dans chaque convention.

C'est l'objet du présent protocole. Ce protocole étend la couverture géographique des régimes de responsabilité à l'ensemble des Etats et parties prenantes d'une des deux conventions. C'est pourquoi ce protocole constitue une avancée concrète pour la protection des citoyens français qui se voient ainsi protégés d'accidents qui pourraient survenir dans des installations nucléaires de pays membres de la convention de Vienne. Je pense notamment à la Bulgarie et à la Slovaquie qui ont des installations nucléaires.

Cette avancée constitue la principale raison pour laquelle je vous propose d'adopter ce protocole sans aucune réserve.

La deuxième raison est que l'adoption de ce protocole permettra à la France de plaider plus efficacement dans des enceintes internationales en faveur de l'adhésion par tous les pays à une convention internationale de responsabilité nucléaire, que ce soit la convention de Paris ou la convention de Vienne. Dans un monde idéal, il aurait été sans doute préférable de renégocier un régime international unique auquel tous les pays détenteurs d'installations nucléaires adhèreraient. Mais voilà il y a l'histoire, des sensibilités différentes de chacun des pays et il est apparu plus pragmatique, plus efficace et plus rapide de créer un pont entre ces deux conventions qui rassemblent pour la convention de Paris, 16 pays, et pour la convention de Vienne, 38 pays, dont la moitié n'ont pas d'installations nucléaires, soit en tout 54 pays. Avec ce protocole, on a donc presque un régime mondial de responsabilité civile nucléaire. Il reste que la moitié des pays faisant appel à l'énergie nucléaire n'ont pas adhéré à un de ces deux régimes, c'est pourquoi il convient de promouvoir une adhésion plus large à ces conventions. Pour promouvoir cette adhésion, il fallait au minimum que nous ayons adopté le protocole commun qui nous lie ainsi à l'ensemble des pays parties à la convention de Vienne.

Voilà mes chers collègues les raisons qui me conduisent à vous proposer d'adopter cette convention.

Je ne serais pas exhaustif si je ne disais pas que la France s'est par ailleurs engagée lors des négociations à déposer une réserve de réciprocité pour ne s'engager auprès des Etats à la convention de Vienne qu'à la hauteur du montant financier que ces derniers offriraient à la France. En effet, il y a une disproportion forte entre le niveau de responsabilité des exploitants prévu par la loi française et par la loi bulgare ou slovaque. Le rapport est de 1 à 2 et pourrait s'accroître avec la révision du plafond de la responsabilité de l'exploitant en France qui devrait être augmentée substantiellement avec l'entrée en application de plusieurs autres protocoles, dits de 2004.

Voilà mes chers collègues ce qu'il faut retenir de cette convention que je vous propose d'adopter.

Vous en avez cependant pas fini avec cette convention, vous ne seriez pas entièrement éclairé, si je ne vous disais pas que l'examen de cette convention m'a permis de prendre conscience que le régime juridique actuellement en vigueur en France sur la responsabilité civile nucléaire est tout à fait insuffisant.

Je voudrais en donner quelques exemples sans m'attarder trop longtemps dans un domaine qui relève de la compétence d'autres commissions que la nôtre.

Aujourd'hui, la responsabilité de l'exploitant d'une installation nucléaire et de l'Etat en cas d'accident est plafonnée à 348 millions d'euros. Ce montant est tout à fait insuffisant. L'IRSN a récemment évalué le coût d'un accident nucléaire mineur à 70 milliards d'euros. On parle aujourd'hui à Fukushima de plus de 300 milliards d'euros.

Le droit français actuel ne prévoit l'indemnisation du dommage corporel que dans les 10 ans qui suivent l'accident alors qu'il est aujourd'hui établi que les maladies radio-induites peuvent survenir après ce délai. La loi ne prévoit pas non plus de couverture des préjudices à l'environnement. La Cour des comptes a établi un rapport soulignant les limites importantes du droit actuel que je reprends dans mon rapport écrit.

Alors je vous rassure, ces limites sont connues et la France a ratifié les protocoles de 2004 qui constituent une amélioration substantielle du droit positif. Les protocoles de 2004 prévoient notamment un relèvement du plafond des responsabilités à 700 millions d'euros, une extension du champ du dommage couvert, notamment la prise en charge de la restauration de l'environnement ainsi que du délai de prescription pour les dommages corporels qui passe de 10 à 30 ans.

Le problème c'est que ces protocoles de 2004 ne sont pas encore applicables car la commission européenne a imposé que leur entrée en application soit subordonnée à l'adoption de dispositions nationales dans l'ensemble des pays signataires. Or trois pays n'ont pas encore achevé le processus interne de ratification : la Belgique, le Royaume-Uni et l'Italie. On est dans une situation de blocage notamment parce que l'Italie, qui a prévu une sortie du nucléaire, semble peu pressée d'adopter les dispositions internes, même si elle s'est formellement engagée à aboutir avant décembre 2013.

En l'état des choses, rien n'empêche cependant le gouvernement de légiférer pour anticiper l'entrée en vigueur de ces protocoles qui auront des incidences majeures, notamment sur le marché assurantiel car l'extension des garanties des citoyens en matière de préjudices et de durée va mettre à l'épreuve la capacité des assureurs français à garantir les opérateurs.

Il est donc urgent que le gouvernement engage une réflexion de fond sur cette question et propose au Parlement un régime juridique plus protecteur des citoyens. Si vous en êtes d'accord, le rapport, rappellera cette urgence.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion