Intervention de Marie-George Buffet

Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage — Réunion du 20 mars 2013 : 1ère réunion
Audition de Mme Marie-George Buffet députée ancien ministre de la jeunesse et des sports

Marie-George Buffet :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je me félicite de cette commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage, et c'est bien volontiers que je vais essayer de répondre le plus précisément possible à vos questions.

Tout d'abord, je pense qu'il faut revenir sur le bien-fondé de ce combat. Ce n'est pas une évidence. Certains pensent que la pratique du dopage doit être banalisée, et que c'est là la rançon du sport tel qu'il se conçoit aujourd'hui.

Il faut également revenir sur les deux raisons fondamentales de cette loi que constituent l'intégrité physique et psychique des sportives et des sportifs eux-mêmes -la loi de 1999 est, en tout premier lieu, une loi santé publique- ainsi que sur la question des valeurs du sport, mais aussi des limites des performances. C'est une certaine conception de l'humanité que de ne pas demander à des individus d'aller plus loin que ce que leur corps, leur entraînement et leurs possibilités leur permettent !

La loi de 1999 a surtout fait avancer les choses parce qu'elle a donné des structures indépendantes à la lutte contre le dopage.

Lorsque je suis arrivée au ministère, c'est le ministre qui avait le dernier mot dans les sanctions ; qu'on le veuille ou non, un homme ou une femme politique qui doit sanctionner une sportive ou un sportif de haut niveau peut renoncer par crainte de l'opinion publique. Il m'est arrivé de devoir dire un jour à un champion de très haut niveau qu'il était interdit de compétition pendant deux ans. Il a eu une réaction extrêmement violente ! Tant que la décision n'était pas indépendante, le politique risquait de fléchir.

La sanction sportive me paraît importante et préférable à la sanction pénale. La sportive ou le sportif, même s'ils sont responsables, sont cependant des victimes.

La loi de 1999 n'aurait par ailleurs eu aucune valeur si on ne lui avait donné une dimension européenne. L'Europe ne reconnaissait pas, à l'époque, le sport comme l'une de ses compétences. Il a fallu tenir des réunions quasi clandestines des ministres des sports, puis des réunions informelles, afin que les États européens exercent une pression positive sur le Comité international olympique (CIO), pour obtenir la construction de l'Agence mondiale antidopage (AMA). Nous avons dû ensuite adosser l'AMA à l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), afin qu'elle dispose d'une autorité sur les différents pays. Il faudrait certainement, aujourd'hui, revisiter les pouvoirs et moyens de l'AMA.

Cette loi et la création de l'AMA ont permis des avancées. La première est peut-être la levée de l'impunité. Au lendemain des saisies opérées dans le sein de l'équipe Festina, lors du Tour de France 1998, dans le village du Tour, tout le monde pensait que cette affaire n'aurait pas de suite. Un membre du CIO a même dit, devant témoins : « Vous auriez dû me prévenir plus tôt : j'aurais tout de suite calmé la ministre » ! Chacun avait donc le sentiment qu'il s'agissait d'une chose banale et que l'on ne pouvait agir...

Les limites au dopage sont d'abord externes. Si l'on ne s'y attaque pas, notre lutte connaîtra toujours des échecs. Les limites externes, ce sont les enjeux financiers, qui traversent la pratique sportive. Les derniers en date sont les paris en ligne. A partir du moment où les investisseurs achètent des clubs pour le seul retour sur image, on subit automatiquement des pressions sur les résultats.

C'est aussi un problème de calendrier des compétitions sportives. Il faut que la puissance publique -en France, le ministère en a le pouvoir- puisse contrôler et réguler les compétitions sportives. On ne peut laisser aux seules fédérations les décisions en la matière.

Il faut également traiter le sujet de l'après-carrière sportive : on ne peut demander aux individus de régler eux-mêmes leur vie ; il faut les accompagner dans cette construction.

Il faut essayer de limiter l'instrumentalisation politique du sport -mais je ne sais si c'est ou non une utopie. Nous en avons un exemple frappant en ce moment, avec un État qui utilise le sport et achète tout un pan du sport et des compétitions sportives pour son rayonnement international. On a connu, à d'autres époques, des pays qui pratiquaient un dopage d'État, le résultat sportif étant la preuve du bien-fondé de leur politique !

Il faut aussi faire oeuvre de pédagogie auprès de l'opinion publique, le comportement par rapport aux performances poussant à aller toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus loin.

Des causes internes limitent également la lutte contre le dopage et, en premier lieu, l'attitude du mouvement sportif international, notamment des fédérations internationales, où l'engagement est inégal. Je ne citerai pas l'Union cycliste internationale (UCI), l'exemple ayant été abondamment utilisé... Dès qu'on a osé aborder la question du dopage dans le football, les réactions de la Fédération internationale de football ont ainsi été extrêmement fortes...

Les systèmes de dopage sophistiqués demandent de plus en plus de moyens aux laboratoires et aux agences indépendantes -contrôles inopinés, recherche, suivi longitudinal.

En France, la loi est basée sur le contrôle positif. L'Agence antidopage américaine (USADA), quant à elle, a pu confondre Lance Armstrong grâce aux témoignages et aux enquêtes. C'est une question pour l'avenir de la loi française. Avons-nous raison ? Faut-il évoluer ? Cela reste, pour moi, une question !

D'autre part, en matière d'encadrement, on ne peut en rester aux médecins d'équipe. C'est un problème de positionnement d'un certain nombre de médecins, on le voit dans toutes les affaires de dopage. Comment régler la question du rapport au médecin et à la performance dans les équipes ?

Enfin, la prévention est au point mort. La lutte contre le dopage et les personnes qui sont sur le terrain ont besoin d'un discours public extrêmement fort pour les accompagner !

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