Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je suis très honoré d'être invité par votre commission, qui me paraît totalement justifiée et fondée, après sept années de fonctionnement de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Il me paraît tout à fait opportun de choisir cette période pour établir une sorte de bilan de ce qui s'est produit durant ces années.
J'ai été nommé, en tant que conseiller d'État, président du Conseil national de lutte contre le dopage (CPLD), issu de la loi de Mme Buffet, fin juillet 2005. Je voudrais donc vous rappeler le contexte juridique et politique, au sens sportif du terme, de cette période.
Je n'ai pris réellement mes fonctions qu'en septembre, en présidant le collège du CPLD. On était donc alors sous l'empire de la loi Buffet. Les contrôles se faisaient sous la direction du ministre des sports, le laboratoire était un établissement public sous la tutelle de ce même ministre, et le CPLD était une autorité indépendante chargée de la prévention et de la lutte contre le dopage, dans la mesure où il s'occupait de la discipline.
Mme Buffet avait chargé le CPLD de la recherche scientifique car, en matière de lutte contre le dopage, la recherche est une affaire extrêmement importante.
Des antennes médicales, réparties dans les hôpitaux et chargées d'accueillir les gens qui s'étaient dopés ou en passe de le devenir, et ayant besoin d'une assistance médicale, étaient aussi reliées au CPLD.
Parallèlement, la loi de 2006 mettant en place l'AFLD avait été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale. J'ai succédé à Marc Samson mais, curieusement, il n'y a pas eu de président entre le départ de Marc Samson et mon arrivée, pour des raisons que j'ignore.
Or, le Tour de France avait lieu à ce moment ; cependant, la loi Buffet n'avait pas prévu l'empêchement éventuel du président. Durant cette période, aucun membre du collège ne pouvait présider la CPLD. L'excellent secrétaire général de l'époque, d'ailleurs administrateur du Sénat, a donc dû prendre une décision à la place du président. Celle-ci a été cassée pour ce motif par le Conseil d'État...
Dans le travail qui a été fait pas la suite sur la loi de 2006, on a été très attentif au fait que le président ne soit pas seul, et que le conseiller à la Cour de cassation puisse, en l'absence du président, présider le collège de l'Agence. Je crois que c'est une plus-value importante...
Je voudrais ajouter que, dans la loi 2006, il a été prévu que le collège et son président seraient les mêmes que ceux du CPLD. Le Parlement, quand il a légiféré sur ce texte, savait donc parfaitement qui serait président de l'AFLD et qui serait membre du collège. Ceci a été pour moi très important, car cela semblait nous donner une légitimité vis-à-vis du Parlement.
A chaque fois que le Parlement nous l'a demandé, nous sommes venus devant les commissions ou les rapporteurs ; nous avons été parfaitement soutenus et compris par les deux assemblées.
Pour ce qui est du contexte sportif, c'est en août 2005, très peu de temps après ma nomination, que l'affaire Armstrong explose dans le journal l'Equipe. Damien Ressiot, très opportunément, s'était procuré les documents démontrant que Lance Armstrong était positif à l'érythropoïétine (EPO) de 1999 à 2000, alors qu'il participait au Tour de France.
C'est un véritable événement, qui, à l'époque, a eu un grand retentissement. J'apprends à cette période que le Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD), de Châtenay-Malabry -dont le patron, M. de Ceaurriz, était un homme remarquable, courageux et rigoureux, aujourd'hui malheureusement décédé- avait fait, en relation avec l'Agence mondiale antidopage (AMA), des expériences destinées à mettre au point le test de l'EPO. On avait pour ce faire utilisé des échantillons des Tours de France précédents. C'est dans ce cadre que les rapports et procès-verbaux que s'était procuré l'Equipe ont pu paraître.
Je crois savoir qu'il existait beaucoup d'échantillons positifs. La commission d'enquête peut s'en informer auprès de Mme Lasne. Je tiens à le dire, car il est important de savoir que Lance Armstrong n'était pas seul dans cette situation, même si l'on a oublié les autres. Je ne suis pas favorable à la chasse aux sorcières mais je suis pour que le Parlement soit informé de ces éléments !
A la suite de l'affaire Armstrong, un grand débat s'installe entre l'Union cycliste internationale (UCI) et l'AMA. Heureusement, l'AMA défend fortement le LNDD mais, curieusement, le ministère des sports, à l'époque, ne dit rien ! Ceci est pour moi extrêmement surprenant...
Un débat très intense s'organise entre l'AMA, qui défend le LNDD, et l'UCI, qui rédige un rapport de complaisance pour faire oublier l'affaire Armstrong.
Les jours passent et l'AFLD se met en place le 1er octobre 2006, après l'adoption de la loi, avec le même collège. Le Sénat ajoute à la loi tout une partie sur le dopage animal, qui n'avait pas été prévue à l'Assemblée nationale. Un vétérinaire est donc nommé, ce qui n'était pas le cas auparavant.
Par ailleurs, le conseiller à la Cour de cassation devient président éventuel par intérim du collège en cas de besoin ; enfin, le sportif de haut niveau désigné par le Comité national olympique (CNO) ayant peu de temps pour participer aux réunions du collège, face aux problèmes de quorum, on le remplace par un ancien sportif de haut niveau. C'est à ce moment qu'est arrivé Sébastien Flute, médaille d'or du tir à l'arc, qui assiste régulièrement aux séances. Quelques éléments du quorum ont également été modifiés, afin de faciliter le travail de l'Agence.
C'est avec un administrateur de l'Assemblée nationale, que j'avais choisi, n'ayant pas pu trouver d'administrateur disponible au Sénat, que nous avons monté l'Agence. Il s'agissait en premier lieu de nommer le directeur des contrôles, le directeur du LNDD et le conseiller médical. C'est évidemment le collège qui décide de ces questions.
Pour occuper le poste de directeur des contrôles, nous avons choisi la personne qui est toujours en place aujourd'hui, qui nous était apparue particulièrement compétente. Ayant travaillé à la direction régionale d'Ile-de-France, elle connaissait fort bien la lutte contre les trafics et possédait des réseaux intéressants.
Ce n'était toutefois pas le candidat du ministère des sports, qui nous en a présenté d'autres, qui n'avaient pas cette expérience. C'est pourquoi nous avons retenu celui qui a été choisi.
Pour ce qui est du LNDD, on a d'abord essayé de nous faire comprendre qu'il ne fallait pas retenir M. de Ceaurriz, qui aurait été à la source de la fuite dans l'affaire Armstrong, ce qui est évidemment faux ! Nous avons cherché s'il existait d'autres candidats, et avons demandé à l'époque à M. Audran et à Mme Lasne, actuelle directrice et à l'époque adjointe de M. de Ceaurriz. Aucun n'a voulu se présenter contre M. de Ceaurriz, qui a donc été désigné. Il s'est avéré le plus qualifié.
En juillet 2006, Floyd Landis gagne le Tour de France. Il est positif. Nous décidons, en tant que CPLD, d'instruire l'affaire. La loi 2006 n'étant pas une loi d'amnistie mais qui prévoit que les affaires engagées par le CPLD doivent être poursuivies par l'AFLD, nous poursuivons l'affaire.
Un certain nombre de pressions et de difficultés interviennent alors. Il existe selon moi deux tentatives de déstabilisation de l'Agence, l'une ministérielle, et l'autre, très grave, d'intrusion dans l'informatique du LNDD.
Celle-ci avait commencé bien avant que l'Agence ne soit mise en place, lorsque l'organisme était sous tutelle du ministère des sports. J'ai donc porté plainte et me suis porté partie civile. Floyd Landis a été condamné et a renoncé à faire appel. Il lui a été infligé une assez forte amende et il a dû s'acquitter de dédommagements.
Ces deux événements ont permis à l'Agence d'être reconnue internationalement.
En 2008, nous avons la charge du Tour de France et ciblons les contrôles. Le directeur des contrôles est particulièrement efficace, et sept ou huit sportifs se révèlent positifs. Cette compétence nous incombait en effet, le Tour de France s'étant séparé de l'UCI, la compétition étant en outre nationale, aux termes du règlement de la Fédération cycliste française.
Durant le Tour de France 2088, Mme Amaury reprend contact avec MM. Verbruggen et Mac Quaid. Ils décident tous ensemble de confier à nouveau, en 2009, cette responsabilité à l'UCI.
J'ai beaucoup d'estime pour Mme Amaury, que je crois très engagée en matière de lutte antidopage, mais il existe des contraintes internationales d'ordre commercial qui compliquent parfois les choses...
En septembre 2008, Lance Armstrong fait une conférence de presse et annonce son retour dans le Tour de France, comme s'il existait un lien avec la réunion précédemment évoquée. Il dit à ce moment qu'il n'est pas dopé, et qu'il ne l'a jamais été.
Après en avoir discuté avec M. de Ceaurriz, je lance l'idée d'une nouvelle analyse de l'échantillon à la disposition du LNDD. Je propose à Lance Armstrong -par voie de presse, car il est très difficile de l'approcher- de réexaminer son échantillon, sous le contrôle de témoins et dans un laboratoire compétent choisis en commun. Il me répond assez rapidement qu'il n'en est pas question, l'affaire étant trop ancienne.
Ceci a provoqué un certain remue-ménage, notamment dans les médias, en particulier durant les conférences de presse qui ont eu lieu en Australie. Tout le monde lui a demandé pourquoi il n'avait pas accepté de démontrer qu'il n'avait jamais été dopé. Il a demandé qu'on ne lui pose plus cette question, ajoutant : « C'est comme si vous demandiez au Président Sarkozy pourquoi il a divorcé ! ». Cette référence permanente au Président Sarkozy est extrêmement curieuse et revient souvent dans la bouche de Lance Armstrong...
Le Tour de France 2009 a donc lieu sous l'égide de l'UCI. Un certain nombre de nos contrôles, réalisés par nos médecins assermentant, en relation avec les inspecteurs de l'UCI, se passent mal, du fait de contraintes selon nous inadmissibles. Sur le terrain, nous essayons de dialoguer. Je disposais du numéro de téléphone personnel de Pat Mac Quaid, pour tenter de régler les problèmes. Il répondait toujours que les choses étaient arrangées, mais il allait toujours dans le sens de l'équipe de Lance Armstrong.
Nous avons donc décidé de rendre notre désaccord public, et le journal Le Monde a publié le rapport des médecins assermentés de l'Agence. Ceci a jeté un vrai trouble. Je me suis senti très isolé. Je n'ai été soutenu par personne, si ce n'est, de façon fort prudente, par l'AMA, qui a déclaré que nous avions eu raison. Son président, John Fahey, a tenu à me rendre visite à l'époque...
Je crois que nous avons bien fait de procéder à cette publication. Ne rien faire nous eut rendus complices ! Je le dis donc très clairement : je suis fort heureux d'avoir poussé Le Monde à publier ce rapport !
Un contrôle inopiné de Lance Armstrong a eu lieu en 2009, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, dans le cadre de son entraînement pour le Tour de France. Les choses ne se sont pas très bien passées. Ce qui m'a le plus choqué, c'est que le président de la Fédération française de cyclisme nous ait quasiment injuriés pour avoir osé toucher à Lance Armstrong. Il a estimé scandaleux de s'opposer à ce qu'un cycliste de cette importance puisse participer au Tour de France. Selon lui, notre contrôle ennuyait beaucoup Pat Mac Quaid...
Nous avons quand même procédé au contrôle. Lance Armstrong m'a d'ailleurs écrit, et nous n'avons naturellement trouvé aucun échantillon positif.
En 2010, le climat avec l'UCI était très tendu. Nous avons continué les contrôles, mais en passant par l'AMA. Les contrôles se sont alors déroulés normalement.
A la suite d'une série de difficultés, j'ai abandonné mes fonctions fin septembre 2010.
En conclusion, que la commission d'enquête débouche sur des modifications de la loi actuelle, pour obtenir une lutte plus efficace contre le dopage, ira dans le bon sens.