Intervention de Pierre Bordier

Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage — Réunion du 20 mars 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Pierre Bordry ancien président de l'agence française de lutte contre le dopage

Photo de Pierre BordierPierre Bordier :

Les courses cyclistes, même pour de petites épreuves, relèvent du règlement de l'UCI. C'est une anomalie, mais c'est ainsi. Les contrôles n'apparaissent donc que dans le cadre international. Lorsque j'étais en fonction, on comptait environ 10 000 contrôles, dont 2 000 internationaux et 8 000 pour le reste. L'AFLD contrôle donc davantage les autres sports que le cyclisme.

S'il existe un jour un conflit majeur entre l'UCI et l'AFLD, le cyclisme, en France, pourrait ne plus être contrôlé par notre pays, ce qui constituerait selon moi une anomalie. Même si cela ne peut arriver, je soulève néanmoins l'hypothèse...

Beaucoup d'autres sports sont plus sujets au dopage que le cyclisme. Curieusement, les médias en parlent moins, sans doute parce que le cyclisme est plus populaire que d'autres sports. Damien Ressiot relevait la semaine dernière dans l'Equipe que, grâce au passeport sanguin, on avait découvert dix-sept cas en athlétisme à l'échelon international. Il me semble que la Fédération internationale d'athlétisme fait très bien son travail -même mieux que d'autres- mais on trouve dans ce domaine beaucoup de cas de dopage, qui sont réglés par la Fédération elle-même, en bonne relation avec l'AFLD...

Le dopage existe également dans la pétanque, le tir à l'arc, le golf. C'est une pratique extrêmement bien répartie dans les différentes disciplines, y compris pour des épreuves sans grande importance.

Je suis également frappé par la transmission familiale du dopage. Il n'est pas rare qu'un professionnel du sport conseille son fils en la matière. Il existe d'ailleurs, dans le domaine cycliste, une affaire en cours devant la juridiction d'Angoulême. On en parle actuellement dans les journaux.

Ce n'est pas un cas isolé. Les parents, dans les sports amateurs, poussent souvent leur enfant dans la voie du dopage, ce qui peut entraîner des drames. Ce sont en effet les parents qui font parfois eux-mêmes les piqûres d'EPO, alors qu'ils ne sont ni infirmiers, ni médecins, avec le risque d'entraîner un coma ! La prévention doit en tenir compte. Le fait que l'on trouve d'anciens sportifs dopés chargés de la prévention dans les fédérations est particulièrement préoccupant. C'est pourquoi j'aimerais que la commission d'enquête ait connaissance, pour son information, des noms des gens qui étaient positifs dans les années 1999-2000.

Un mot sur le football... J'ai eu un jour un violent accrochage avec le Président Aulas. L'habitude avait été prise que les contrôleurs interviennent à la mi-temps, et non à la fin du match. On était parfois surpris de voir des joueurs entrer après la mi-temps... Un jour, on a décidé de faire entrer les préleveurs à la fin du match. On n'a pas pour autant trouvé de gens positifs, mais Jean-Michel Aulas a chassé les préleveurs avec beaucoup de violence.

Nous avons alors provoqué une réunion avec M. Thiriez, du bureau de la Ligue. Nous avons dit que nous ne pouvions continuer dans ces conditions. J'ai précisé que j'étais prêt à arrêter les contrôles dans le football, mais que l'on dirait pourquoi... Le jeu s'est ensuite calmé. On n'a pas eu beaucoup plus d'informations sur le football, qui est un milieu très fermé et peut-être moins dopé que l'on croit. Il s'agit en tout état de cause d'une situation assez complexe.

Vous m'avez demandé ce que l'on peut faire pour améliorer la lutte antidopage. Je crois tout d'abord que c'est une nécessité. J'ai été entendu par le groupe d'études de l'Assemblée nationale sur les autorités indépendantes. J'ai eu l'occasion de m'exprimer à cette occasion. A l'époque, il était question de proposer un commissaire du Gouvernement au sein du collège de l'AFLD. J'ai indiqué que celui-ci n'avait rien à faire à cet endroit, mais qu'un procureur antidopage afficherait clairement la volonté des pouvoirs publics en matière de lutte antidopage.

Je pense en effet que la charge du président de l'AFLD est trop lourde : il est à la fois procureur, s'occupe du LNDD et prend en charge la discipline.

Les autres autorités indépendantes, notamment l'Autorité des marchés financiers (AMF), distinguent celui qui mène l'instruction de celui qui gère la discipline. Je suis favorable à un procureur antidopage qui dirige l'AFLD, choisi avec l'avis du Parlement et non pas coopté par ses pairs. Il pourrait ainsi diligenter l'instruction et les contrôles, tandis qu'une commission réglerait les problèmes disciplinaires.

La recherche est également très importante. Il serait bon que le LNDD soit indépendant de l'AFLD, même si c'est difficile à construire. C'est d'ailleurs une revendication de l'AMA. Pour le président que j'ai été, il s'agit d'une lourde charge, bien que je l'aie appréciée. Cela rend les choses parfois confuses...

Je pense donc qu'il faut modifier la loi. J'attire votre attention sur le fait que, lorsqu'un sportif est convaincu de dopage, l'AFLD saisit la Fédération concernée. Le sportif fait l'objet d'un jugement, avec possibilité d'appel. L'AFLD intervient à nouveau et le Conseil d'État peut également être saisi en appel. Le sportif peut aussi saisir le tribunal arbitral du sport. Cela représente cinq niveaux et génère une importante charge financière et morale pour les intéressés. L'alléger tout en restant rigoureux et clair présenterait certains avantages.

J'évoquais tout à l'heure le fait que l'on a craint que Floyd Landis ne participe au Tour de France de 2007 sans être jugé. Une mesure a été prise par le code mondial, consistant à suspendre le sportif dès qu'il est positif. C'est un progrès important, mais la procédure est trop longue et trop lourde.

Enfin, je crois qu'il faut renforcer les autorités nationales au sein de l'AMA, les fédérations internationales étant trop puissantes. Je ne crois pas qu'il faille les supprimer ou diminuer leur rôle. Je pense qu'il faut l'équilibrer par une présence plus forte des agences nationales. Les agences nationales ont fait, ces dernières années, comme l'AFLD, beaucoup de progrès, que ce soit en Suisse, en Italie ou ailleurs. On a fait l'effort de fédérer ces agences avec l'AMA et de travailler ensemble. Je crois que l'on progresse lorsqu'on réalise un équilibre entre les uns et les autres. Montesquieu le disait déjà. Renforcer les autorités nationales auprès des gouvernements, dans le cadre de l'AMA, constituerait un progrès significatif et important !

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