Je préside l'Agence en vertu d'un décret du 1er octobre 2010, et j'ai pris mes fonctions après avoir prêté serment le 7 octobre 2010. L'état des lieux que je puis dresser après ces deux ans et demi d'expérience comporte des éléments réconfortants, mais appelle à réfléchir à des améliorations.
Les moyens de la puissance publique (lois, décrets, autorité publique indépendante) ont été bien mis au service de la lex sportiva, c'est-à-dire des normes que le mouvement sportif entend se fixer à lui-même sur une base contractuelle dans une perspective ambitieuse d'universalisme ; ils la dépassent même. La loi de mars 1999 a créé le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, celle du 5 avril l'a transformé en Agence française de lutte contre le dopage, à la disposition de laquelle ont été mis les moyens conséquents : nous maîtrisons les contrôles diligentés, notre laboratoire d'analyse de Châtenay-Malabry est l'un des trente-trois laboratoires accrédités par l'Agence mondiale antidopage (AMA). Nous avons une compétence disciplinaire subsidiaire à celle des fédérations, et qui la complète : un sportif peut se voir interdit de compétition alors même qu'il est toujours en activité, ce qui rend la sanction effective. Nos moyens ne sont pas négligeables : neuf millions d'euros de budget, à comparer aux vingt-sept millions de dollars du budget de l'AMA.
Toutefois, l'AFLD ne peut pas faire cavalier seul ; elle doit agir de concert avec ses partenaires : administrations d'État, fédérations nationales et internationales, AMA... La lutte contre le dopage a un coût : si l'AMA nous demande de procéder à davantage de contrôles sanguins, la facture est plus élevée qu'avec des contrôles urinaires. Nous constatons, d'ailleurs, que l'efficacité des contrôles analytiques traditionnels diminue.
Quel écart entre la réalité et les intentions proclamées par les acteurs du sport ! S'il est impeccable de vouloir rendre universelle la lutte contre le dopage en éliminant ce qu'on pourrait comparer aux paradis fiscaux dans le domaine financier, les efforts consentis sont très variables selon les pays et les disciplines sportives. La convention de lutte contre le dopage, signée le 19 octobre 2005, est une des conventions sous l'égide de l'Unesco qui a recueilli le plus de ratifications : 173 États avant-hier. Quand il n'y a que 33 laboratoires accrédités dans le monde, dont deux en Afrique, l'un en Tunisie, l'autre en Afrique du Sud, quelle peut être la réalité des contrôles ? Cette convention prévoit la création d'un fonds : lors de la conférence des États partie à cette convention, en novembre 2011, sept États seulement y avaient contribué. Il convient de poursuivre inlassablement nos efforts, et d'inciter le mouvement sportif à être fidèle à ses idéaux.
Nous pourrions utiliser mieux les instruments existants. D'abord, en échangeant davantage d'informations entre acteurs de la lutte contre le dopage, comme le prévoit l'article L. 232-20 du code du sport. L'AFLD devrait en particulier coopérer mieux avec la police, la gendarmerie et les douanes, ce qui pourrait se faire si l'on redonnait vie aux commissions créées par un décret de juin 2003.
Le Parlement a complété le code du sport par la loi du 1er février 2012, issue d'une proposition de loi, pour autoriser des échanges entre organisations internationales antidopage. Quelques semaines après sa publication, nous avons apporté à l'USADA, l'agence américaine, tout notre concours dans l'affaire Armstrong. Nous pourrions également davantage exploiter la possibilité d'analyses rétrospectives, en conservant des échantillons pour les soumettre dans le délai légal de prescription de huit ans à des analyses nouvelles intégrant les progrès de la technique. Si le Comité international olympique a manifesté à cet égard une attitude très positive lors des Jeux Olympiques de Londres, ce n'est pas le cas du mouvement sportif dans son ensemble.
Il conviendrait aussi de mettre en oeuvre le profil biologique du sportif, dont vous avez, monsieur le Rapporteur, été le promoteur grâce à la loi du 12 mars 2012. Il n'a pas tenu à l'AFLD que l'arrêté fixant la composition du comité de préfiguration chargé de faire un rapport sur la mise en oeuvre du profil biologique n'intervienne pas plus rapidement. Puisque nous nous sommes mis au travail mi-décembre, nous pourrons déboucher sur une mise en oeuvre effective, qui demande volonté et détermination.
Enfin, les laboratoires privés, qui étudient de nouveaux médicaments ayant des effets dopants, pourraient, moyennant des garanties de confidentialité, mettre l'état de leur recherche à disposition des laboratoires antidopage accrédités. A l'instigation de l'Agence mondiale, celui de Châtenay-Malabry a fait une expérience en ce sens, que nous souhaiterions renouveler, afin que les techniques des tricheurs ne soient pas en avance sur nos modes de détection.
Comme mon prédécesseur, Pierre Bordry, je souhaite que l'AFLD dispose d'une ressource autonome. La subvention qui finance les neuf dixièmes de son budget est soumise à des aléas : j'ai eu la mauvaise surprise d'apprendre il y a un mois que les mesures de surgel budgétaire la réduiraient d'un dixième. Il faudrait étudier l'idée lancée en février 2012 par Éric Berdoati, député, d'une pénalisation éventuelle de l'usage par le sportif de produits interdits, dans le but de découvrir les complicités dont il a pu bénéficier. Il est nécessaire d'améliorer les règles applicables au contrôle des manifestations internationales. L'AFLD y est tributaire du bon vouloir des fédérations internationales. Le cycliste Jörg Jaschke nous a raconté lors du symposium de Lausanne comment le mécanisme du dopage se développait et ce qu'il en était de l'omerta. Les entourages complices sont encore dans leur quasi-totalité en fonction ! Il faut donc dégager les voies et moyens pour couvrir l'ensemble de la chaîne, et non sur le seul sportif, qui est de toute façon abondamment contrôlé.
Tout le monde est favorable à la lutte contre le dopage, qui garantit l'équité des compétitions et protège la santé des sportifs. Cependant, l'écart est très large entre les croyants et les pratiquants. J'espère que vos travaux contribueront à le réduire.