Je travaille depuis vingt ans sur le dopage sanguin, sa détection, ses effets. Je suis membre du groupe d'experts de l'Agence mondiale antidopage (AMA) qui a mis en place du passeport hématologique, et expert auprès de l'Union cycliste internationale (UCI), l'Association internationale des fédérations d'athlétisme (IAAF), de l'agence anti-dopage suisse, qui font gérer leurs passeports sanguins par le laboratoire de Lausanne (UGPBA). Enfin, je suis auditeur technique pour le Comité français d'accréditation (Cofrac) et l'AMA.
Le dopage, c'est avant, pendant et après la compétition. Le panorama a changé en l'espace de quelques années. Encore récemment, le dopage se limitait au détournement de médicaments à usage humain ou vétérinaire. De nouveaux produits sont apparus, sans que l'on abandonne pour autant les anciens. La nouveauté, c'est l'utilisation de produits en cours d'essais cliniques, provenant des hôpitaux et surtout d'Internet : dès que la structure d'une molécule est publiée, pour peu qu'elle puisse être reproduite facilement, la substance se trouve sur Internet. On fait désormais usage de substances dont les essais cliniques ont été interrompus, ou qui ont démontré des effets ergogéniques sur l'animal seulement, comme l'Aicar, qui a fait le buzz sur Internet. Une industrie spécifique au dopage s'est installée, avec des designer drugs conçues pour échapper au contrôle et révélées par l'affaire Balco : stéroïdes, testostérone ou encore érythropoïétine (EPO) sont indétectables. L'accès à des substances médicamenteuses dangereuses sur Internet est un vrai problème de santé publique.
Parmi les produits employés pour augmenter la force et la puissance musculaire, les anabolisants, l'hormone de croissance, l'IGF-1 ne sont pas des nouveautés. Apparaissent toutefois de nouvelles formes d'IGF-1 qui n'existent pas sous forme de médicament : R3-IGF-1, Long R3-IGF-1, IGF-IEc. Conçues pour le dopage, on les retrouve dans les salles de bodybuilding, j'en ai eu la preuve il y a dix jours dans le sud de la France. L'insuline n'est pas non plus une nouveauté. Les sécrétagogues de l'hormone de croissance fonctionnent mal en thérapeutique, aucun médicament n'a été agréé. Parmi les nouveautés, les anti-myostatine, non commercialisés mais disponibles, favorisent la croissance de la masse musculaire. Je crains que les SARMs (Selective androgen receptor modulators) ne remplacent les stéroïdes anabolisants dont ils n'ont pas l'effet androgénique. On relève des cas de dopage avec ces substances, dont une a été abandonnée en essai clinique à cause de sa toxicité.
Pour augmenter l'endurance, citons d'abord le transport de l'oxygène, par les transfusions sanguines, les époétines, désormais produites dans tous les pays : on en dénombre au moins 130. Pas toujours bien vérifiés, ces produits peuvent entraîner des allergies ; l'organisme fabrique alors des anticorps contre l'EPO naturel, ce qui est dramatique. Là encore, on peut se fournir aisément sur Internet. Mal purifiés, ils sont difficiles à détecter. Avec les stabilisateurs de l'HIF-, l'organisme fabrique de l'EPO même quand il n'en a pas besoin. L'utilisation de plusieurs substances, de différentes structures chimiques, ayant le même effet rend la détection difficile. Enfin, testostérone, hormone de croissance, IGF-1 et corticoïdes ont également pour effet d'augmenter les globules rouges.
La modification du métabolisme cellulaire est également employée pour augmenter l'endurance. L'Aicar, actif sur le rat, est extrêmement toxique, or il entre même dans la composition de compléments alimentaires à usage humain. Autre type de produit : les stabilisateurs du récepteur de la ryanodine (RyR), pour favoriser la contraction musculaire. L'effet n'a été mis en évidence que chez le rat, or ces produits seraient utilisés par les sportifs pour éviter la fatigue musculaire lors d'épreuves de longue durée, sur plusieurs jours. Certains produits peuvent être administrés par voie orale ou nasale, donc à faible dose, sachant qu'une faible dose d'EPO améliore la performance mais échappe au contrôle.
Je serai bref sur le dopage génétique. Seul l'EPO fonctionne chez l'homme ; une société israélienne est spécialisée dans la thérapie génique extra-cellulaire, qui donne d'excellents résultats ; des cellules de la peau sont prélevées pour qu'on y insère le transgène de l'EPO, puis réinjectées dans l'abdomen, permettant une production de l'hormone pendant six à douze mois. Pour la croissance musculaire, l'IGF-1 n'a pas fonctionné, au contraire des anticorps anti-myostatine semble-t-il - c'est intéressant pour le traitement des cancéreux ou des porteurs du Sida dénutris. Si l'on a réussi à créer des souris marathoniennes en surexprimant certains gènes, avec les récepteurs activés par les proliférateurs de peroxysomes (PPAR-/) et la phosphoénolpyruvate carboxykinase (PEPCK-C), va-t-on pour autant voir se développer une thérapie génique ? On sait trouver des médicaments agonistes des PPAR-/ et de la PEPCK-C, qui produisent les mêmes effets. La thérapie génique est dès lors moins utile, mais elle a toutefois l'avantage d'être indétectable...
Le meilleur milieu biologique pour le dépistage reste l'urine, sauf si le médicament n'est pas sécrété par le rein, dans quel cas il faut le rechercher dans le sang. On retrouve 10 % de l'EPO dans l'urine. La demi-vie de l'EPO a été augmentée, afin de permettre aux malades d'espacer les injections : les molécules, plus grosses, restent plus longtemps dans l'organisme et passent mal au niveau rénal. L'Hématide, récemment rebaptisée, doit aussi être recherchée dans le sang. La salive n'apporte rien de plus que le sang et il en faut un certain volume. Quant aux cheveux - qui révélaient si la testostérone était endogène ou non - ils n'ont pas davantage d'intérêt depuis que les stimulants sont autorisés hors compétition.
La méthode directe de dépistage est juridiquement préférable, mais pour détecter un composé, il faut savoir qu'il est utilisé. Difficile de disposer d'un test pour chacun des 50 à 90 composés de SARMs, de structures différentes. Reste le problème des designer drugs, de la courte demi-vie de certaines substances comme les hormones peptidiques, masquées par l'insuline et les boissons sucrées, des faibles doses et de l'empilement de différentes substances, dit stacking, qui rendent la détection plus difficile.
D'où les méthodes indirectes, avec le passeport biologique, qui peut toujours être contourné mais qui a mis de l'ordre dans le peloton : depuis mi-2011, les changements sont manifestes. Je crois beaucoup à la génomique, à la transcriptomique, à la protéomique et surtout à la métabolomique : en mettant en évidence un type de substance donné, on peut discerner les animaux traités aux anabolisants. On pourrait, je pense, voir l'effet stimulant de l'érythropoïèse même sans savoir quel produit a été utilisé. Cela permettrait de concentrer l'analyse sur les échantillons suspects, ce qui serait un gain de temps pour les laboratoires. Je voudrais que ces méthodes soient un jour suffisamment spécifiques pour accuser un sportif de dopage.
Sur le passeport, en regardant le protocole, on note par exemple qu'un cycliste a reçu deux transfusions sanguines pendant le Tour de France - au moment des étapes de montagne ! Je regrette que l'on ne recherche l'EPO que dans les sports d'endurance, alors qu'elle améliore la performance dans d'autres sports dans la mesure où elle permet de s'entraîner davantage.