Merci. Je vais commencer par vous présenter les quatre missions du Défenseur des droits :
- les relations entre les citoyens et les administrations (de l'État, des collectivités territoriales, des organismes de protection sociale et de toute structure dédiée à un service public), qui étaient les missions de l'ancien Médiateur de la République né en 1973 ;
- la défense de l'enfant : il m'appartient de veiller à ce que la Convention internationale des droits de l'enfant soit pleinement appliquée dans notre pays. C'était la mission d'une institution spécifique - le Défenseur des enfants - qui avait été créée en 2000 dans la logique de la mise en oeuvre de cette convention internationale ;
- la déontologie des forces de sécurité (police, gendarmerie, administration pénitentiaire, police municipale, sociétés privées de surveillance), qui relevait auparavant de la commission nationale de déontologique de la sécurité, créée en 2000 également ;
- la lutte contre les discriminations, et la promotion de l'égalité, qui relevaient de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (HALDE) créée en 2005.
La réforme constitutionnelle de 2008 a introduit dans la Constitution le Défenseur des droits, et la loi organique de 2011 a tracé le périmètre de ses compétences en incluant ces quatre missions et par conséquent en mettant à sa disposition les équipes de ces quatre structures, soit 230 collaborateurs au siège national parisien, pour l'essentiel des juristes, et un réseau de 450 délégués territoriaux, qui rassemble les réseaux de l'ancien Médiateur de la République (300 délégués), de la HALDE (une centaine de délégués) et du Défenseur des enfants (une quarantaine). Je voudrais souligner tout le mérite de ces délégués territoriaux, qui sont bénévoles, mais qui ont aussi une grande compétence. 80 % d'entre eux sont d'anciens fonctionnaires et 20 % viennent du secteur privé et libéral. La plupart (80 %) viennent de prendre leur retraite et s'engagent dans cette mission en la faisant bénéficier de leurs compétences et de leur carnet d'adresses. Ce sont souvent d'anciens responsables d'entreprises, proviseurs de lycée, directeurs d'administration fiscale départementale... qui se mettent, du jour au lendemain, derrière un guichet pour recevoir les réclamations d'administrés souvent exaspérés. Ils jouent un rôle irremplaçable, car les 2/3 des 80 à 90 000 réclamations que nous recevons annuellement sont traitées localement par eux. Les délégués territoriaux expliquent aux citoyens les raisons de la décision administrative. Dans la majorité des cas, il s'agit d'une erreur administrative. Quand un dossier est porté par un délégué du Défenseur des droits, l'administration considère en général qu'il a été sérieusement étudié. Les délégués territoriaux permettent ainsi aux administrés d'être plus facilement entendus par l'administration.
Le réseau des délégués en outre-mer est le suivant : 5 personnes en Guadeloupe, 4 en Martinique, 4 en Guyane plus un permanent à temps plein pour les trois « départements français d'Amérique » (nous envisageons d'avoir deux permanents, l'un pour les Antilles, l'autre pour la Guyane), 6 à La Réunion, 2 à Mayotte, 2 en Polynésie, 2 en Nouvelle-Calédonie et 1 à Saint-Pierre-et-Miquelon. Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont couverts par l'équipe de la Guadeloupe. Nous n'avons pas, pour l'instant, d'implantation à Wallis-et-Futuna.
Au cours de l'année qui vient de s'écouler, nous avons beaucoup travaillé à Mayotte, département certainement le plus déshérité des 101 départements français. De nombreuses missions, dont une sénatoriale, s'y sont rendues. Notre constat converge avec ceux dressés par ces missions, notamment celui établi par la mission conduite par la commission des lois du Sénat.
Nous formulons des recommandations et des propositions, axées tout particulièrement sur la situation des enfants, tragique à Mayotte. Nous proposons aussi de débloquer des financements en priorité à cette fin. Or, l'année prochaine, en 2014, Mayotte bénéficiera en tant que RUP (Région ultra-périphérique) de financements européens importants. Ces financements devront nécessairement être utilisés à Mayotte, sous peine d'être perdus faute de projets structurés, cohérents et suffisamment précis présentés à Bruxelles. L'enveloppe a d'ailleurs déjà été ramenée de 400 à 250 millions d'euros dans les négociations relatives au plan de financement pluriannuel 2014-2020. Il est donc urgent que Mayotte présente des projets, et en premier lieu concernant les enfants, en très grande détresse.
J'en viens au bilan des activités du Défenseur des droits dans l'ensemble de l'outre-mer. Le premier constat est que les populations ultramarines recourent moins que celle de l'hexagone au Défenseur des droits. Un millier de dossiers par an nous viennent des citoyens ultramarins, soit environ 1,5 % du total des dossiers que nous recevons, alors que les ultramarins représentent 4 % de la population française. Or, on trouve en outre-mer des situations d'enfants en péril, de difficultés avec l'administration, de discriminations, et éventuellement des manquements à la déontologie de la sécurité, donc au moins autant de problèmes que dans l'hexagone ! Si les ultramarins saisissent moins le Défenseur, qui est une voie gratuite d'accès au droit, c'est par manque d'information. C'est pourquoi il m'a semblé important de venir m'exprimer devant votre délégation.
Qualitativement, 630 demandes sur les 1 000 relèvent de difficultés avec les pouvoirs publics ; plus de 200 sont relatives à des discriminations ; une cinquantaine au titre de la mission de défense de l'enfant ; une dizaine au titre de la déontologie des services de sécurité avec notamment deux affaires récentes à Mayotte.
Venons-en à la répartition des demandes par département : les difficultés de traitements de demandes sur les droits des étrangers concernent la Guyane, Mayotte, et dans une moindre mesure La Réunion. Certains grands établissements pénitentiaires posent des problèmes en Guyane et Martinique. Les saisines sont prépondérantes dans le domaine de la lutte contre les discriminations à l'embauche (80 % des demandes que nous recevons), particulièrement dans les emplois publics. En Guyane, on déplore un manque de place dans les établissements pour enfants souffrant de handicaps. Et Mayotte concentre tous les problèmes.
S'agissant à présent des ultramarins résidant dans l'hexagone, nous recevons deux types de réclamations : refus d'accès à un bien (le logement) ou à un service (le crédit). Une agence de location immobilière a ainsi refusé de prendre en compte une garantie venant d'une banque antillaise. Nous sommes intervenus auprès de tous les acteurs du secteur immobilier pour les sensibiliser au caractère discriminatoire de ce refus de location, ce qui s'est révélé très efficace. L'accès au crédit est un autre problème. Se dégage de ces discriminations dans les secteurs de l'immobilier, bancaire et du crédit, l'impression que les départements d'outre-mer ne sont pas reconnus comme des départements français à part entière ! Nous allons développer, avec les associations et Mme Sophie Élizéon, déléguée interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, des actions de sensibilisation pour faire savoir aux ultramarins résidant dans l'hexagone qu'ils peuvent faire appel au Défenseur des droits. Nous ne sommes cependant compétents que sur le volet discrimination, et non sur le racisme en général. Je suis convaincu que notre institution peut se déployer davantage, à condition que son existence soit reconnue et que les citoyens sachent dans quelles conditions ils peuvent nous saisir.