Intervention de Jacques Creyssel

Mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe — Réunion du 4 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de Mm. Jacques Creyssel délégué général et mathieu pecqueur directeur « agriculture et qualité » de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution fcd

Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) :

Merci pour votre invitation. La FCD représente notamment les grands groupes à dominante alimentaire, Carrefour, Casino, Picard, Lidl, Dia, etc., non les groupes indépendants tels que Leclerc. Au total, le secteur réalise un chiffre d'affaires d'environ 100 milliards d'euros, emploie 750 000 personnes et dispose de 30 000 points de vente.

Avant d'en dresser le bilan, rappelons que la loi de modernisation de l'économie (LME) ne s'applique pas aux produits de viande fraîche, négociée sur des marchés de gré à gré, à la différence des produits élaborés tels que la charcuterie. Elle ne s'applique pas non plus aux produits sous marque de distributeurs (MDD).

La conjoncture est marquée par un recul du pouvoir d'achat et une baisse de la consommation alimentaire - ce qui est nouveau - de 3 % en glissement annuel selon les chiffres de l'Insee de la semaine dernière. Les industriels, lors du dernier cycle de négociation annuel, ont fait des propositions qui auraient entraîné une hausse de 5 % du prix de certains produits. Ceci est inacceptable ! L'indice des prix de la grande distribution est aujourd'hui stable. Grâce au mécanisme de négociabilité des tarifs, nous avons réussi à maintenir globalement en 2013 le niveau de prix de 2012, certains produits subissant les hausses de prix de certaines matières premières : farine, huile, certains produits laitiers ; tandis que d'autres prix reculent : café, chocolat, sucre...

Pour la viande, l'effet des prix sur la consommation est sensible. Selon le panel Kantar, l'augmentation observée en 2012 de 4 % des prix de la viande bovine s'est traduite par un recul des ventes de 2 %, ces chiffres étant respectivement de 5 % et 1,8 % pour le boeuf, de 2,9 % et 3 % pour le veau et de 5 % et 1 % pour le porc. A quoi s'ajoute un report sur les produits moins onéreux - porc et volailles - ainsi que sur les premiers prix et les promotions. Sans la LME, la hausse des prix des produits alimentaires aurait atteint environ 5 %. Je précise que les industriels et les transformateurs sont nos seuls interlocuteurs, car contrairement à ce que l'on entend parfois, nous ne négocions pas avec les producteurs.

Nous achetons aux prix du marché. Les éleveurs de porcs estiment qu'une hausse de 30 centimes est minime ; c'est pourtant l'addition de tous ces petits montants qui risque d'aboutir à des hausses importantes. Dans un marché ouvert, cette augmentation du prix encouragerait les importations. De surcroît, comme les producteurs le reconnaissent en privé, nous ne pourrions plus exporter aux prix du marché international. J'ajoute que si les aliments pour bétail se sont renchéris, les prix de la viande ont suivi la même tendance.

Nous avons fait un effort de transparence en publiant nos marges par rayon. Les industriels ne se sont pas livrés à un exercice comparable. Lorsque nous analysons les comptes de nos fournisseurs cotés en bourse, nous constatons que leurs marges nettes sont en forte augmentation depuis plusieurs années. Ils affirment qu'il s'agit de comptes mondiaux consolidés, non représentatifs de la France, mais ne communiquent pas de chiffres nationaux. Depuis l'entrée en vigueur de la LME, la marge nette des industriels a augmenté, tous produits confondus, de 13 % tandis que celle des distributeurs diminuait de 13 % : ce sont les chiffres !

Notre objectif dans les négociations est de faire en sorte que les prix globalement n'augmentent pas ; nous cherchons aussi à préserver les PME. Dans la charcuterie, où elles sont nombreuses, les prix négociés avec les grands groupes sont stables tandis que nous avons accepté, pour les PME, des augmentations, parfois jusqu'à 4 %. Nous pratiquons une différenciation claire.

L'accord du 3 mai 2011 prévoyant une renégociation des accords en cas de fortes fluctuations du prix de la viande n'est jamais entré formellement en vigueur car il était conditionné à la conclusion d'un autre accord, entre éleveurs et céréaliers, qui n'a pas été conclu. Le fonds de péréquation n'a donc pas été mis en place. Les revenus des céréaliers ont pourtant augmenté de 50 % en deux ou trois ans. Il faut dire que les décideurs, dans les instances professionnelles agricoles, tendent peut-être à défendre plutôt les céréaliers. La progression vers une meilleure péréquation constitue l'une des nos priorités. Les instruments modernes de couverture financière contre les variations de prix des aliments du bétail n'existent pas, ne permettant pas de se prémunir contre les baisses des prix des céréales.

Quoiqu'il en soit, les renégociations prévues dans l'accord de 2011 ont eu lieu et le mécanisme a fonctionné. Le prix du boeuf a ainsi crû de 14 % en 2012, de 29 % en moyenne sur cinq ans. Celui du porc de 1,3 % en 2012 mais de 14 % sur cinq ans. Quant à la volaille, la progression par rapport à 2012, à la dernière cotation, celle de la semaine 11 de 2013, est de 12,1 %. Bien sûr, que ces progressions répercutent celles des prix des matières premières.

Parmi les propositions formulées par le président de Système U, dans une note du 14 mars 2013, celle relative au contrat tripartite pluriannuel recueille notre assentiment. Carrefour, Casino ou Auchan l'ont déjà mis en place, sur une base volontaire. Des liens forts ont été établis avec les fournisseurs, autorisant certains distributeurs à prendre sur certains produits un engagement de 100 % d'origine France. Les producteurs doivent cependant se regrouper et s'organiser afin d'être en mesure de conclure de tels contrats.

Nous sommes en revanche opposés à une indexation des prix de vente sur ceux des matières premières. Ce serait une erreur majeure au moment où de nombreux revenus subissent une désindexation... La mesure serait de surcroît très difficile à mettre en oeuvre. Et elle conduirait à une catastrophe économique !

Nous ne sommes pas non plus favorables à la modification des règles de calcul du seuil de vente à perte, d'autant que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé contraire au droit européen d'interdire la vente à perte. Les autres distributeurs ne soutiennent pas cette proposition, qui conduirait à augmenter le prix de produits de grande marque, de 10 à 15 % et se traduirait aussi par un recul des volumes des industriels concernés.

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