Merci de votre invitation, qui est une première, au Sénat, pour la FIA. Sans verser dans le catastrophisme, je veux vous alerter, car nous vivons un moment extrêmement grave. La détérioration a des raisons économiques, mais tient aussi aux erreurs politiques commises depuis quinze ans. Je rappelle qu'avec un chiffre d'affaire de 6,17 milliards d'euros, la filière avicole emploie en France 25 000 salariés. Mais alors que nous produisions 2,25 millions de tonnes de volailles en 2000, nous n'en sommes plus, en 2012, qu'à 1,75 million. Alors que la volaille française était leader, la chute s'accélère : nous avons reculé, en Europe, du deuxième rang en 1996 au troisième rang en 2008 et nous sommes en passe d'être relégués au quatrième. Nous perdons du terrain sur tous les marchés. Nous étions restés leaders sur la dinde entre 2001 et 2007, nous sommes désormais rattrapés par la Pologne.
Ce sont les importations qui absorbent l'augmentation de la consommation : nous importions 15 % de notre consommation en 2000-2001, 45 % aujourd'hui. Au niveau européen, la France et faible comparée aux Allemands ou aux Italiens. La DGCCRF ne nous facilite pas la tâche.
Nos organisations professionnelles sont plutôt bien représentées ; nous avons des atouts dans notre palette : le canard, le frais, le surgelé, le bio... Mais je dois dire que sur le bio et le label rouge, certaines décisions politiques n'ont pas été très éclairées.
Notre force réside dans la diversité de nos productions. A la différence des autres filières, tout est contractualisé. Quand un producteur met en place un lot de poulet, il sait à quel prix on va le reprendre. Le fait est que tout le monde en revient aujourd'hui à la logique des grandes coopératives, qui exige sans doute, en contrepoint, que les éleveurs aient leur mot à dire.
Je remarque que la volaille est le rayon qui rapporte le plus à la grande distribution.
Quels sont nos points faibles ? La taille des élevages, beaucoup plus petits que chez nos voisins. Des années durant, on a vanté les mérites de la petite taille ; pendant ce temps, les Allemands, pour reconquérir leurs marchés, se sont agrandis, en s'appuyant sur une politique offensive.
En l'espace de quelques années, le coût de l'alimentation pour animaux a augmenté de 33 %. Cela s'est répercuté sur les prix de vente de la volaille. La rentabilité des entreprises s'est effondrée. Notre capacité d'autofinancement est à zéro. Bien des entreprises sont en crise. Doux a fait la une, mais n'oublions pas Volaven, Volvico, et les petits abattoirs de moins de 50 salariés, qui disparaissent les uns après les autres plus discrètement. Au final, nous importons d'Allemagne, de Belgique, de Hollande. L'Allemagne a mené, depuis les années quatre-vingt dix, une politique très offensive. Après la chute du mur de Berlin, l'Allemagne a obtenu un différentiel de TVA pour les petits élevages allemands, au-dessous de 50 000 poulets. Dans ceux-ci, les éleveurs achètent leur alimentation grevée d'un taux de 7,5 %, et revendent la volaille grevée d'un taux de 9,2 %. Le nombre des exploitations s'est par la suite multiplié, car les grandes exploitations se sont scindées en diverses petites sociétés civiles agricoles de moins de 50 000 volailles... Par ailleurs, le chancelier Kohl a été très malin. Il a mis un ministre écologiste à l'Agriculture, dans les années 1999-2000. Tous les moyens ont été mis sur les énergies vertes. Avec la méthanisation, avec les panneaux solaires sur les bâtiments agricoles, l'énergie a bientôt représenté 35 % du revenu des éleveurs. Que faisions-nous pendant ce temps ? Nous réclamions des aides à l'Europe. Et je veux remercier ici Stéphane Le Foll d'avoir enfin décidé de nous engager dans la méthanisation.
Le troisième avantage comparatif pour l'Allemagne concerne les effets sur le coût de la main d'oeuvre. Certes, la directive Bolkestein est sensée nous protéger, puisque le fameux plombier polonais doit être rémunéré au salaire minimum, mais en Allemagne, il n'y a pas de salaire minimum... Dans ce cas, on prend comme référence le salaire du pays d'origine.
Les Allemands ont profité de ce dispositif. Sur le porc, l'Allemagne n'était autosuffisante qu'à 60 % en 2000. Elle l'est à 109 % en 2010.
La crise est aussi venue des variations de prix sur les matières premières, à partir des années 2007-2008. On a accusé la spéculation sur les cours, mais l'explication reste insuffisante. Qu'il me suffise de citer quelques chiffres. En 1950, on comptait 3 milliards d'hommes sur la planète et 1,5 milliard d'hectares exploitables ; en 2006, 6 milliards d'hommes, 1,6 milliard d'hectares ; en 2050, nous serons 9 milliards, pour 1,65 milliard d'hectares exploitables. Autant dire que le prix des matières premières ne baissera pas et il y aura de plus en plus de variations. Il faut par ailleurs savoir que la Chine, avec 20 % de la population mondiale, ne rassemble pas plus de 10 % des terres cultivables. Pour l'achat de matières premières, c'est le monde entier qui est leur marché.