Monsieur Kaltenbach, nous ne sommes pas d’affreux conservateurs ! Nous sommes simplement préoccupés par l’avenir des départements. C’est d’ailleurs sur ce sujet que j’interviens.
Bien entendu, le mode de scrutin est important pour une collectivité ; il permet de dégager une majorité plus ou moins politique. Le scrutin proportionnel reflète mieux la population et favorise la parité, alors que le scrutin majoritaire tient davantage compte de la représentation territoriale.
Je voudrais faire remonter les préoccupations des élus de la ruralité. Avec les différents dispositifs législatifs, les départements semblent véritablement dépecés de jour en jour.
Si vous me permettez cette métaphore, on est en train d’organiser un système de « vente à la découpe », via non seulement ce mode de scrutin, mais aussi le financement des départements et l’acte III de la décentralisation.
Fondé sur une découpe cantonale beaucoup plus étendue qu’actuellement, le nouveau mode de scrutin proposé, le scrutin binominal, représente plus la population que le territoire. Il modifiera considérablement la physionomie des assemblées départementales ; cela a été largement rappelé.
Je prends l’exemple de mon département, la Marne, qui compte 565 000 habitants. Certes, et nous l’admettons bien volontiers, la situation actuelle méritait d’être corrigée. Mais, en l’occurrence, le nombre de conseillers départementaux urbains doublera quand celui des conseillers départementaux ruraux sera divisé par deux. Il y aura aussi un problème de répartition géographique. La loi n’est pas encore votée, mais nous pouvons présumer de son application : la moitié du territoire devrait être représentée par six conseillers généraux issus de trois cantons, tandis que l’autre moitié, nettement plus peuplée, sera représentée par quarante conseillers généraux issus de vingt cantons.
La répartition territoriale est donc particulièrement mise à mal par une telle découpe. Cela porte forcément atteinte à la stratégie départementale, qui avait pourtant été améliorée grâce à la décision du renouvellement intégral de l’assemblée tous les six ans.
La politique départementale, ce n’est pas l’accumulation de stratégies cantonales ! C’est une stratégie de solidarité, le monde rural étant, jusqu’à présent, très largement représenté.
Demain, le monde urbain prédominera, ce qui pourra dans certains cas modifier considérablement l’approche actuelle des politiques départementales.
Je pense notamment aux collèges ruraux, que l’on maintient parfois à bout de bras, aux petites routes départementales, aux services publics décentralisés et même au soutien aux communes rurales, qui pourraient être contesté dans le cadre de la rigueur budgétaire et d’une volonté de tout concentrer sur les villes.
Ainsi, ce mode de scrutin éloigne les élus des territoires. Car c’est précisément l’échelon départemental qui était jusqu’à présent le plus approprié, le plus proche, le mieux placé, me semble-t-il, pour mener des politiques de solidarité en faveur des hommes et des territoires. Mon propos n’est pas nostalgique. Au contraire, il est peut-être visionnaire ! Monsieur le ministre, dans la mesure où je ne connais pas la date à laquelle il sera procédé à cette découpe, je suis, comme nombre de mes collègues, dans l’expectative. Et si la modification prévue pour l’article 23 est adoptée, vous aurez les coudées franches pour manier le bistouri.
Je filerai la métaphore de la découpe à propos des financements. Oui, l’absence de financement des allocations de solidarité met à mal les budgets départementaux ! Vous me direz que c’est le cas depuis longtemps. Certes. Mais c’est de plus en plus inquiétant.
Dans le cadre des compensations, si le Gouvernement a mis sur pied une commission à l’échelon national, il a fixé une condition : ne pas augmenter les prélèvements obligatoires. Au demeurant, je peux le comprendre.
Nous n’avons pas senti de volonté gouvernementale de recentrer sur les conseils généraux les financements normalement affectés aux solidarités et aux compensations de la perte d’autonomie. Je pense bien entendu à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA.
Il y a là une piste intéressante, qui mérite d’être creusée, si l’on a la volonté de maintenir l’échelon départemental, et non de le laisser mourir à petit feu.
J’en viens à l’acte III de la décentralisation, toujours sous l’angle de la « découpe ». Quelle déception ! On aurait pu émettre des propositions pour améliorer et clarifier les compétences de collectivité, notamment le département ! Quelle déception de voir que la solidarité est reportée à une date ultérieure, alors que le département, qui en a la responsabilité, est la collectivité la plus affectée par la crise actuelle ! Quelle déception de constater que des compétences départementales, notamment en matière sociale, sont transférées aux métropoles ! Cela ne créera aucune attractivité supplémentaire et n’améliorera en rien la notoriété internationale de l’institution. De surcroît, il n’y a pas eu d’évaluation des effets d’une telle mesure sur le reste du territoire départemental hors métropole, qui n’aura plus la taille critique pour garantir l’efficacité des politiques menées.
Aussi, nous sommes nombreux à ne pas voir dans ces différents dispositifs la volonté de conforter cet échelon de proximité locale qu’est le département, qui rend incontestablement service à toute la population. En disant cela, je ne manifeste aucune volonté de monter les élus ruraux contre les élus urbains. Je veux simplement attirer votre attention sur l’inquiétude que suscite ce nouveau mode de scrutin au sein des les populations, qui sont attachées aux services rendus.
Le résultat du scrutin alsacien montre bien que les territoires les plus éloignés ou les moins peuplés sont sur la défensive quant à de telles évolutions. Je parle sous le contrôle de notre collègue André Reichardt.