Intervention de Marie-Christine Blandin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 avril 2013 : 1ère réunion
Respect de l'exception culturelle dans le cadre de la négociation d'un accord de libre-échange avec les états-unis — Échange de vues

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin, présidente :

J'en viens maintenant au second point de notre ordre du jour.

Le 12 février dernier, dans son discours sur l'état de l'Union, le Président Obama a fait part de son intention d'engager un cycle de négociations avec l'Union européenne, afin de conclure un accord de libre-échange, qui lierait les deux premières puissances commerciales du monde. L'objectif est clairement affiché, contribuer à créer des millions d'emplois aux États-Unis.

Le 12 mars, la Commission européenne a adopté un projet de mandat autorisant l'ouverture de négociations concernant un accord global sur le commerce et l'investissement entre l'Union européenne et les États-Unis. A la date d'aujourd'hui, ce mandat inclurait les services culturels et audiovisuels.

Depuis lors, professionnels et politiques se sont mobilisés face à ce qui apparaît comme une atteinte au principe de l'exception culturelle.

Avant d'évoquer les contours d'une démarche que nous pourrions entreprendre pour marquer notre attachement à ce principe, il n'est pas inutile de revenir quelques instants sur les fondements de cette exclusion aux règles du commerce international.

Le concept d'exception culturelle puise ses racines dans les négociations du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), entamées en 1986 dans le cadre de l'Uruguay round et conclues en 1992. À l'initiative de la France et du Canada et malgré l'opposition farouche des États-Unis pourtant non membres de l'organisation, elle a ensuite été consacrée par la signature, le 2 novembre 2001, de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle sous l'égide de l'UNESCO. Elle affirme notamment que « la défense de la diversité culturelle est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine ». Elle dispose également qu' « une attention particulière doit être accordée à la diversité de l'offre créatrice, à la juste prise en compte des droits des auteurs et des artistes ainsi qu'à la spécificité des biens et services culturels qui, parce qu'ils sont porteurs d'identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres ».

Pour le dire autrement, diversité culturelle et exception culturelle, pour être liées, ne recouvrent pas des notions similaires. La première est d'inspiration éthique, valeur cardinale de la rencontre des différentes cultures qui constituent notre patrimoine universel. Elle seule peut nous permettre de respecter les goûts et les références culturelles de chacun.

Ce postulat posé, la seconde est un outil dans une économie de marché. Mais il faut bien s'en remettre à l'exception culturelle pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ainsi que préserver la richesse de la création artistique. Tel est l'objet de la Convention signée le 20 octobre 2005 sous l'égide de l'UNESCO, qui a permis d'écarter les services culturels et audiovisuels de la libéralisation mondiale.

À ceci près que l'exception culturelle est aujourd'hui menacée. Le mandat qui sera confié à la Commission européenne pour négocier la libéralisation du commerce avec les États-Unis ne prévoit pas d'exclure les industries culturelles de la discussion. Le texte promet seulement que « la négociation ne portera pas atteinte au principe de la diversité culturelle ». C'est la moindre des choses.

A contrario, pour la première fois, l'exception culturelle deviendrait négociable. C'est du moins le point de vue du commissaire européen en charge du commerce. Le secteur audiovisuel et les services culturels pourraient constituer une monnaie d'échange pour obtenir des Américains des assouplissements dans d'autres secteurs industriels ou pour éviter d'autres sacrifices, par exemple dans le domaine agricole.

L'enjeu économique sous-jacent est évidemment colossal. Les États-Unis détiennent à eux seuls plus de la moitié du marché mondial de l'audiovisuel, quand la part de l'Union européenne dépasse à peine le quart du total.

Autre élément à prendre en compte, la transformation radicale des modes de diffusion des oeuvres culturelles, audiovisuelles en particulier, au cours des dernières années. La convention de l'UNESCO de 2005 est entrée en vigueur le 18 mars 2007. À l'époque, la vidéo à la demande, la télévision de rattrapage, les jeux vidéo en ligne, la radio numérique ou la TV connectée n'existaient pas encore. Le CD constituait le support privilégié d'achat de musique.

De là à considérer que l'exception culturelle constituerait désormais une nouvelle ligne Maginot, il n'y a qu'un pas que certains - y compris en France - ont déjà allègrement franchi, en violation flagrante du principe de la neutralité technologique. Au nom de la recherche du succès auprès du plus large public possible, les tenants de cette vision du monde estiment que le financement de la création, qu'il s'agisse de films, séries, musique ou jeux vidéo - je cite une chronique parue dans Le Monde il y a quelques jours - « ne devrait plus dépendre pour une bonne part de subventions publiques, d'aides d'État, de quotas de diffusion, d'obligations de (co)financement ou de chronologies des médias ». Bref, au nom du bouleversement des modes de diffusion des oeuvres, jetons le bébé avec l'eau du bain.

Pour ma part, je pense que nous devons nous en tenir au respect de l'oeuvre, dont le contenu n'est pas modifié par la transformation de ses modes de diffusion.

En amont, au stade de la production de contenus, le secteur audiovisuel est depuis longtemps dominé par les grands studios américains, évidemment organisés en un puissant groupe de pression. Il l'est désormais également en aval, en termes de modes de diffusion. Nous avons déjà eu l'occasion ici même d'évoquer la position dominante des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) dans le monde du numérique.

Le 15 mars dernier, la ministre de la culture a souligné avec force que la culture n'était pas une marchandise. Jeudi dernier, lors de notre séance de questions au Gouvernement, elle a rappelé son opposition à ce qu'elle a appelé le « funeste projet de la Commission européenne ». Le Président de la République s'est exprimé dans le même sens.

À l'initiative de Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, et Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles, celle-ci examine une proposition de résolution européenne en ce moment même. Cette proposition porte sur le sujet spécifique du respect de l'exception culturelle.

Je pense que nous y sommes nous aussi très attachés. Je vous propose donc de signer un texte comparable reprenant les convictions exprimées par nos collègues députés, à titre individuel puisqu'une proposition de résolution ne peut être présentée au nom d'une commission mais réunissant le plus grand nombre d'entre nous. Il serait bon que cette proposition de résolution puisse être renvoyée à la commission des affaires européennes avant l'interruption de nos travaux, à la fin de la semaine prochaine.

Elle a désigné notre collègue Simon Sutour rapporteur en ce qui concerne l'ensemble du mandat de négociation en vue d'un accord de libre-échange avec les États-Unis. Une fois qu'une proposition de résolution lui est transmise, la commission des affaires européennes dispose d'un délai d'un mois pour statuer. Notre texte serait ensuite examiné par la commission des affaires économiques, saisie au fond de l'accord en cours de négociation, au nom de sa compétence en matière de commerce, sans doute vers la fin mai. Une résolution d'ensemble pourrait donc être adoptée par le Sénat avant le conseil de l'Union européenne appelé à statuer sur le mandat de négociation, qui aura lieu au cours de la seconde quinzaine du mois de juin.

L'itinéraire est complexe mais façonné par nos textes. Je n'ai apporté qu'une seule modification au texte de nos collègues députés, en ajoutant la mention « considérant que l'ensemble de la culture ne peut se résumer à la simple notion de marchandise ».

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