Intervention de Giuseppe de Martino

Commission des affaires économiques — Réunion du 16 avril 2013 : 1ère réunion
Economie numérique — Audition de M. Giuseppe de Martino président de l'association des services internet communautaires asic et secrétaire général de dailymotion et de M. Benoît Tabaka secrétaire général de l'asic et directeur des politiques publiques de google france

Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC) :

L'ASIC est une exception française. Il n'existe dans aucun autre pays une telle association regroupant des géants de l'Internet (Facebook, Google, Microsoft, Yahoo...), des modestes champions nationaux (Priceminister, Dailymotion) et quelques start up. Ces acteurs ont choisi de se regrouper suite à la première atteinte à la neutralité de l'Internet en 2007. Un fournisseur d'accès - Neuf Cegetel - avait choisi, parce que ses discussions commerciales d'attribution de bande passante avec un fournisseur de contenus, en l'occurrence Dailymotion, se passaient mal - d'empêcher le visionnage par ses abonnés de vidéos sur le site en question. Pour la première fois, un fournisseur d'accès touchait au principe selon lequel « le fournisseur de tuyau ne doit pas toucher au contenu passant dans ce tuyau ». Dailymotion a mis un pop up informant les utilisateurs qu'il n'était pas responsable de cette situation et les orientant vers la centrale d'appels du fournisseur d'accès. En une heure, la hotline de ce dernier était saturée et en deux heures le service était rétabli.

Les fournisseurs de contenus ont alors créé cette association pour faire de la pédagogie et expliquer le concept de neutralité de l'Internet. Elle a pour but de défendre la neutralité dans sa dimension économique : les fournisseurs de contenus doivent pouvoir choisir le fournisseur de bande passante, le fournisseur d'accès qui propose du peering, le transit ou le content delivery network (CDN). Nous, fournisseurs de services internet, voulons cette liberté de choix de la source d'approvisionnement en bande passante.

L'ASIC a eu la surprise d'être alors convoquée par M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Il avait une définition différente de la neutralité de l'Internet, puisqu'il pensait à la défense du bloggeur tunisien : comment un dissident pouvait-il arriver à se faire entendre par tous sur Internet ? La définition de la neutralité était donc variable d'un acteur à l'autre.

L'ASIC reste cantonnée à la dimension économique, la neutralité de l'Internet se déclinant en trois principes : premièrement, l'opérateur de réseau, quand il met à disposition son réseau, ne doit pas discriminer le contenu par rapport à l'utilisateur du réseau ; deuxièmement, l'opérateur de réseau doit agir en toute transparence auprès des fournisseurs de service ; enfin, il doit informer parfaitement le consommateur.

En 2008, le sujet devient toujours plus important. L'ASIC saisit l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), grâce à l'intervention de Bruno Retailleau, allié indispensable dans la pédagogie à l'égard des autorités de régulation. L'Arcep estimait ce sujet un peu connexe par rapport à son domaine d'intervention. Nous souhaitions cependant que l'autorité se saisisse du dossier pour trouver des solutions en cas de blocage, ce qu'elle a fini par faire. Le sujet a donc atteint aujourd'hui sa pleine maturité : un opérateur de réseau n'oserait pas couper les services d'un opérateur de services, ou il prendrait le risque que l'utilisateur final choisisse un autre fournisseur d'accès.

Vous avez cité l'exemple du conflit entre Free et Youtube, entité appartenant à Google. Les discussions achoppent sur le montant de la prestation, mais aussi, plus généralement, sur la philosophie. Entre les trois modes de fourniture d'accès (peering, transit, CDN), tout vient se mélanger aujourd'hui, les opérateurs intégrant de plus en plus une dimension CDN dans leurs offres commerciales. Il est plus difficile d'estimer, notamment dans le cas du différend entre Free et Youtube, qui n'a pas respecté la logique des négociations commerciales et le principe d'égalité.

L'Arcep a été saisie de ce différent. L'autorité a cependant une énorme difficulté : ses clients naturels sont les opérateurs de télécommunications, qui ont l'obligation de donner des chiffres sur les trafics transitant sur leurs réseaux. L'Arcep n'a pas les mêmes informations sur les fournisseurs de services, surtout quand ils sont basés à l'étranger. Elle va donc devoir arbitrer et enquêter.

Il y a plusieurs semaines, l'Arcep a déclaré - et c'est une très bonne nouvelle - vouloir mettre en place des observatoires de qualité de services. Par cette transparence dans la fourniture d'un service, on arrivera à comparer les différentes activités.

L'Arcep est donc garante de cet Internet ouvert, de la neutralité de l'Internet. Au-delà de la dimension économique et de la dimension « bloggeur tunisien », des exemples montrent des atteintes à la neutralité dans sa dimension la plus large. On peut évoquer ainsi Apple choisissant, à partir d'une lecture de ses conditions générales d'utilisation, d'exclure des services de sa boutique d'application ; Free empêchant sur sa box les fournisseurs de services d'offrir de la publicité ; Google et la question de la neutralité des résultats de recherche ... De même, est-ce que la télé connectée est neutre en soi ? Toutes ces questions sont liées à l'enjeu de non discrimination, de transparence et surtout d'information du consommateur.

Au niveau européen, le troisième « paquet télécom », dont le contenu est assez satisfaisant, a été transposé. Est-ce suffisant ? A-t-on besoin d'une loi ? Dans le domaine des nouvelles technologies, il faut légiférer d'une main tremblante. L'Internet a une dimension internationale et ce ne sont pas les acteurs économiques européens qui pourront changer la donne. Nous militons donc pour une approche plus globale, peut-être dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), cadre le plus approprié pour remettre à plat ces notions, sans discrimination. N'oublions pas le dernier maillon de la chaîne : l'utilisateur doit se voir offrir l'information la plus transparente possible.

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