Intervention de Jean-François Lamour

Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage — Réunion du 27 mars 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-François Lamour député de paris ancien ministre des sports ancien ministre de la jeunesse des sports et de la vie associative

Jean-François Lamour :

Je crois que le but de votre commission d'enquête est de faire un point sur l'efficacité de la lutte antidopage.

En la matière, quand on parle d'efficacité, il faut effectuer une comparaison dans le temps, que ce soit au niveau national, ou au niveau international. Vous me permettrez donc de rappeler où nous en étions il y a encore une vingtaine d'années, et où nous en sommes aujourd'hui...

La France a toujours été -quels que soient les gouvernements, et quels que soient les ministres- à la pointe en matière de lutte antidopage. Ceci est dû à son histoire, en particulier au drame de Simpson en 1967, au Mont Ventoux. On se souviendra, plus récemment, de l'affaire du Tour de France de 1998, mais aussi de l'affaire Cofidis, en 2004, et d'autres sujets qui ne sont pas directement liés aux sportifs français. Je pense au championnat du monde d'athlétisme, en 2003, où l'on avait détecté de la tétrahydrogestrinone (THG) chez un certain nombre de sportifs américains...

La France a toujours été aux avant-postes de la lutte antidopage, au travers de ses recherches et de son encadrement législatif, mais aussi au travers de la loi de 2006 sur le suivi longitudinal, qui constitue en quelque sorte l'outil embryonnaire qui a débouché sur le passeport biologique. Certes, le suivi longitudinal était, dans un premier temps, un outil de préservation de la santé ; le passeport biologique, lui, est maintenant un outil qui peut être également répressif, mais il en était le cadre général et -on le voit au travers de l'évolution- ceci allait dans le bon sens.

La France s'est également trouvée aux avant-postes de la lutte antidopage en créant le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD), qui s'est ensuite transformé en Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), entité juridique indépendante répondant mieux aux préconisations mises en place après la rédaction du premier code mondial antidopage, en 2003.

La France a aussi été précurseur en matière de localisation des athlètes ; moi-même, en tant qu'ancien athlète, membre de l'équipe de France olympique, lors des Jeux olympiques de Barcelone, j'ai été dans l'obligation d'établir, en 1992, un formulaire de localisation -et Dieu sait si cela m'a contrarié ! Celui-ci permettait, dans des conditions assez aléatoires, de préciser dans quel endroit nous nous trouvions. Cet outil annonçait en quelque sorte l'actuel système d'administration et de gestion antidopage ADAMS, qui est plus contraignant.

Sur le plan international, il existe un avant et un après 1998. Avant 1998, nous avions connu l'affaire Ben Johnson, lors des Jeux olympiques de Séoul en 1988. Il avait fallu toute la persuasion du prince de Mérode, à l'époque directeur médical du Comité international olympique (CIO), pour que cette affaire sorte. Le prince de Mérode, qui n'en pouvait plus qu'un certain nombre de cas soient tus, a dû taper sur la table pour que cette affaire sorte, avec les images dont on se souvient, où l'on voit Ben Johnson quitter précipitamment Séoul...

Entre 1988 et 1998, peu d'efforts ont été faits en matière de lutte antidopage du mouvement sportif. Un certain nombre de pays en avaient fait un outil de promotion, utilisant le sport comme un vecteur de promotion, le dopage permettant que leurs athlètes se trouvent parmi les meilleurs.

Après 1998, on a rattrapé le temps perdu. Un colloque a été organisé en 1999, à Lausanne. Mme Marie-George Buffet y a tenu un rôle important, ayant été aux premières loges lors du Tour de France de 1998. Lausanne a ainsi permis la création de l'Agence mondiale antidopage (AMA). C'est la première fois que mouvement sportif et gouvernements travaillaient ensemble à la mise en place d'un programme mondial de lutte contre le dopage. Le financement a été réalisé à parts égales, ce qui était une grande nouveauté, l'AMA disposant d'un budget de 21 à 22 millions de dollars. La répartition était différente selon les donateurs. Aujourd'hui, la France participe, je crois, à hauteur de 500 000 euros par an.

En outre, un code antidopage, émanation de ce travail commun, a vu le jour. Ce code a été très rapidement rédigé et adopté dans son principe en 2003, à Madrid, après que son contenu ait été validé. La notion de relations internationales y est très forte et indissociable de la lutte antidopage.

Ce code avait pour principal but d'établir un consensus sur la liste des produits détectés hors et en compétition et une sorte de hiérarchie des sanctions en fonction des produits découverts. Il était également destiné à mettre au point un certain nombre de procédures de contrôle, tant en compétition que hors compétition. C'est là que réside l'avancée principale de ce code, qui marque l'avènement d'une réelle organisation dans la lutte antidopage mondiale.

La seconde version de ce code, en 2007, a sensiblement alourdi le niveau des sanctions. Par ailleurs, les améliorations techniques ont permis la rétroactivité des contrôles antidopage et permis de remonter jusqu'à huit ans en arrière. Possibilité dont on aurait bien aimé disposer en 1998, afin de fournir un certain nombre d'éléments à l'AMA !

Même si le sujet est encore imparfait, il est par nature évolutif. Certes, beaucoup de progrès ont été réalisés sur une période extrêmement courte, mais le législateur français a dû accepter un texte émanant d'une structure de droit suisse, basée à Montréal ! Il faut une véritable volonté pour accepter de perdre une part de ses compétences et de sa souveraineté, même au profit d'une lutte antidopage efficace ! Qu'il s'agisse de lutte antidopage ou de lutte contre les paris illégaux, Internet est extrêmement volatil, et il nous faut, en permanence, faire évoluer ces textes.

Cinq évolutions majeures sont devant nous. La première concerne l'universalité du sport. De nouvelles nations arrivent dans le concert international, avec des cultures et des moyens différents en matière de lutte antidopage. Certains pays d'Afrique se moquent bien de mettre en place un programme de lutte antidopage, ayant à peine de quoi chausser leurs sportifs, les faire vivre et les entraîner !

De nouvelles disciplines sont nées, dans des sports plus « funs » où la hiérarchie et les règles sont extrêmement difficiles à faire appliquer, quels que soient les continents. Ainsi, le golf, qui redevient discipline olympique, a toujours considéré que la lutte antidopage n'était pas une priorité. Or, cette discipline est aujourd'hui tenue de mettre en place un programme antidopage, qui sera appliqué de la manière la plus stricte durant les éliminatoires, afin de sélectionner les champions qui participeront aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro, mais aussi durant les compétitions.

En second lieu, les pratiques et les performances se sont également améliorées : comment traiter les caissons hypobares, qui permettent de reproduire un entraînement en altitude, fort critiqués et parfois même interdits ? Comment traiter le cas d'Oscar Pistorius, dont l'amélioration des performances peut paraître d'origine bionique ?

Le législateur, en relation avec le mouvement sportif, partout dans le monde, doit imaginer ces évolutions. Dans le domaine de la recherche, on est loin du simple massage destiné à récupérer d'une séance d'entraînement ou d'une compétition particulièrement éprouvante. Il existe à présent des systèmes de récupération par cryothérapie ou par balnéothérapie, mais également par perfusion. Il nous faut le prendre en compte lorsqu'il s'agit de déterminer le cadre légal d'un accompagnement à l'amélioration de la performance...

Les méthodes de dopage elles-mêmes ont largement évolué. On est passé du « pot belge » au dopage sanguin, et on en est maintenant au dopage génétique. Il nous faut donc être en phase avec ces améliorations. On se souvient du cas de l'Allemagne de l'Est, dont les athlètes féminines étaient mises enceintes pour améliorer leurs performances durant les deux à trois semaines suivant le début de leur grossesse. Ceci a fait partie de la panoplie en matière d'amélioration de la performance, mise en place en particulier en Allemagne de l'Est.

La quatrième évolution est relative à la circulation des athlètes. Alors qu'ils étaient assez facilement repérables, ils circulent maintenant dans tous les pays du monde, pour les compétitions, mais également pour les phases d'entraînement, qu'il s'agisse du Maroc, de l'Afrique du Sud, ou d'autres pays. Ceux-ci ne sont pas, par nature, suspects de recourir au dopage, mais doivent cependant faire l'objet d'un suivi de leurs athlètes. C'est la raison pour laquelle le dispositif ADAMS, si contraignant, a été mis en place.

Europol et Interpol doivent également prendre en compte la circulation des produits interdits, en particulier dans le domaine de la commande sur Internet et de la livraison à domicile ou sur le lieu d'entraînement.

Le dernier volet est relatif à la relation entre l'argent et le sport : faut-il craindre que l'afflux d'argent encourage le dopage ? Je suis plus mesuré sur cet aspect des choses. Dès 1907, le Vidal, qui en était à sa deuxième ou troisième édition, faisait référence à un produit à base de strychnine « bon pour les cyclistes » ! Ce n'était pas un problème d'argent mais de culture.

Il faut bien reconnaître que plus l'argent est présent, plus le dopage est sophistiqué. C'est cet élément qu'il faut prendre en compte. Pour autant, l'argent pousse-t-il à se doper ? Je ne le pense pas. Le sportif peut rechercher une meilleure performance, ou vouloir revenir à la compétition le plus rapidement possible après une moins bonne performance ou une blessure importante. C'est pourquoi il faut que le sportif soit bien encadré.

Quelles sont les perspectives ? Nous avons aujourd'hui un problème en matière de contrôle antidopage. Selon les derniers chiffres de l'AFLD, sur 10 000 contrôles, 200 cas sont positifs. Nous ne pouvons nous satisfaire de ce ratio, non qu'il exprime une qualité de la lutte antidopage en France et de la protection du sportif, mais parce qu'il s'agit là d'un coût important. Il faut aller vers un ciblage plus performant des publics cibles, mieux choisir les sportifs, et surtout progressivement substituer le passeport biologique aux contrôles hors compétition. Le passeport biologique me semble être le meilleur outil de contrôle sur le long terme. Lorsqu'un paramètre physiologique ou biologique est perturbé, le médecin ou l'autorité de contrôle peuvent suspecter une faiblesse de l'athlète, une prise de produits ou un procédé destiné à améliorer certaines performances. On ne peut dissocier le passeport biologique du dispositif ADAMS, même si celui-ci est extrêmement contraignant...

Il existe un autre sujet sur lequel il faut être extrêmement vigilant, où le législateur et les autorités publiques ont également leur rôle à jouer : il s'agit de la maîtrise des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) et des déclarations d'usage (DU).

Lorsque j'étais vice-président de l'AMA, je me suis battu, avec le soutien des experts français du laboratoire de Châtenay-Malabry, pour que les glucocorticoïdes soient considérés comme des produits dopants. Je m'aperçois aujourd'hui qu'ils sont acceptés grâce à des AUT. Il faut donc être vigilant et ne pas accepter -ce que souhaitent certains- un dopage sous contrôle médical. Ceci ne relève évidemment pas directement du législateur, mais le ministre, ayant la capacité d'intervenir auprès de l'AMA, doit veiller à l'encadrement des AUT et des DU.

L'AMA doit par ailleurs être l'outil de coordination en matière de recherche ; elle doit aussi mutualiser les moyens. Le danger du dopage génétique est l'un des plus grands. C'est à l'AMA d'initier les recherches, à travers ses fonds propres mais aussi à travers la mise en réseau des laboratoires.

On doit également renforcer la lutte en matière de trafic de produits dopants. En dehors de quelques prises réalisées par Interpol, peu de trafics ont été mis à jour. Je reconnais qu'Interpol est aujourd'hui focalisé sur la lutte antiterroriste et sur les trafics de drogue, mais il me semble important que ces entités internationales travaillent de façon plus marquée sur le trafic de produits dopants.

Enfin, même si nous sommes performants dans ce domaine, nous devons continuer à oeuvrer en faveur de la prévention et de l'éducation des jeunes. Il faut donc que la formation des éducateurs sportifs évolue et passe du répertoire national des formations du ministère des sports à un répertoire de l'éducation nationale, en demeurant toujours aussi performante en matière d'éducation et de pédagogie concernant la lutte antidopage.

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