Je suis honoré par votre invitation.
La protection de la santé du sportif passe par deux types de surveillance. La lutte contre le dopage se réfère à l'éthique, à l'équité et à la santé : elle a pour cadre le code mondial antidopage et la loi française, l'AMA et les agences nationales ; située dans le disciplinaire, elle aboutit à des sanctions. À côté, la médecine d'aptitude, qui inclut la surveillance médicale et la médecine du travail, se réfère à la loi française. Lutte antidopage et protection de la santé du sportif répondent à des missions différentes ; il y a une étanchéité entre les deux.
La lutte antidopage relève du contrôle, elle recherche une preuve directe ou indirecte avec le passeport biologique, puis débouche sur le disciplinaire. La prise en charge médicale est plus complexe. La médecine de soins est assurée par les médecins d'équipes et de clubs ; médecins traitants du sportif, ils exercent une médecine curative, par opposition à la non-contre-indication, médecine préventive qui vérifie l'aptitude à pratiquer un sport -l'aptitude correspond à une médecine du travail qui existe seulement chez les professionnels. Il y a incompatibilité d'exercice entre ces types de médecine, ce qui n'exclut pas des échanges entre le médecin du travail et le médecin traitant. Enfin, l'avis de spécialistes peut être sollicité par l'un et l'autre ; ils établissent alors un compte rendu.
Si la déontologie nous interdit de donner des informations dans la lutte antidopage, il est arrivé que le docteur Françoise Lasne m'alerte sur une anomalie relevée dans les urines et qui faisait suspecter un cancer des testicules. Elle n'avait qu'un numéro, grâce auquel j'ai pu retrouver le nom de ce coureur pour le prendre en charge sur le plan médical.
Dans la Fédération, je suis indépendant : son organigramme montre que je ne rends de compte qu'à son président. J'avais mis en place un suivi médical longitudinal contrôlé dès 1998, avant la loi Buffet. La surveillance médicale réglementaire est régie par une loi de 2006, que nous appliquons au titre d'une délégation de service public. Elle impose une surveillance clinique et une exploration fonctionnelle ; un test d'effort préalable est requis tous les ans.
En 2013, nous avons réussi pour la première fois à avoir le même protocole sur nos quarante-sept plateaux techniques. C'est ce que nous réalisions depuis 1999 pour le suivi biologique : voilà quatorze ans que tous les cyclistes subissent de deux à quatre prélèvements annuels selon qu'ils sont juniors ou professionnels : tout le monde a les mêmes obligations et nous avons la même attitude envers tous. Nos prélèvements sanguins mesurent les mêmes paramètres que ceux du passeport hématologique qui mesure trois paramètres et décèle la prise d'EPO. Cette numération est inclue dans notre suivi.
Je dispose au siège d'une assistante. Elle adresse pour chaque prise, pour chaque examen, une lettre à chacun des 1 200 coureurs. Le sportif se rend dans un laboratoire d'analyses biologiques ou sur un plateau technique. Les résultats sont ensuite transmis sous forme numérique suivant des modalités sécurisées. Le médecin fédéral reçoit la totalité des résultats, le médecin régional ceux des amateurs et le médecin d'équipe ceux de la population dont il a la charge.
Je peux exploiter ces données sur mon ordinateur personnel. Je dispose pour chacun de ses résultats des valeurs sur plusieurs années, je peux ainsi les comparer aux valeurs normales, mesurer l'évolution des paramètres. Il faut parfois du temps pour que les profils se normalisent. Nous pouvons cibler, déterminer les conduites à tenir pour chaque anomalie et les modalités de prise en charge. Les contre-indications médicales sont à effet immédiat. Parce qu'une cortisolémie basse représente un risque sanitaire, que la prise de corticoïde ait été licite ou non, c'est un no start pour le coureur. Cela a été le cas lors des derniers 4 jours de Dunkerque comme lors des championnats de France professionnels 2012.
En 2012, nous avons suivi 1 200 coureurs dont 224 professionnels. La ligue professionnelle a demandé que ces derniers aient le même suivi que les amateurs - il n'en est pas de même dans tous les sports. La même année, nous avons répertorié 272 anomalies et il y a eu 68 contre-indications à effet immédiat, une mesure administrative qui impose au coureur de rendre sa licence au président de son comité ou de la fédération. Il ne la récupère qu'après des visites d'experts. L'individu qui ne respecte pas les obligations de suivi est lui aussi passible d'une contre-indication administrative.
Contrairement à ce qu'on dit, je ne suis absolument pas opposé au passeport biologique ou hématologique. Tous les prélèvements sanguins réalisés dans le cadre de la surveillance médicale règlementaire forment la sérothèque de la fédération, située dans les laboratoires Mérieux, devenus Biomnis, à Lyon : les coureurs ont donné leur accord pour que les tubes soient conservés cinq ans et que la sérothèque soit exploitée pour construire une base de données. Les prélèvements sont toujours réalisés dans les mêmes conditions, afin d'autoriser les comparaisons dans le temps. Je ne suis pas hostile aux preuves indirectes, à condition qu'elles soient efficientes
L'UCI a présenté son passeport hématologique en octobre 2007 ; il comprend des données sur les hématies, l'hémoglobine et les réticulocytes, conformément aux exigences de l'AMA, de l'UCI et de nos scientifiques.
Lorsqu'on réalise une numération sanguine, on détecte également les anomalies affectant d'autres éléments, globules blancs, plaquettes... Mais on n'en fait rien. Certains coureurs atteints de leucémie ont ainsi émis des plaintes car, s'ils avaient été informés de ces résultats, ils auraient pu être soignés plus tôt.
La preuve indirecte constitue une avancée incontestable, mais coûteuse. Le prix grand public d'une numération sanguine s'établit à 23 euros. Il est difficile de connaître précisément le coût annuel des 900 passeports réalisés chaque année par l'UCI : il est évalué entre 5 à 7 millions, pour 4 à 6 prélèvements par an et par coureur. En cinq ans, sept coureurs ont été suspendus pendant deux ans. Tous étaient de second plan, et l'un a été suspendu alors qu'il était déjà à la retraite... Et tout cela pour un coût global de 25 à 35 millions d'euros. En 2009 et 2010, Lance Armstrong, Frank Schleck et Alberto Contador ont été convaincus de dopage, mais ce n'est pas par le suivi biologique qu'ils ont été confondus. Soit dit en passant, ces 4 500 prélèvements auraient coûté 103 500 euros au prix grand public...
Je n'oppose pas le passeport et la surveillance médicale réglementaire, les deux n'ont pas la même finalité. Nous avons signé avec le ministère une convention d'objectifs pour les 1 000 coureurs amateurs ; les professionnels prennent eux-mêmes en charge le coût de la surveillance médicale. Chaque coureur a coûté 400 euros, plateau technique et échographie tous les deux ans compris. Depuis 2002, 2 173 anomalies ont été répertoriées, dont 468 contre-indications, et de nombreuses pathologies professionnelles ont été découvertes. Le ministère suit 15 000 sportifs, pour un coût de 3,3 millions par an.
Je rêve d'une révision du statut du sportif de haut niveau -avec des aides matérielles, voire des points de retraite- et d'une véritable médecine du travail. Cela freinerait les conséquences du dopage. Une mutualisation interfédérale, voire une externalisation de cette médecine, serait également souhaitable.
Les 14 500 sportifs sont soumis à la même numération pour le ministère et pour l'AFLD : pourquoi ne pas faire des prélèvements communs aux deux instances ? Les résultats bruts pourraient être donnés aux fédérations et à l'Agence, libre aux unes et à l'autre d'ordonner des examens complémentaires.
Je rêve également d'une entité interfédérale, avec un traitement administratif et logistique de la surveillance médicale réglementaire confié à une commission médicale d'expertise intersport.