Intervention de Alain Anziani

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 avril 2013 : 1ère réunion
Inscription de la notion de préjudice écologique dans le code civil — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani, rapporteur :

En décembre 1999, aux larges des côtes bretonnes, l'Erika, un pétrolier chargé de fioul lourd affrété par la société Total faisait naufrage, souillant 400 kilomètres de côtes, tuant 150 000 oiseaux, répandant dans l'océan 18 tonnes de fioul et huit tonnes de produits cancérigènes. À la suite d'un procès qui a duré onze ans, dont les conséquences environnementales ont dépassé celles du naufrage de l'Amoco Cadiz en 1978, la Cour de cassation a, le 25 septembre 2012, rendu contre l'avis de l'avocat général un arrêt, publié dans toutes les gazettes de France et du monde. Confirmant les décisions antérieures, elle condamnait Total à l'amende maximale, 375 000 euros, et à 200 millions d'euros de dommages et intérêts à payer à l'État, aux collectivités territoriales et à des associations agrées de protection de l'environnement.

Toute la procédure a été traversée par une question juridique et à certains égards, politique. Qu'est-il possible d'indemniser au juste ? La Cour de cassation a indemnisé le préjudice porté à l'image des collectivités territoriales, de même que la perte d'intérêt matériel que constitue une diminution du tourisme. Au-delà du préjudice matériel et moral, n'y avait-il pas un préjudice causé directement à l'environnement lui-même ?

L'ourse Cannelle abattue par un chasseur dans les Pyrénées était la dernière représentante de son espèce : la disparition d'une espèce ne constitue-t-elle pas un pur préjudice environnemental ?

La proposition de loi mérite-t-elle d'exister ou bien le droit positif règle-t-il déjà les questions dont elle traite ? Certes, la Charte de l'environnement de 2004 a désormais valeur constitutionnelle et la protection de l'environnement figure à l'article 34 de la Constitution. Cependant, la loi du 1er aout 2008 relative à la responsabilité environnementale, qui transpose la directive du 21 avril 2004, est inapplicable, parce qu'en énumérant certains dommages seulement, le législateur en a écarté d'autres et ignoré l'obsolescence des techniques. Les préfets, chargés de son application, n'ont jamais utilisé cette procédure, jugée trop complexe.

Autre objection, pourquoi ajouter ces dispositions à un code civil déjà trop épais ? L'article 1382 prévoit que celui qui cause un dommage à autrui doit le réparer. L'article 1383 dispose que chacun est responsable du dommage qu'il a causé par sa négligence ou par son imprudence. Enfin, l'article 1384 rend responsable des personnes ou des choses qu'on a sous sa garde.

Cependant, l'étude de la jurisprudence met en évidence le malaise des tribunaux. Afin de donner un fondement à la réparation du préjudice écologique, la Cour de cassation s'appuie sur la notion de préjudice moral pour indemniser les associations agréés qui n'ont pas subi de préjudice matériel. En outre, les juridictions du fond ne sont pas toutes des lectrices attentives des arrêts de la Haute juridiction, et il faudra un certain temps pour écarter le risque de divergences. Le plus simple est donc d'éclaircir la question. C'est également l'avis de la chancellerie, qui a mis en place un groupe de travail sur le sujet, et se montre favorable à l'évolution du code civil.

Si je suis favorable au texte, je pense qu'il faut le faire évoluer sur certains points. Ses auteurs ont renoncé à toucher à ce monument du droit qu'est l'article 1382. Pour rassurer les juristes, ils ont créé un article 1386-19, distinct de la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle, et de la responsabilité du fait des produits défectueux, et instauré une nouvelle responsabilité au titre IV ter, consacré à la responsabilité du fait des dommages causés à l'environnement : conformément à l'article 1382 qui l'inspire, il s'agit d'une responsabilité pour faute. Malgré les craintes des milieux économiques, j'aurais opté pour une responsabilité sans faute, plus conforme au mouvement de la jurisprudence, de même qu'au principe « pollueur-payeur », inclus dans la Charte de l'environnement, et je vous proposerai un amendement à cette fin.

La proposition de loi prévoit prioritairement une réparation en nature : si la plage est polluée, le pollueur devra la remettre en l'état. Si la réparation en nature est impossible, j'ai déposé un amendement permettant au juge d'ordonner une compensation en dommages et intérêts, avec une affectation à une cause environnementale.

Malgré son caractère réglementaire, un point de procédure mérite d'être soulevé, celui de l'intérêt à agir : au-delà de l'Etat et des collectivités territoriales, les associations agrées, ou dont l'objet statutaire est la protection de l'environnement, doivent-elles être concernées ? Pour ma part, j'y suis favorable, l'Etat ne faisant pas toujours preuve de la plus grande réactivité.

Enfin, se pose la question de la prescription : fixée à 30 ans par l'article L. 152-1 du code de l'environnement, elle court à compter du fait générateur. Or, une pollution souterraine de nappes fluviales peut se révéler cinquante ans plus tard... Je suggère donc de faire courir le délai à compter de la connaissance du dommage.

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