Si la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, dite loi SPEGEEG, a permis la transformation de l'EPIC GDF en société anonyme et ouvert la voie à l'ouverture de son capital, elle n'a nullement remis en cause le statut de service public national de Gaz de France, étant donné qu'elle a confirmé le contrôle de la puissance publique française, via une participation de l'État majoritaire à hauteur de 70 % au minimum.
Le ministre de l'économie et des finances de l'époque l'avait d'ailleurs très clairement rappelé ici même, au Sénat, à l'occasion du débat sur le texte, ainsi que cela a été dit à plusieurs reprises au cours de notre discussion.
Par ailleurs, dans sa décision du 5 août 2004, le Conseil constitutionnel a validé cette disposition en précisant que le législateur avait pu légalement transférer à la société Gaz de France SA les missions de service public national du gaz antérieurement dévolues à l'EPIC Gaz de France, confirmant ainsi la qualité de service public national de Gaz de France.
La privatisation de Gaz de France SA, par le biais de la fusion avec Suez, conduirait au déclassement de son statut de service public national. Elle apparaît donc en évidente contradiction avec les principes fondamentaux de la Constitution de la Ve République que je citais précédemment.
J'imagine, monsieur le ministre délégué, que vous ne manquerez pas de rappeler l'avis que le Conseil d'État a rendu le 11 mai 2006, ne répondant ainsi qu'aux deux questions qui lui étaient posées, d'une part, sur le point de savoir si GDF constitue un monopole de fait, d'autre part, sur l'application du statut de service public national à Gaz de France.
Cependant, les questions que votre gouvernement a soumises au Conseil d'État n'ont pas porté, me semble-t-il, sur des éléments essentiels, à savoir la compatibilité entre la privatisation de Gaz de France et le monopole de fait dans la distribution dont le groupe dispose en qualité de concessionnaire obligé sur son territoire de desserte ; la compatibilité entre la privatisation de Gaz de France et le maintien de sa propriété sur le réseau de transport gazier ; enfin, la possibilité de déclasser Gaz de France de son rang de service public national, et ce avant le 1er juillet 2007.
Il apparaît que ce projet de loi présente un autre risque d'inconstitutionnalité, toujours en référence au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, s'agissant cette fois de la propriété des réseaux de distribution.
En France, comme vous le savez, les réseaux de distribution publique de gaz, comme d'ailleurs ceux d'eau et d'électricité, sont la propriété de la puissance publique, des collectivités locales en l'occurrence, car ces actifs constituent des monopoles naturels et de fait : on imagine mal deux réseaux de distribution de gaz concurrents dans une même rue ! C'est donc par le biais d'un contrat de délégation de service public que les collectivités locales concédantes confient à Gaz de France la gestion du service public de distribution du gaz sur leur territoire, laquelle consiste à assurer des missions de service public liées à l'exploitation d'actifs de réseaux propriété publique.
Je suis désolé, mes chers collègues, d'être aussi technique, mais l'analyse juridique de ce projet de loi l'exige.