Intervention de Roland Ries

Réunion du 11 octobre 2006 à 21h30
Secteur de l'énergie — Exception d'irrecevabilité

Photo de Roland RiesRoland Ries :

La loi du 8 avril 1946 a confié le monopole légal de la distribution publique de gaz à Gaz de France, service public national, sur l'ensemble du territoire national, hors territoire de desserte des distributeurs non nationalisés, les fameux DNN, sur lesquels j'imagine que nous aurons l'occasion de revenir au cours de notre discussion.

La loi du 3 janvier 2003 a certes fait évoluer ce monopole national, mais seules les communes non inscrites au plan de desserte et non desservies en gaz en 2003 ont aujourd'hui le choix de leur opérateur de distribution. Ainsi, les communes desservies par Gaz de France n'ont jamais eu et n'ont toujours pas d'autre choix que de signer leur contrat de concession avec Gaz de France. N'ayant jamais été mise en concurrence sur ces concessions de distribution publique de gaz, Gaz de France est bien titulaire d'un monopole de fait sur son territoire de desserte, lequel ne couvre pas moins de 93 % du territoire national hors DNN.

Toujours en vertu du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui interdit expressément tout monopole de fait à une entreprise privée, la privatisation de Gaz de France est donc une seconde fois contraire à la Constitution. Seuls le maintien de Gaz de France dans le secteur public ou au moins une participation majoritaire de la puissance publique dans la filiale de distribution de Gaz de France sont donc de nature à préserver le service public de distribution du gaz.

Enfin, Gaz de France privatisée peut-elle garder la propriété des actifs de transport ? Sur ce point, rappelons que le législateur a posé le principe de l'inaliénabilité des actifs indispensables à l'accomplissement du service public, principe d'ailleurs considérablement renforcé en 1997 par un arrêt du Conseil d'État dans lequel celui-ci a indiqué que tous les biens indispensables à l'accomplissement du service public reviennent gratuitement à la puissance publique, qu'il s'agisse des collectivités territoriales ou de l'État. Ce qui est vrai pour un « simple » service public - une piscine, un musée - l'est plus encore pour un service public national.

En d'autres termes, les actifs de service public, dont l'exploitation relève de missions de service public, ne peuvent pas être détenus par une entreprise privée, sous peine de spoliation de la puissance publique et d'impossibilité de garantir la continuité de ce service public.

Or la privatisation de Gaz de France conduirait à celle d'actifs de services et de biens inaliénables, si d'aventure Gaz de France privatisée gardait la propriété du réseau de transport gazier. Certes, la loi de finances pour 2001 avait attribué à Gaz de France la propriété de ce réseau ; mais personne n'a oublié que, à l'époque, le statut de Gaz de France était celui d'un établissement public à caractère industriel et commercial : rien ne s'y opposait donc en l'état. La chose serait tout à fait différente une fois Gaz de France privatisée.

Dès lors, monsieur le ministre délégué, comme pour la distribution, seuls le maintien de Gaz de France dans le secteur public ou le caractère majoritairement public de la filiale de Gaz de France gestionnaire du réseau de transport gazier sont de nature à défendre le maintien d'une propriété du gestionnaire du réseau gazier sur le réseau de transport et, ainsi, à respecter le caractère public du réseau de transport de Gaz de France.

Peut-on croire, en effet, que la continuité du service public du gaz sera assurée si les réseaux de distribution restent propriété publique et que les réseaux de transport, situés en amont de ces réseaux de distribution, deviennent éventuellement propriété privée ? Dans un pays dépourvu de ressources gazières, le réseau de transport gazier de même que les stockages souterrains se placent, on le comprend bien, au coeur du service public du gaz, et leur privatisation serait extrêmement dangereuse.

En clair, monsieur le ministre délégué, le projet de fusion Suez-GDF, qui aboutit à privatiser Gaz de France, ne peut être conduit comme un projet de fusion entre deux entreprises relevant toutes deux du secteur privé, puisque Gaz de France est depuis 1946 un service public national constamment réaffirmé par toutes les lois et dont l'appartenance au secteur public, par les monopoles de fait que je viens d'évoquer, est clairement énoncée dans le préambule de la Constitution de 1946.

Il est donc impératif, si nous voulons rester dans le cadre constitutionnel qui régit notre vie publique, que Gaz de France soit maintenue dans le secteur public, ce qui signifie que la puissance publique doit en rester l'actionnaire majoritaire.

En conséquence, monsieur le ministre délégué, et pour les raisons que je viens d'énoncer, mes amis du groupe socialiste et moi-même considérons que votre projet de loi est contraire aux principes de la Constitution.

Je réclame donc, au nom de mon groupe, que soit reconnue l'irrecevabilité de ce projet de loi.

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