Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 11 octobre 2006 à 21h30
Secteur de l'énergie — Exception d'irrecevabilité

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Aux termes du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».

L'article 34 de la Constitution confère au législateur la compétence pour fixer « les règles concernant (...) les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé ».

La compétence du législateur est donc encadrée.

Quelle est donc la portée exacte du Préambule de 1946, qui rend obligatoire l'appropriation ou la propriété publique d'un « service public national » ?

Dans l'esprit du constituant de 1946, il y a obligation pour le législateur de décider la nationalisation des entreprises exerçant une activité dont il considère qu'elle a les caractères d'un service public national. Il a, parallèlement, le devoir de ne pas décider la privatisation d'une entreprise publique chargée d'une activité de service public.

Pour le grand constitutionnaliste Louis Favoreu, qui s'exprimait en 1997 sur la privatisation de France Télécom, les services publics nationaux non constitutionnels peuvent être gérés par des personnes morales de droit privé, à la condition que l'État reste majoritaire dans le capital, ce qui explique d'ailleurs une certaine position d'un ministre d'État sur un autre dossier.

Le Conseil constitutionnel avait ainsi précisé, dans sa décision n° 96-380 du 23 juillet 1996, que la privatisation de France Télécom ne serait à l'avenir possible qu'à la double condition cumulative que l'entreprise n'exerce pas alors un monopole de fait et que le législateur ait fait en sorte que l'entreprise « ne puisse plus être qualifiée au regard de cette prescription de service public national ». Et c'est parce que France Télécom n'exerçait plus un monopole de fait, en raison de la libéralisation complète des échanges dans le domaine des télécommunications, que sa qualité de service public a pu tomber.

Pour Gaz de France, rien de tel aujourd'hui. Ni les auteurs du projet de loi que nous examinons ni ceux de la précédente loi relative au service public de l'électricité et du gaz, de 2004, dont le titre est évocateur, ne considèrent que Gaz de France n'est plus un service public national.

Dans sa décision du 5 août 2004, le Conseil constitutionnel a même relevé que le législateur avait confirmé leur qualité de services publics nationaux avec l'article 1er de la loi du 9 août 2004, en faisant état des objectifs et des modalités de mise en oeuvre « des missions de service public qui sont assignées à Electricité de France et à Gaz de France ».

Dans le même registre de la réaffirmation du caractère de service public national, on retrouve l'article 1er de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique du 14 juillet 2005 - c'était hier - qui dispose que « La politique énergétique repose sur un service public de l'énergie qui garantit l'indépendance stratégique de la nation et favorise sa compétitivité économique. Sa conduite nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales et locales dans le secteur énergétique ».

Avec ces deux lois, votées il y a moins de deux ans par l'actuelle majorité, ont été réaffirmées les notions de « missions de service public », en 2004, et « d'entreprises publiques nationales », en 2005.

Or aucune de ces dispositions n'est remise en cause ou abrogée par l'actuel projet de loi.

Qu'a dit en effet le Conseil constitutionnel en 2004, lorsqu'il a été saisi de la loi relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières ?

Il a jugé que la loi de 2004 était conforme à la Constitution parce que le législateur avait, à l'époque, « garanti, conformément au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la participation majoritaire de l'État ou d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public dans le capital de ces sociétés ».

Autrement dit, en transférant aux sociétés nouvellement créées les missions de service public antérieurement dévolues aux personnes morales de droit public Électricité de France et Gaz de France dans les conditions prévues par les lois de 1946, de 2000 et de 2003, le législateur a confirmé leur qualité de services publics nationaux.

Il devait donc, conformément au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, conserver ces sociétés dans le secteur public. C'est ce qu'il a fait en imposant que leur capital soit détenu majoritairement par l'État.

L'appartenance d'une société au secteur public résulte en effet de ce que la majorité de son capital et des droits de vote appartiennent à l'État, à d'autres collectivités publiques ou à d'autres sociétés du secteur public.

Or l'article 24 de la loi déférée dispose expressément que l'État détient plus de 70 % du capital social de EDF et de GDF.

Nous considérons qu'une loi ultérieure ne peut décider de revenir sur cette participation majoritaire, pour les raisons que je viens d'évoquer. C'est cependant précisément ce qui est fait dans ce projet de loi. Mais nous sommes dans un domaine où la loi ne peut défaire ce qu'elle a fait, car la Constitution l'interdit au législateur.

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