En revanche, on peut craindre que l'État, qui détiendra désormais une part minoritaire dans le capital, aura plus de mal à contenir l'appétit des actionnaires.
De plus, la privatisation pourrait conduire à un changement de stratégie. Pour accroître ses profits, GDF-Suez sera tenté de spéculer sur le gaz acheté dans le cadre des contrats à long terme et pourra être tenté de mettre en concurrence, pour l'achat du gaz, la France, l'Europe et les Etats-Unis ; il le vendra au plus offrant. C'est tellement simple avec des méthaniers qui se déplacent et qui voguent d'une rive à l'autre de l'Atlantique !
Si cette spéculation permettrait à GDF-Suez de réaliser de substantielles plus-values, elle mettrait en péril la sécurité d'approvisionnement et contribuerait à tirer vers le haut les prix du marché.
Pis encore, en dévoyant les contrats à long terme de cette manière, GDF-Suez risque d'accélérer ou de provoquer leur disparition, ce que paraît souhaiter la Commission européenne.
Quant à l'électricité, il n'y a pas de doutes : il est clair que vous installez un concurrent direct à EDF. Est-ce là le moyen de conforter cette entreprise à laquelle les Français sont très attachés ?
Le cinquième point et la quatrième incertitude concernent le rôle de l'État dans le nouveau groupe.
Pour notre part, nous continuons de penser que, tant qu'une véritable politique européenne de l'énergie n'est pas définie, au-delà de la rédaction de directives, et mise en oeuvre - nous le souhaitons vivement - les États devront conserver un rôle déterminant dans les questions énergétiques.
Vous, en privatisant GDF, vous privez l'État de ce rôle, vous réduisez son contrôle sur l'ensemble des infrastructures lourdes de transport, de stockage et de distribution. Vous nous opposez l'action spécifique que détiendra l'État ; nous en avons parlé suffisamment aujourd'hui. La lettre du commissaire McCreevy à laquelle vous faites référence nous inquiète plutôt : ses termes sibyllins laissent planer plus que des doutes sur la réelle efficacité, à moyen terme, de cette action spécifique.
D'autres solutions étaient possibles. Aucune d'entre elles n'a été sérieusement étudiée.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l'énergie est un bien vital. Source de lumière, de chaleur, de froid, elle permet tout à la fois de se déplacer, de travailler, de se nourrir, de s'éclairer, de se chauffer.
De l'accès à l'énergie dépendent bien souvent la santé, l'hygiène, l'éducation. L'énergie contribue à la vitalité économique de notre pays, elle est créatrice d'emplois et de richesses.
L'énergie a pleinement vocation à demeurer un service public, au service de toutes et de tous, répondant aux besoins de la population et contribuant au développement économique des territoires.
Livrer à la concurrence et aux intérêts financiers privés cette ressource collective, c'est faire fi de l'intérêt général et obérer l'avenir du pays.
Il n'est pas pensable de régler cette question de manière aussi précipitée, dans un texte de circonstance et sous des prétextes qui ont d'ailleurs varié au fil des mois. Il est au contraire urgent d'y retravailler dans la sérénité et en ayant toutes les informations nécessaires.
Nous avons devant nous un gouffre inquiétant, menaçant d'incertitudes. Pour reprendre la formule de M. le ministre des finances, il nous est proposé, face au gouffre, d'aller de l'avant ! Pour notre part, nous suggérons à la majorité d'y réfléchir à deux fois avant de sauter.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de renvoyer ce texte devant la commission des affaires économiques.