Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 22 avril 2013 à 21h30
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées au mali — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Jean-Marc Ayrault :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’aborder la question malienne qui nous réunit aujourd’hui, vous comprendrez, j’en suis sûr, que je veuille d’abord partager avec vous et, à travers vous, avec l’ensemble des Français, l’immense bonheur de la libération, vendredi dernier, de la famille Moulin-Fournier.

Nous le savons désormais, nos compatriotes ont vécu deux mois de détention extrêmement éprouvants. Ils ont pu surmonter ce moment très difficile grâce à leur solidarité familiale, particulièrement étroite et exemplaire.

Je veux profiter de cette occasion pour remercier les autorités du Cameroun et du Nigéria, qui ont mobilisé tous leurs moyens pour œuvrer à cette libération. La coopération et la confiance entre nos pays ont été des atouts décisifs.

Cette libération doit être une lueur d’espoir pour nos compatriotes encore retenus en otages au Sahel et, bien évidemment, pour leurs familles, aujourd’hui dans l’angoisse. Nous mettons et mettrons tout en œuvre, sans relâche, pour qu’ils puissent eux aussi recouvrer la liberté.

La France n’abandonne et n’abandonnera jamais ses ressortissants.

Mais, je veux le rappeler avec la même force, la France ne transige pas avec les terroristes : elle ne leur concède rien.

Cela me conduit à notre débat sur le Mali.

Le 11 janvier dernier, le Président de la République décidait de répondre à l’appel à l’aide lancé par les dirigeants du Mali, dont l’ensemble du territoire menaçait de tomber sous l’emprise de groupes terroristes.

Fallait-il rester sourd aux appels de nos amis Maliens ? Fallait-il laisser Mopti, Sévaré et Bamako tomber aux mains des djihadistes ? Le Président de la République a immédiatement répondu : non !

Fallait-il rester attentiste face au risque de voir le Mali devenir un sanctuaire pour terroristes ? Fallait-il accepter que ces terroristes menacent la stabilité de toute une région ainsi que la sécurité de la France et de l’Europe ? Le Président de la République, qui, dès son élection, avait œuvré à la mobilisation de la communauté internationale sur ce sujet essentiel, a immédiatement, clairement et fermement répondu : non !

Voilà pourquoi l’opération Serval a été déclenchée.

Trois mois après, je viens vous le dire solennellement, Serval est une réussite dont chaque Français peut et doit être fier.

Elle est une réussite politique tout d’abord parce que la décision du Président de la République d’engager la France a profondément changé la donne du combat contre les groupes terroristes.

Immédiate, elle a permis de briser net l’offensive terroriste sur Bamako.

Déterminée, elle a permis qu’avec l’aide de la France l’État malien recouvre sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. Les villes qui étaient aux mains d’AQMI – Al-Qaïda au Maghreb islamique –, mais aussi d’Ansar Eddine, mais aussi du MUJAO – le mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest –, ont été, une à une, libérées. La vie y reprend désormais progressivement son cours, pour le plus grand soulagement des populations. L’administration malienne est de retour.

Oui, l’opération Serval est une réussite politique, mais c’est aussi, bien sûr, une réussite militaire.

La reconquête du territoire malien, conduite par nos troupes, alliées aux forces armées maliennes et aux soldats tchadiens et nigériens, a été remarquablement menée.

Comment ne pas exprimer notre admiration devant les opérations menées dans l’Adrar des Ifoghas comme dans les régions de Tombouctou et de Gao ? Les combats, vous le savez, y ont été difficiles. La quantité comme la dangerosité des armes et des matériels détruits montrent à quel point l’ennemi à qui nous avions affaire été organisé et déterminé.

Aujourd’hui, sa capacité à constituer une menace importante est très significativement réduite. Notre objectif, désormais, est d’empêcher toute reconstitution de cette capacité.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, toutes ces avancées, nous les devons à l’engagement, au courage exceptionnel et au professionnalisme de nos soldats.

Cinq d’entre eux sont tombés au combat : le chef de bataillon Damien Boiteux, tombé dès les premières heures, l’adjudant Harold Vormezeele, le caporal-chef Cédric Charenton, le maréchal des logis Wilfried Pingaud et le caporal-chef Alexandre Van Dooren.

Avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue à nouveau leur mémoire. Nos pensées vont aussi à leurs familles et à leurs camarades blessés au combat.

Aujourd'hui au Mali, comme hier en Libye, en Côte d’Ivoire ou en Afghanistan, nos armées font honneur à la France. La rapidité et la précision de la manœuvre, l’engagement au combat et l’exceptionnel courage de nos soldats, salués par les états-majors du monde entier, forcent le respect. Notre pays est fier d’eux, fier de ses armées !

Oui, comme vous, j’ai été fier de voir le peuple du Mali accueillir nos soldats avec des cris et des larmes de joie.

Oui, j’ai compris que quelque chose d’historique se déroulait lorsque les drapeaux français et maliens se croisaient au passage du Président de la République lors de sa visite, le 2 février dernier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, chaque fois que la France s’unit dans l’épreuve, chaque fois qu’elle trouve un dessein fédérateur, chaque fois qu’elle puise dans ce qu’elle a de meilleur, le courage, l’esprit de solidarité, alors, oui, elle réussit, et elle est respectée.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en intervenant au Mali, la France était tout simplement à sa place et à la hauteur de ses responsabilités. Elle a joué son rôle, elle a tenu son rang, comme elle continuera de le faire en maintenant son effort de défense et en l’adaptant à l’évolution des enjeux stratégiques.

En intervenant, la France a contribué aussi au déploiement de la MISMA, la mission internationale de soutien au Mali, la force africaine que le Conseil de sécurité des Nations unies avait autorisée par sa résolution 2085. Plus de 6 000 hommes, originaires d’une dizaine de pays, sont aujourd’hui présents au Mali.

Les militaires tchadiens ont combattu à nos côtés dans l’Adrar des Ifoghas. Ils ont payé un lourd tribut, et je souhaite que nous leur rendions l’hommage qu’ils méritent.

Les troupes africaines prennent maintenant progressivement le relais de nos forces pour assurer le contrôle des zones du nord, comme les contingents nigérien, sénégalais ou burkinabé à Ménaka, Gao ou Tombouctou.

En s’engageant au Mali, la France a lancé un signal fort à ses partenaires européens, et ce signal a été entendu. Nous n’avons pas été seuls dans cette campagne malienne.

Nos partenaires européens et nos alliés ont répondu présents dans des domaines cruciaux pour la réussite des opérations. Ils ont assuré une très large part des missions d’appui logistique. Ils ont apporté et apportent encore un concours précieux en matière de renseignement. Qu’ils en soient ici remerciés.

De même, une mission européenne de formation de l’armée malienne est opérationnelle. Vingt-trois États membres et 550 militaires sont mobilisés. Cette mission instruira un bataillon tous les trois mois, avec l’objectif de former environ 2 600 hommes qui viendront renforcer les capacités de l’armée malienne.

Les progrès réalisés sur le terrain nous permettent d’entrer dans la deuxième phase de l’opération Serval. Le moment est bientôt venu, en effet, de passer le relais à nos amis Africains. C’est l’engagement que j’avais pris devant la représentation nationale, et c’est un engagement que nous sommes aujourd’hui en mesure de tenir.

Le Président de la République l’a déjà annoncé : le retrait de nos forces est amorcé, et il se déroulera selon un calendrier clair et précis. Fin avril, nous passerons sous la barre des 4 000 hommes. Au mois de juillet, il n’y aura plus que 2 000 soldats français au Mali et, à la fin de l’année, un millier de Français seulement seront sur place.

Le retrait interviendra en bonne intelligence avec le gouvernement malien. Nous conserverons également des forces prépositionnées dans les pays voisins pour intervenir si nécessaire. Nous apportons ainsi un soutien, qui doit permettre aux autorités maliennes et aux forces sous mandat international de prendre, dans les meilleures conditions de sécurité, la pleine responsabilité, qui leur revient désormais, de la situation sur le terrain.

Cette évolution s’inscrit, en effet, dans le cadre de la transformation de la MISMA en mission de stabilisation des Nations unies au Mali, la MINUSMA.

Le Conseil de sécurité devrait autoriser la création de cette mission dans les tout prochains jours. Il s’agit une étape importante qui permettra de conforter la présence africaine au Mali, avec le financement et l’appui logistique dont bénéficient les opérations de maintien de la paix des Nations unies, dans le cadre d’une approche globale incluant l’accompagnement dans la transition politique et l’aide à la reconstruction et au développement.

Cette opération sous casque bleu pourra commencer à se déployer sur le terrain à partir de début juillet. Il lui faudra quelques mois pour atteindre sa pleine capacité.

La France y apportera sa contribution, d’abord, par sa participation directe, notamment au sein de la chaîne de commandement, ensuite, par des moyens d’appui aériens et de renseignement, enfin, par le soutien que nos forces restant présentes au Mali ou prépositionnées dans les pays voisins pourront fournir en cas de danger grave et imminent pour la MINUSMA.

L’autre rendez-vous majeur dans la période qui s’ouvre est, naturellement, le rendez-vous démocratique, parce qu’il n’y aura de paix durable au Mali que si le pays se dote d’autorités à la légitimité renouvelée.

En d’autres termes, il est essentiel que l’élection présidentielle puisse se tenir comme prévu en juillet prochain. C’est l’engagement qui a été pris par les autorités maliennes. D’ailleurs, depuis quelques semaines, les forces politiques s’organisent et les préparatifs pour les élections se poursuivent.

Avec nos partenaires internationaux, nous devrons tout mettre en œuvre pour contribuer au respect de ce calendrier et au bon déroulement du scrutin.

Mais tout ce processus ne s’enracinera qu’à une seule condition : que le Mali se réconcilie avec lui-même. Vous l’imaginez bien, cette réconciliation nationale ne se décrète pas ; elle se construit pas à pas.

Une commission nationale de dialogue et de conciliation a été mise en place. Ses membres ont été nommés dans le respect des équilibres régionaux. Il est d’une impérieuse nécessité pour cette commission de débuter ses travaux dans les meilleurs délais.

Quant au MNLA, le mouvement national de libération de l’Azawad, il est toujours présent à Kidal.

Il faut appliquer un principe simple : dans un pays démocratique et jouissant de sa pleine souveraineté, il ne peut y avoir deux armées. Il faudra donc que tous les groupes armés, y compris le MNLA, renoncent à leurs armes. Cet objectif peut être atteint par le dialogue, qui nécessite une acceptation par tous de l’intégrité territoriale du Mali.

Reste l’enjeu du développement économique, absolument crucial, car, à l’évidence, la stabilité passe par l’espoir pour nos amis Maliens d’une vie meilleure, vérité qui ne vaut d’ailleurs pas que pour le Mali, mais pour toute cette région particulièrement pauvre.

La France a d’ores et déjà repris sa coopération bilatérale.

Elle se mobilise dans la perspective de la conférence des donateurs que le Président de la République coprésidera, le 15 mai prochain, avec les responsables de l’Union européenne.

Ce rendez-vous permettra de rassembler les financements et de fixer les priorités stratégiques pour les années 2013-2014. Il sera le point d’orgue d’une préparation intense qui aura permis d’associer les acteurs non étatiques, qu’il s’agisse des collectivités territoriales, des organisations non gouvernementales ou des diasporas maliennes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le succès de notre intervention au Mali n’aurait pas été possible sans l’unité constante de notre nation. Je veux en remercier chacune et chacun d’entre vous.

Durant ces quatre mois, j’ai tenu à ce que le Parlement soit associé en permanence aux prises de décision.

Dès le lendemain de la décision du Président de la République, je vous en ai informé, comme le veut d’ailleurs notre Constitution. Un débat, qui s’est tenu le 16 janvier, m’a permis de vous exposer les raisons et de vous détailler les objectifs de l’intervention de nos forces armées.

Depuis lors, le dialogue a été constant dans les deux hémicycles, en commission, dans les réunions régulières que j’ai eues avec les responsables des deux assemblées, au travers de l’information que vous ont fournie le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, et le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, dont je salue le travail, la détermination et la constante disponibilité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la mission que vous avez conduite et le rapport que vous avez examiné la semaine dernière marquent l’attention que vous portez à cette intervention et l’importance que vous y attachez.

Vous l’avez compris, notre mission doit se poursuivre, sous d’autres formes mais avec la même détermination, parce que nous mesurons l’ampleur des défis qu’il reste à relever, parce qu’il est nécessaire de consolider le succès obtenu et parce qu’il faut conjurer la menace terroriste qui, au-delà du Mali, pèserait sur la sécurité de la région et, je l’ai dit, de la France et de l’Europe.

La France doit désormais aider le Mali à gagner la paix.

En conséquence, conformément à l’article 35 de la Constitution, j’ai l’honneur de vous demander, mesdames, messieurs les sénateurs, l’autorisation de prolonger l’intervention des forces françaises au Mali.

Par avance, je vous remercie de votre soutien et de votre confiance. §

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