Intervention de Gérard Larcher

Réunion du 22 avril 2013 à 21h30
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées au mali — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, cela fait bientôt quatre mois déjà que la France est intervenue au Mali… Quatre mois seulement, dirais-je plutôt, tellement remarquable est le bilan de nos forces armées sur un théâtre impitoyable, face à un adversaire redoutable !

Comme chacune et chacun d’entre vous, j’ai en cet instant une pensée pour nos cinq soldats qui y ont laissé leur vie.

Je le dis d’emblée : si le groupe de travail sur la question sahélienne, que j’ai l’honneur de coprésider avec Jean-Pierre Chevènement, propose de voter en faveur de l’autorisation de prolongation de l’intervention au Mali, c’est en formulant dix recommandations pour « gagner la paix ».

Je concentrerai ce soir mon propos sur les trois principales difficultés que sont la refondation politique du Mali, le passage de relais à l’Organisation des Nations Unies et la stabilisation durable du Sahel par la mise en œuvre d’une approche globale.

La première difficulté est donc la refondation politique du Mali.

L’enlisement du processus politique malien serait véritablement un scénario catastrophe. C’est le premier risque que j’identifie. Pour sortir de la crise la plus profonde de son histoire, le Mali aura besoin d’un sursaut politique, sursaut que, il faut le dire, on cherche encore aujourd'hui.

La question des élections se pose. Je suis convaincu que la préparation des élections, que le colonel Coulibaly, ministre en charge de leur préparation, nous a présentée à Bamako au début du mois de mars dernier comme une simple formalité, risque de prendre du retard.

Il y aura un dérapage, au moins pour les législatives : l’appel d’offres pour les 7 millions de cartes biométriques NINA a été retardé, et il manque encore quelques dizaines de millions d’euros pour payer les opérations électorales.

Surtout, la question des près de 500 000 réfugiés et déplacés ne sera pas réglée avant la saison des pluies.

Les bureaux de vote ne sont pas en état dans le Nord. C’est un point critique sur lequel j’appelle l’attention du Gouvernement, car le Nord doit impérativement pouvoir voter !

Il faut tenir bon sur le calendrier, au moins sur les élections présidentielles, car les autorités de transition sont aujourd’hui trop fragiles : il leur manque la légitimité du suffrage démocratique.

Sur ce point, j’ai trois inquiétudes : d’abord, la pléthore de candidats – il y a 120 partis politiques au Mali ! –, ensuite, la désaffection pour une classe politique associée à l’« ère ATT » et, disons-le, parfois largement discréditée, enfin et surtout, le coup d’État rampant d’une junte qui n’a pas beaucoup perdu de son influence.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, confirmez-vous l’existence d’un projet de loi en gestation pérennisant l’existence et renforçant les prérogatives du Comité de la réforme militaire présidé par le capitaine Sanogo ? Une récente interview de ce capitaine dans Der Spiegel laisse penser qu’il se pose déjà en juge de la qualité de l’élection présidentielle. C’est pour nous une véritable interrogation. Son attitude a d’ailleurs de quoi mettre à bas tout effort de restructuration des forces armées maliennes…

La réconciliation entre le Nord et le Sud nous semble le nœud gordien de la question malienne. Or elle n’est pas engagée. La lutte contre l’impunité et la réconciliation avec le Nord sont, à notre sens, les deux piliers de la refondation du pacte national au Mali.

Pourquoi la commission de dialogue et de réconciliation, laborieusement mise en place, n’a-t-elle pas commencé à travailler ? Pourquoi n’est-elle pas présidée par une personnalité politique de poids ? Pourquoi exclut-elle certaines communautés, comme les Touareg noirs Bellah ? Pourquoi ne se pose-t-elle pas la question importante du dialogue avec le MNLA et des modalités de son indispensable désarmement ? On ne peut pas en effet imaginer la restauration de l’unité du pays si, à côté d’une armée nationale, est maintenue une milice.

La tentation du déni est là. Il faut la dépasser, à Bamako comme ailleurs, et renouer les fils rompus du dialogue.

La question de Kidal et celle du massacre d’Aguel’hoc demeurent deux abcès de fixation qui nécessitent un traitement attentif. Il faut que des initiatives soient prises. Si l’on veut que l’État malien réaffirme sa présence au Nord, le Premier ministre Cissoko doit aller à Kidal ! L’État doit revenir au nord du Mali.

Je pense aussi aux services à la population, l’eau, l’électricité, la santé, les écoles. Le Nord a été libéré depuis bientôt deux mois, mais on peut se demander si la situation de certaines populations s’est réellement améliorée. Seulement treize écoles sur 124 seraient rouvertes à Ménaka. Où sont les enseignants ? Où sont les bataillons de gendarmerie ? Deux maigres bataillons sont redéployés à Gao et Tombouctou : ils n’ont même pas de logement et dorment chez l’habitant !

Sur les exactions, il faut être ferme : la France doit collaborer pleinement avec la Cour pénale internationale. Je sais que vous êtes attentifs à cette question, messieurs les ministres.

Enfin, il faut approfondir la décentralisation. La décentralisation, « coquille vide » résultant des accords inappliqués du passé, a engendré rancœurs et frustrations. Organisation territoriale, découpage des circonscriptions, partage des ressources budgétaires, de l’aide internationale, de la future rente minière, accroissement des libertés locales : les attentes sont très nombreuses pour résoudre durablement la question du Nord, qui en est à sa quatrième ou cinquième rébellion. Qui aujourd’hui traite vraiment ce chantier à Bamako ?

Le deuxième champ de difficultés est le passage de relais à l’ONU. « La France n’a pas vocation à rester au Mali », a affirmé le Président de la République. Certes ! Mais ce ne sont pas les quelques centaines de soldats qui viennent d’être retirés qui doivent faire illusion : nous devons partir pour réduire notre exposition et favoriser la reprise en main de leur destin par les Maliens. Le pouvons-nous ? Le pourrons-nous ?

Tout a été dit sur l’état de l’armée malienne. La reconstruction de cette armée minée par dix ans de népotisme, de défections et de désertions, déchirée par des conflits de loyauté, dépasse largement l’horizon temporel d’EUTM Mali, l’équipe européenne de formateurs de l’armée malienne. La question de son équipement n’est pas réglée : ce ne sont pas 7 maigres millions de fonds fiduciaires de l’ONU qui suffiront. Il faut recruter et former 10 000 hommes, penser et financer une programmation inexistante.

Les forces de sécurité intérieure, dont l’actualité vient dramatiquement de nous rappeler la déliquescence, sont aussi à reconstruire, ainsi que le pouvoir judiciaire. À ce sujet, l’extension d’EUCAP Sahel – la mission européenne visant à renforcer les capacités du Sahel – au Mali pourrait être utile.

À la suite de l’entretien que nous avons eu, Jean-Pierre Chevènement et moi-même, avec leur chef d’état-major, il nous est apparu début mars que la montée en puissance des forces africaines de la MISMA serait lente. C’est vrai, les Nigériens sécurisent aujourd'hui Gao, Menaka, Ansongo. C’est vrai, les valeureux Tchadiens, à qui il convient de rendre un hommage appuyé, se sont battus avec courage à nos côtés dans les redoutables corps à corps de l’enfer de l’Amettetai, perdant plus de trente hommes. Mais les autres ? Bien peu ont dépassé la boucle du fleuve Niger ! Et que dire de leur équipement, de leur logistique, de leur financement ?

Les Burkinabés arrivent à Tombouctou. Des Burundais et des Mauritaniens pourront demain intégrer la MINUSMA. Mais l’ensemble reste opérationnellement fragile. Sur le plan du financement, seule la moitié des fonds promis à la conférence des donateurs d’Addis-Abeba a été versée ou est en cours de versement…

« Serval prolongé », en plus des 150 hommes que nous aurons dans la MINUSMA, ne pourra sans doute pas descendre en deçà des 700 hommes nécessaires pour lutter contre le terrorisme résiduel. Les discussions à quinze à l’ONU sont d’ailleurs révélatrices : malgré le brio de nos diplomates à New York et le soutien politique sans faille des Britanniques et des Américains, comment ne pas comprendre les inquiétudes qui s’expriment au Conseil de sécurité ? La date du transfert d’autorité, le 1er juillet prochain, pourrait d’ailleurs être conditionnée à un nouveau rapport du Secrétaire général de l’ONU…

La mise en place à l’été de la MINUSMA est indispensable, non seulement pour assurer la sécurité, mais aussi pour apporter un appui actif au processus politique, qui ne peut être du ressort de Serval. Nous avons besoin de l’ONU.

Ma troisième inquiétude porte sur notre capacité à stabiliser durablement la bande sahélo-saharienne.

Même si la « colonne vertébrale » d’AQMI au cœur de cet immense espace sahélien a été brisée, les intérêts français continueront d’être menacés dans une région qui restera sans doute instable un long moment et où les terroristes sauront s’enkyster dans de nouvelles zones « molles », comme le Sud libyen, le Sud tunisien, voire le nord du Niger, sans parler du nord du Nigéria, où la situation vient de nous être rappelée par l’actualité.

Les connexions terroristes dessinent un vaste continuum de la menace s’étendant sur des milliers de kilomètres. D’une région menacée, le Sahel est en effet devenu une région « menace ». Dans un continent, l’Afrique, qui sera demain plus peuplé que la Chine et l’Inde, et qui amorce son décollage économique, ces pays figurent toujours parmi les plus pauvres du monde. Au Mali, la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, l’espérance de vie n’est que de cinquante et un ans, soit celle de la France au XIXe siècle. Au Sahel, l’insécurité alimentaire menace 18 millions de personnes, et 220 000 enfants meurent de faim chaque année.

Le défi démographique est gigantesque : il y a aujourd'hui à Nouakchott plus d’habitants que dans toute la Mauritanie lors de l’indépendance. Le taux de fécondité du Niger est de plus de sept enfants par femme. En 2050, on comptera 50 millions d’habitants au Mali, contre 15 millions aujourd’hui, 30 millions d’habitants au Tchad, 37 millions d’habitants au Burkina Faso. La population urbaine va tripler et les villes vont devenir de véritables chaudrons de jeunes sans emploi. Comment ces territoires fragiles supporteront-ils une telle charge démographique ?

Et je ne parle pas des effets du réchauffement climatique dans une zone où le pastoralisme nomade et l’agriculture d’oasis sont de plus en plus déstructurés !

À ces fragilités traditionnelles sont venus s’ajouter deux véritables « chocs » déstabilisateurs : l’installation d’AQMI, favorisée par la faiblesse de l’État malien, et la constitution progressive de son sanctuaire, qui a pris des années, dans l’Adrar des Ifoghas.

Que dire de l’arrivée du trafic de cocaïne, que le président de la commission des affaires étrangères a évoquée ? Son chiffre d’affaires annuel représente soixante-cinq fois le budget du Mali ! Voilà qui force à réfléchir...

La première réponse est le développement économique, qui assèche le recrutement terroriste. Pourtant, le Mali est sans doute le pays qui a été le plus aidé au cours des deux décennies. §

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