Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 22 avril 2013 à 21h30
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées au mali — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

La phase proprement militaire s’achève, et le Gouvernement a pu annoncer un début de retrait de nos troupes. Nous nous en réjouissons. Ce n’est pas le sujet du débat, mais je tiens à saluer l’arbitrage rendu par le Président de la République sur le budget de la défense. Ainsi, 31, 4 milliards d'euros y seront consacrés en 2014. Sinon, c’eût été le déclassement stratégique de la France, la perte d’un « avantage comparatif » inestimable, en Europe et dans le monde.

Bien sûr, nul ne pourrait prétendre que le terrorisme est aujourd’hui éradiqué ; c’est pourquoi les sénateurs du groupe RDSE autoriseront, bien entendu, la prolongation de l’intervention des forces armées françaises au Mali. Mais le danger, immense, a été écarté.

Cette intervention n’a été en aucune manière – faut-il le répéter ? – une ingérence dans les affaires intérieures d’un autre pays. Elle s’est faite à l’appel des autorités légitimes du Mali, en application de l’article 51 de la Charte des Nations unies et avec l’approbation du Conseil de sécurité. C'est pourquoi le soutien national n’a pas fait défaut, ni non plus le soutien international, en dehors de quelques propos vite retirés de quelques responsables – ou plutôt irresponsables – sans doute égarés par une conception étroite et bornée de la religion, trop souvent hélas détournée à des fins politiques.

Le plus difficile maintenant reste à faire, et cette tâche vous incombe pour l’essentiel, monsieur le ministre des affaires étrangères. Nous connaissons votre talent. Il aura à s’exercer dans les arcanes de la vie politique et de la société maliennes, mais aussi de l’ONU, de OUA, de la CEDEAO, sans parler de l’Union européenne, dont le soutien est resté pour le moins « cantonné », selon l’euphémisme du rapport que Gérard Larcher, qui coprésidait avec moi le groupe de travail sénatorial, et moi-même avons fait approuver à l’unanimité par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous l’intitulé « Mali : comment gagner la paix ? ».

Je me bornerai à souhaiter que l’Union européenne, faute d’avoir manifesté sa pleine solidarité sur le plan militaire, la manifeste sur le plan financier. Peut-être pourriez-vous nous éclairer sur ce que vous attendez de la conférence de Bruxelles du 15 mai : quel plan de reconstruction de l’État malien, quel plan de développement du Sahel ? Et à combien estimez-vous le montant qui sera nécessaire chaque année ? Sans développement, pas de sécurité, et réciproquement. Une politique de prévention coûtera toujours moins cher que de nouveaux conflits, aisément perceptibles à l’horizon.

Je ne développerai pas les dix principales recommandations du rapport de la commission des affaires étrangères et de la défense. Le président Larcher l’a fait avec talent, en mettant l’accent sur les aspects proprement politiques.

Comme je le relevais déjà lors du débat du 16 janvier dernier, c’est le facteur temps qu’il nous faut maîtriser. Le temps ne joue pas pour nous. Les pays du Sahel sont parmi les plus pauvres du monde. L’explosion démographique qui les caractérise, avec des taux de fécondité avoisinant sept enfants par femme, menace tous les efforts de développement que nous pourrons tenter pour enrayer les trafics de drogues et d’armes, qui engendrent souvent plus de revenus que l’agriculture pastorale.

L’ombre d’un islamisme régressif, dont les habitants de Gao et de Tombouctou ont pu avoir un avant-goût, s’étend sur toute l’Afrique de l’Ouest. Croyez-vous qu’Iyad Ag Ghali n’aurait pas trouvé à Bamako des soutiens pour proclamer sa version de la charia ? D’après les informations que Gérard Larcher et moi-même avons puisées à bonne source, une mosquée, une madrasa, serait construite chaque semaine au Mali. Il nous a été dit qu’une majorité wahhabite au Conseil des institutions islamiques de Bamako avait pu s’opposer au projet de code de la famille progressiste proposé en 2009 par le président Amadou Toumani Touré. La charia s’applique dans le droit personnel. Les islamistes rêvaient de la faire triompher en matière de droit pénal. À Dakar – le savez-vous ? – une chaîne télévisée francophone d’Al Jazeera va émettre prochainement.

Il est temps que se manifeste une vue d’ensemble sur les changements politiques qui interviennent entre Maghreb, Machrek, Moyen-Orient et Afrique subsaharienne. C’est l’une des recommandations du rapport de la commission des affaires étrangères. Il faut distinguer entre l’islam et l’islamisme politique, qui détourne la religion à des fins politiques. Force est de constater que celui-ci s’appuie souvent sur le salafisme, dont certains courants encouragent le djihadisme global et violent qui se place sur le terrain militaire et ne nous laisse guère le choix de la riposte.

Les priorités immédiates sont bien évidemment l’organisation de l’élection présidentielle et la réconciliation du sud et du nord du Mali. Ce n’est pas à la France, c’est au Mali qu’il revient de résoudre les problèmes du Mali.

L’élection seule peut fonder la légitimité. Quant à la réconciliation, elle est la condition de l’éradication durable du terrorisme. Les dirigeants de Bamako donnent quelquefois l’impression que le problème, à leurs yeux, ce n’est pas le terrorisme, ce sont les Touareg. Qu’il soit clair que l’intégrité territoriale du Mali n’est pas en cause.

Le désarmement du MNLA ne fait pas non plus question. Il doit intervenir selon des modalités à convenir dans le cours du processus de réconciliation. Il n’est guère douteux que les dirigeants du MNLA, sur lesquels pèse un mandat d’arrêt, ne désarmeront pas spontanément. Peut-être faudra-t-il, si les partenaires le demandent, la médiation de la France, dans l’intérêt du Mali tout entier. Il faut en effet dissocier durablement les populations des groupes terroristes armés. La lutte antiterroriste ne peut être menée par une armée étrangère. Il n’y a pas d’exemple d’une contre-insurrection réussie qui n’ait été menée par des forces autochtones.

Messieurs les ministres, l’armée malienne est à reconstruire. Est-on sûr d’avoir mis des moyens suffisants pour y parvenir ? Les 12, 5 millions d’euros de crédits européens laisseront à la charge des principaux contributeurs, donc de la France, l’essentiel de l’effort. Aussi bien, fait-on une armée avec quatre bataillons ? Il est urgent de recalibrer l’effort : il faut à la fois l’augmenter et l’accélérer.

La MINUSMA ne se justifie que pour permettre la montée en puissance de forces armées maliennes reconstituées. Cela ne doit pas prendre cinq ans ! Le maintien d’une force de réaction rapide française, calibrée à 1 000 hommes, ne peut être indéfiniment prolongé. Le Gouvernement est sensible, j’en suis sûr, au risque de l’enlisement.

L’empreinte au sol doit être aussi limitée que possible, en s’appuyant, s’il le faut, sur les forces prépositionnées dans les pays voisins. L’objectif, c’est de contenir la menace terroriste en dessous d’un certain seuil et, le cas échéant, d’appuyer non la MINUSMA, mais les forces armées maliennes dans la lutte qu’il leur incombe de mener.

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