Intervention de Jacques Berthou

Réunion du 22 avril 2013 à 21h30
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées au mali — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Photo de Jacques BerthouJacques Berthou :

Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en quelques mois, plus d’une année pour être précis, c’est-à-dire entre le putsch, le 22 mars 2012, du capitaine Amadou Haya Sanogo et aujourd’hui, nous avons assisté à l’effondrement de l’État malien.

Ce fut une surprise de constater que le Mali, que nous reconnaissions pour sa démocratie, référence en Afrique, pour l’organisation de ses territoires, notamment au travers de son processus de décentralisation, et son esprit de consensus lui permettant d’être gouverné alors qu’aucun parti ne disposait de majorité absolue au Parlement, était en fait un pays complètement fragilisé par la corruption, le népotisme et des trafics en tous genres.

La France, plus particulièrement les régions françaises fortement engagées dans des coopérations décentralisées ne se doutaient absolument pas que, au-delà des régions, des villes et villages où elles intervenaient, le pouvoir central était totalement déficient, déliquescent. Le Mali était et reste le premier bénéficiaire de la coopération décentralisée. Il conviendra donc de coordonner tout cela, mais j’en parlerai plus avant.

Peu avant le putsch, le 17 janvier 2012, l’attaque de Menaka, par le Mouvement national de libération de l’Azawad, le MNLA, avait réactivé toutes les oppositions des populations touaregs du Nord-Mali.

Le 6 avril 2012, quelques semaines après le putsch, le MNLA proclamait l’indépendance de l’Azawad. Pendant ce temps-là, à Bamako, l’instabilité grandissait, des affrontements meurtriers opposaient les bérets rouges de la garde présidentielle et les bérets verts, puis les policiers entre eux, sous les yeux d’une classe politique malienne atteinte d’anémie.

Cette situation, avec un pouvoir central dans l’incapacité de gouverner et une région, le Nord-Mali, qui proclamait son indépendance, favorisa l’implantation et le développement de différents mouvements islamistes qui s’imposèrent : AQMI, Ansar Dine, mouvement touareg islamiste opposé au MNLA, et le MUJAO imposèrent un régime implacable fondé sur l’interprétation la plus extrême de la charia. Ainsi, ils commirent de terribles exactions, telles que des viols, des lapidations, des amputations, et se dirigèrent progressivement vers le fleuve Niger, occupant Gao et Tombouctou. Leur volonté de rejoindre Mopti puis Bamako s’accéléra au début du mois de janvier, alors que, dans la capitale, les troubles menaçaient un pouvoir civil chancelant. Il ne restait que quelques heures, une ou deux journées tout au plus, avant que le pays bascule et devienne un État aux mains des djihadistes.

Le 11 janvier 2013, à l’appel du président du Mali, le Président de la République française, François Hollande, déclenchait l’opération Serval. En quelques heures, nos forces intervenaient, soutenaient les forces maliennes et remportaient, sur le terrain, dans des conditions particulièrement difficiles, des succès majeurs permettant de créer les conditions d’un processus de paix et de réconciliation non seulement au Mali, mais aussi, indirectement, dans l’ensemble des pays du Sahel, en réduisant l’influence des djihadistes. Il conviendra, dans le futur, d’embrasser cette problématique d’un point de vue sous-régional, voire régional.

L’engagement de nos forces et la mort au combat de cinq de nos militaires, à qui les sénateurs du groupe socialiste et moi-même rendons un sincère hommage, doivent trouver aujourd’hui tout leur sens, la recherche d’une paix durable, mais aussi l’espérance d’un développement économique et social indispensable au maintien de conditions de vie qui, au-delà de l’aspect humanitaire, empêcheront des populations sans espérance de se jeter dans des bras fanatiques.

Or il y a urgence ! La population, majoritairement composée de jeunes, va doubler dans vingt ans, et ce alors même que le secteur de l’éducation a été laissé à l’abandon par un État fragilisé par les multiples plans d’ajustements structurels.

L’aide internationale doit très vite s’organiser, car il est des priorités pour lesquelles chaque jour va compter. En effet, actuellement, près de 300 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du Mali et 180 000 environ se sont réfugiées dans des pays limitrophes. Les activités agricoles ont été stoppées : la culture des céréales, éléments de base de l’alimentation des Maliens, devant être entreprise dans les toutes prochaines semaines, avant la saison des pluies, il faut leur fournir les semences nécessaires, sinon le Mali connaîtra, en 2014, une crise alimentaire catastrophique.

Aujourd’hui déjà, cette situation est alarmante dans les trois régions du Nord. La nourriture manque sévèrement à Tombouctou, Gao et Kidal, tandis que les districts de Tessalit et Abeibera ont atteint un niveau de vulnérabilité extrême. Il est bon de rappeler que, pendant la période d’occupation des régions du Nord, les mouvements djihadistes avaient permis un approvisionnement en biens et services de première nécessité : produits alimentaires, énergie, eau, santé et écoles. Depuis leur départ, les services de l’État malien et les ONG n’ont pas pris le relais. C’est dire l’importance et l’urgence des aides qui seront fournies, aides vitales bien sûr, qui feront comprendre à toutes les populations du Nord-Mali qu’elles n’auront plus à dépendre des djihadistes pour leur survie.

La restauration de l’activité agricole et des approvisionnements est donc une priorité absolue. À moyen terme, la stabilisation du Mali implique la mise en œuvre d’un développement significatif dans un contexte marqué par l’effondrement de l’économie rurale. On peut d’ores et déjà affirmer qu’il n’y aura pas de paix ni de sécurité sans un développement susceptible, à terme, de mettre fin à une économie parallèle constituée de multiples trafics.

Dans bien des domaines, il s’agit d’entreprendre une véritable œuvre de construction. En effet, la situation en matière d’infrastructures est dramatique et les services de santé, d’approvisionnement en eau ou en énergie demeurent défaillants, voire inexistants. Il en est de même pour l’éducation : 800 000 enfants sont ainsi déscolarisés.

Outre la remise en état de l’existant, la reconstruction, quand ce n’est pas la construction, des services publics élémentaires est à envisager. En effet, le Nord a besoin d’infrastructures pour se développer : retour de l’eau, construction de centrales micro-hydrauliques, restauration des sols, goudronnage des pistes et réactivation de l’économie locale, plus particulièrement le pastoralisme. Dans le Sud, c’est la relance de la culture des céréales et du coton qu’il faudra soutenir.

Les spécialistes du développement estiment les besoins à une somme comprise entre 1, 5 milliard et 2 milliards d’euros sur cinq ans, hors sécurité. L’Union européenne a d’ores et déjà indiqué son intention de mobiliser 250 millions d’euros. L’Agence française de développement financera les projets gelés ou suspendus à hauteur de 150 millions d’euros. La conférence des donateurs du 15 mai 2013, à Bruxelles, sous la présidence de l’Union européenne, à laquelle participera le Président de la République, François Hollande, sera donc cruciale. Le suivi des fonds supposera la mise en place d’un comité de pilotage avec une présence affirmée de la France, afin de gagner en cohérence.

Il convient de noter qu’une première conférence sur le développement du Mali s’est tenue à Lyon, le 19 mars 2013, afin de préparer l’après-crise. Elle était organisée par le ministère des affaires étrangères, la région et Citées Unies France, et vous-même, monsieur le ministre des affaires étrangères, et vous aussi, monsieur le ministre chargé du développement, y avez participé. Pour l’ensemble des collectivités territoriales qui mènent des actions de coopération au Mali, cette rencontre a été l’occasion de retrouver leurs partenaires maliens pour faire le point sur les conditions de reprise de l’aide civile. Les collectivités locales ont pris l’engagement de réactiver les projets en suspens.

La France a une grande connaissance du Mali et a consacré beaucoup de moyens à l’aide qu’elle lui accordait. En constatant l’effondrement de ce pays, nous devons cependant réfléchir aux actions qui seront menées pour que les aides bilatérales ou multilatérales soient bien affectées aux actions et investissements pour lesquels elles sont mobilisées.

Il est donc impératif de coordonner toutes les interventions et d’éviter leur dispersion. En cela, la France dispose d’organismes qui ont fait leur preuve dans l’aide au développement et à l’expertise internationale : je pense à l’Agence française de développement, l’AFD, à France expertise internationale, FEI, à CIVI.POL Conseil, à ADETEF et à d’autres experts qui devront, eux aussi, mutualiser leurs savoirs et leurs compétences au service d’un équilibre efficace pour que le Mali réunisse toutes les conditions qui favoriseront son redressement et son développement.

La route sera longue, il ne faut pas en douter, mais la réussite ne sera au rendez-vous que dans la mesure où la sécurité et la paix seront assurées. La présence de nos militaires en appui de la future opération de maintien de la paix des Nations unies, et dont les missions seront définies au sein de la MINUSMA, est indispensable.

C’est pourquoi, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voterai, au nom du groupe socialiste, l’autorisation de prolonger l’intervention des forces françaises au Mali, pour garantir le retour à la paix et le redressement de ce pays. §

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