Intervention de Jean-Yves Le Drian

Réunion du 22 avril 2013 à 21h30
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées au mali — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Jean-Yves Le Drian :

Nos forces sont intervenues dans des conditions très éprouvantes. Certains de nos chefs militaires affirment que dans cette intervention, nous avons un ennemi, les groupes armés djihadistes, et deux adversaires : la distance et le climat. On ne l’a sans doute pas suffisamment rappelé, aussi, laissez-moi prendre deux exemples. Le premier concerne la distance.

Pour vous donner un ordre de grandeur des distances, larguer des parachutistes au départ du Gabon sur Tombouctou, c’est comme le faire entre Paris et Moscou.

Quant au climat, comme j’ai eu l’occasion de le dire à certains d’entre vous lors des réunions de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dans l’Adrar, au plus fort des opérations, vingt tonnes d’eau par jour étaient nécessaires pour soutenir nos forces, ce qui correspond à dix litres d’eau par homme et par jour. Cela montre l’ampleur des questions logistiques concernant cette intervention pendant la période qui s’est déroulée depuis le 11 janvier dernier, depuis que le Président de la République a donné l’ordre d’intervention.

Les objectifs que le Président de la République avait fixés pour l’opération Serval ont été remplis. En trois mois, nous avons anéanti une véritable machine militaire terroriste très structurée, nous avons infligé des pertes très significatives au sein des groupes armés djihadistes, et brisé – c’était sans doute le plus important – les principaux fondements de sa puissance militaire, en détruisant des stocks d’armes, de matériels et de munitions par centaines de tonnes, des camps et des zones de ravitaillement, ainsi que des bases d’entraînement. Bref, des destructions très significatives. Aussi, on peut dire aujourd'hui, après les dernières opérations de reconnaissance offensive menées dans l’extrême nord-ouest du pays au cours de ces derniers jours, que l’ensemble du territoire malien est libéré et que la menace est très fortement réduite.

Certes, subsiste un terrorisme résiduel, limité à des actions suicidaires asymétriques, qui peuvent se manifester ici ou là, en particulier dans les environs de Gao. Mais, globalement, nous avons franchi un jalon important dans notre stratégie de libération du Mali et d’éradication des terroristes.

Nous avons agi par nos propres moyens, mais nous ne l’avons pas fait seuls. Je réponds ainsi à quelques observations formulées par certains d’entre vous. En effet, l’aide européenne a été réelle, même si elle a été bilatérale. Dès le début, nous avons eu le soutien des Britanniques, des Belges, des Néerlandais, des Danois, des Espagnols et des Allemands, sans oublier, dans d’autres domaines, les Américains et les Canadiens. Nous avons reçu un véritable soutien européen, même s’il ne s’agit pas, au moins sur ce point, de celui de l’Europe de la défense. Le partenariat bilatéral avec des pays amis nous a permis d’assurer, par exemple, le tiers de notre logistique. C’était une nécessité en raison de l’ampleur des enjeux logistiques que j’ai évoqués il y a un instant. Cela montre que cette intervention était soutenue par nos amis européens non seulement politiquement, mais aussi techniquement.

À ce propos, je voudrais apporter quelques précisions sur la mission de reconstruction de l’armée malienne, puisque certains d’entre vous l’ont évoquée.

Monsieur Chevènement, nous en sommes bien conscients, ce n’est pas uniquement la période de quinze mois durant laquelle une mission a été diligentée au niveau européen qui permettra de reconstruire l’armée malienne et ce n’est pas avec 2 300 hommes que l’on aura demain une armée. Aussi, il est vraisemblable – mais mettons les choses les unes après les autres – qu’il nous faudra ensuite mener au niveau européen une action complémentaire. Toutefois, commençons par agir pour mettre en œuvre l’embryon de reconstruction de l’armée malienne qu’il importe d’initier très rapidement.

Monsieur Gérard Larcher, j’en suis également bien conscient, il serait souhaitable d’élargir le champ de l’action européenne pour aller dans le sens d’une reconstruction des fondamentaux de la souveraineté de l’État malien ; je pense à la gendarmerie, à la police, à la justice et à la douane. Il serait bienvenu soit d’étendre l’opération EUCAP Sahel-Niger au Mali, soit de prendre une initiative similaire pour restaurer, autour de la reconstruction de l’armée malienne, les fondamentaux d’un État souverain qui a recouvré son territoire dans son intégralité, mais n’a pas encore retrouvé l’ensemble des instruments de souveraineté, même si la perspective des élections en sera l’un des éléments contributifs.

Je veux aussi préciser à l’intention de plusieurs orateurs que nous avons commencé à tirer les leçons positives et négatives de l’opération Serval.

Au chapitre des leçons positives, chacun reconnaît la très grande réactivité de nos forces armées. Nous avons eu une capacité d’entrée en premier, de projection de forces. Nous avons bien su articuler la manœuvre terrestre et la manœuvre aérienne. Nous avons aussi pu bénéficier du prépositionnement. Plusieurs d’entre vous, notamment le président Carrère, sont d’ailleurs intervenus sur cette nécessité. Sans le prépositionnement, il est clair que nous n’aurions pas pu intervenir aussi rapidement.

Toutefois, demeurent des interrogations et des lacunes, que M. Bockel a évoquées. Nous les connaissons déjà depuis un certain temps, car elles ne datent pas d’aujourd'hui. Nous avons des lacunes en matière de ravitaillement, de renseignements – singulièrement dans le domaine des drones –, de transports et dans le domaine des hélicoptères de manœuvre. Il importera d’y remédier dans le futur.

J’ai bien noté que M. le président Carrère et plusieurs autres intervenants se sont ralliés avec beaucoup de force à l’étendard des 31, 4 milliards d’euros. §Je peux moi-même m’y rallier dans la mesure où le Président de la République l’a annoncé lui-même. Je n’éprouve donc pas du tout de difficulté à me joindre au mouvement qui a été engagé au Sénat pour figer ce chiffre magique, car il importe de maintenir un outil de défense de qualité nous permettant, en particulier, de pouvoir entrer en premier.

Pour conclure, concernant nos forces armées, nous avons trois objectifs concrets, qui vont structurer la poursuite de notre action au Mali dans la région sahélienne.

Le premier objectif est de maintenir la pression sur les groupes terroristes, afin d’éviter qu’ils ne se recomposent. En effet, si ces groupes n’ont plus la capacité de mener des offensives coordonnées, ils conservent la volonté de mener des actions asymétriques. Soyons donc vigilants et faisons en sorte que nous puissions réagir.

Le deuxième objectif est d’accompagner, puis d’appuyer la force de l’ONU, la MINUSMA, qui prendra bientôt le relais de notre action dans la mission de stabilisation du Mali.

Enfin, le troisième objectif est d’accompagner la reconstruction et l’engagement opérationnel de l’armée malienne.

Ces trois objectifs nécessiteront la présence – M. le ministre des affaires étrangères l’a indiqué il y a un instant – d’un millier d’hommes se répartissant sur ces trois objectifs à la fin du processus de retrait, qui a commencé. De 4 500 hommes environ au moment de la grande offensive sur l’Adrar et de la bataille d’Amététaï, nous sommes descendus en dessous de 4 000, pour passer sous la barre des 2 000 dans le courant de l’été, avec l’objectif du maintien d’un millier d’hommes en vue d’accomplir les missions que je viens d’indiquer.

Nous sommes, me semble-t-il, passés d’une phase d’action strictement militaire à une phase où la politique et la diplomatie prédominent. C’est l’action militaire qui a permis au Mali de retrouver son intégrité territoriale. C’est maintenant l’action diplomatique et politique qui permettra au Mali de se réconcilier avec lui-même. Cependant, il n’y aura pas d’action politique et diplomatique aboutie si les conditions de sécurité ne sont pas en permanence réunies. C'est la raison pour laquelle nous sommes très heureux d’être relayés par la MINUSMA. Toutefois, nous considérons aussi qu’il est essentiel que nous restions présents au Mali, avec des possibilités d’intervention à partir des pays voisins, afin que ce pays se retrouve avec lui-même. §

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