Il faut rappeler que le pouvoir réglementaire local existe depuis très longtemps et que des mesures sont prises tous les jours à ce titre. C'est pour cette raison que je m'étonne de constater les difficultés qui existent au niveau étatique lorsqu'il s'agit d'inscrire l'adaptabilité dans la loi. En effet, la simple consécration du pouvoir réglementaire local au sein de l'article 72 de la Constitution a suscité de nombreux débats, alors que cela fait pourtant des siècles qu'il existe dans notre pays. Peut-être faudrait-il jouer avec les symboles et ne pas parler de « pouvoir réglementaire local » mais de « compétence réglementaire locale », la notion de « compétence » entrant moins en concurrence que celle de « pouvoir » avec le pouvoir réglementaire du Premier ministre.
En outre, il est intéressant de remarquer qu'en dépit d'un positionnement traditionnel du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État assez peu favorable au droit de la décentralisation, ces deux juridictions, à travers de nombreuses jurisprudences, ont infléchi leurs positions. Le Conseil constitutionnel, par exemple, dans sa décision n° 2012-238 QPC du 20 avril 2012, a reconnu qu'une adaptabilité locale des règles n'était pas forcément contraire au principe d'égalité. Ce principe constituait en effet un des derniers remparts qui faisaient obstacle à l'adaptabilité locale. De même, le Conseil constitutionnel indique, dans une décision de 2002, que le pouvoir réglementaire de droit commun du Premier ministre ne fait pas obstacle à l'exercice d'un pouvoir réglementaire local, dans le cadre de l'article 72 de la Constitution qui permet à une collectivité territoriale d'appliquer la loi, la seule réserve étant l'exercice des libertés publiques.
Nous disposons donc d'une jurisprudence constitutionnelle qui nous est favorable et, si l'on parle de « compétence réglementaire » plutôt que de « pouvoir réglementaire », cela nous permettra sans doute de faire avancer les choses. Par ailleurs, il faut rappeler qu'en vertu de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon.
Pour revenir sur les exemples que vous avez évoqués les uns et les autres, il me semble important de bien distinguer ce qui relève de la simplification de ce qui relève de l'adaptabilité. La simplification doit inciter l'État à instituer des conditions limitatives pour l'application d'une norme. Pour reprendre votre exemple, si un vestiaire n'est utilisé que trois fois par semaine, il n'est pas utile de le soumettre à la même réglementation thermique qu'un vestiaire qui serait utilisé sept jours sur sept. Le pouvoir étatique peut donc tout à fait fixer ses propres limites. À cet égard, l'intervention de la CCEN serait la bienvenue car elle permettrait à des élus de terrain de donner leur avis avant que la loi soit adoptée. L'adaptabilité, en revanche, consiste à rendre possible l'adaptation d'une norme à chaque circonstance locale, ce qui nécessite qu'elle ne soit pas fixée par l'État.
Aujourd'hui, la loi est le seul moyen de prévoir une adaptabilité locale. Le législateur peut toutefois décider demain de contrecarrer la jurisprudence du Conseil d'État selon laquelle, même lorsque le législateur ne renvoie pas à un décret, le pouvoir réglementaire du Premier ministre est prépondérant sur le pouvoir réglementaire local. Vous pourriez décider, en tant que législateur - et vous en auriez tout à fait le droit constitutionnellement - que, désormais, pour les mesures nécessaires à l'application de la loi au sens de la Constitution et en application du principe de subsidiarité, le Premier ministre n'intervienne plus et laisse le pouvoir réglementaire local s'exercer pleinement, avec des limites : la sauvegarde des libertés publiques, la préservation des droits constitutionnels et la garantie d'un intérêt général prééminent.
Vous faisiez référence à la loi sur l'accessibilité des lieux publics. Dans ce domaine, il ne sera pas possible de laisser aux collectivités territoriales une grande marge de manoeuvre mais seulement de petites marges, purement techniques, car on se situe précisément dans le cadre des droits constitutionnels, en particulier la liberté d'aller et venir ou encore les conditions de développement de l'individu. Toutefois, on peut imaginer que la loi prévoie que le décret du Premier ministre puisse instituer des dérogations à la demande des collectivités territoriales à partir d'une motivation précise. Dans ce cas, le législateur sera simplement obligé d'encadrer le pouvoir de dérogation du Premier ministre en indiquant que ces dérogations respectent tels grands principes et ne dérogent pas à telle règle. Une telle solution juridique est tout à fait possible et, même si elle apparaît un peu compliquée, en vaut la peine car elle permet d'avoir un système autorisant une remontée des collectivités territoriales de cas particuliers depuis les préfets vers le Premier ministre.
S'agissant du curseur de la proportionnalité, là encore ce n'est évidemment pas simple et il faudra faire attention que le Conseil d'État ne se fasse pas davantage administrateur que juge. Si on regarde, par exemple, la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi sur la Corse, on s'aperçoit qu'il y a très peu de limites. En effet, cette jurisprudence permet de confier à une catégorie de collectivités certaines modalités d'application d'une loi et ne limite ce pouvoir qu'aux conditions essentielles de mise en oeuvre des libertés publiques. Alors, certes, la limite est haute et concerne seulement les droits constitutionnels et les libertés publiques mais, dans de nombreux domaines, comme par exemple la formation professionnelle, prévue par le préambule de la Constitution de 1946, la jurisprudence du Conseil d'État pourra faire obstacle au pouvoir réglementaire local en indiquant qu'une mesure est prise pour l'application d'un principe constitutionnel. Si on considère les compétences départementales, par exemple, on arrive très vite dans le domaine de la solidarité nationale et, là encore, on risque de rencontrer des limites. Dès lors, le curseur dépendra effectivement de ce que le législateur décidera, notamment s'il souhaite ou non limiter la capacité d'intervention du Premier ministre à ce qui est obligatoire en vertu de la Constitution.