Intervention de Pierre-Yves Collombat

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 avril 2013 : 2ème réunion
Interdiction du cumul de l'indemnité de fonction des parlementaires avec d'autres indemnités liées au mandat — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat, rapporteur :

Dans nos démocraties modernes, le pouvoir politique étant le seul à limiter celui de l'argent devenu aussi pouvoir d'information, il est inévitable de voir ses modes de fonctionnement et ses acteurs périodiquement contestés. Tout y passe, du vrai, du faux et surtout un mélange de vrai et de faux, ce qui est le pire. Comme la démocratie est un exercice de contrôle et de débat, cette contestation est parfaitement légitime, à condition de reposer sur des faits avérés et de s'inscrire dans des problématiques claires.

Ainsi, en ces temps troublés, est-il apparu nécessaire à l'auteur de la proposition de loi organique de bien distinguer deux débats trop facilement confondus : d'une part, le débat sur la légitimité du cumul d'une fonction parlementaire et d'une fonction d'élu local, question particulièrement importante pour le Sénat qui, constitutionnellement, « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » et, d'autre part, le débat sur la légitimité du cumul des indemnités qui garantissent l'exercice de ces fonctions dans des conditions satisfaisantes.

Le texte propose d'interdire le cumul, par les parlementaires, de leur indemnité de fonction avec toute autre indemnité liée à un mandat local. Cette proposition est parfaitement fondée si l'on veut bien se rappeler le sens de l'attribution d'une indemnité de représentation aux parlementaires, disposition dont la légitimité a pris beaucoup de temps à s'installer dans les consciences. Le but était double : démocratiser au maximum la fonction de représentation, assurer l'indépendance intellectuelle et morale du parlementaire, ce que rappelle l'article 27 de la Constitution : « Tout mandat impératif est nul ». Il s'est agi d'ouvrir la fonction parlementaire à d'autres qu'aux rentiers et aux mandataires d'intérêts particuliers, et d'assurer un niveau d'indemnisation garantissant une activité à temps complet au service de l'intérêt général et protégeant, autant que possible, des tentations.

Historiquement, l'indemnité parlementaire, instituée par un décret de la Constituante du 1er septembre 1789, intervient dès lors qu'est instituée une assemblée parlementaire permanente. Dès l'origine, les députés étaient gênés de pouvoir apparaître comme des prébendiers, au point que le décret ne fut pas transcrit dans le Bulletin des lois de la Constituante et qu'il faudra attendre 1795 pour que le niveau modeste de l'indemnité soit revalorisé par la Convention. Le rapport ambigu de la démocratie à l'argent ne date pas d'aujourd'hui... Avec le rétablissement du suffrage censitaire, la Restauration pose en 1817 le principe de la gratuité des fonctions électives, principe qui ne demeure encore aujourd'hui que pour les fonctions municipales - à quand, d'ailleurs, un statut de l'élu local ?

Enfin, à l'avènement de la IIe République, l'indemnité de fonction est rétablie, elle sera régulièrement améliorée et souvent cumulée avec d'autres, liées à l'exercice de mandats locaux revalorisés et multipliés par le foisonnement d'organismes dépendant plus ou moins directement des collectivités locales : établissements publics locaux, sociétés d'économie mixte (SEM) locales et récemment sociétés publiques locales (SPL), avec des indemnités qui peuvent être conséquentes selon la taille de la collectivité : celle d'un président d'une communauté d'agglomération de 100 000 habitants est de l'ordre de 5 500 euros, l'indemnité parlementaire se situant, elle, à 7 100 euros.

Dès lors, il est apparu nécessaire de limiter ce cumul des indemnités liées aux mandats parlementaire et locaux. Deux leviers ont été utilisés : l'écrêtement des indemnités et la limitation du cumul des mandats, qui devrait procéder d'une autre logique.

L'ordonnance de 1958 limite les possibilités de cumul de l'indemnité parlementaire avec celle de maire ou d'adjoint, de conseiller municipal de Paris et de conseiller général de la Seine à une fois et demi l'indemnité parlementaire. La part écrêtée peut être « déléguée par l'intéressé à celui ou à ceux qui le suppléent dans les fonctions de magistrat municipal ».

La loi du 25 février 1992 étend le plafonnement à l'ensemble des élus nationaux, municipaux, généraux et régionaux ainsi qu'aux membres du gouvernement titulaires de mandats électoraux, avec une distorsion évidente en faveur des membres du Gouvernement dont l'indemnité de base - alors leur base de référence du plafonnement - est entre 1,5 et 2 fois supérieure à celle des parlementaires, comme le remarquera notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de la loi du 14 avril 2011 relative à la transparence financière de la vie politique, qui les soumet au droit commun des parlementaires et des élus locaux.

La loi concernant les élections départementales, municipales et communautaires, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 17 avril 2013, supprime la faculté laissée à l'élu écrêté de désigner la personne bénéficiaire de l'indemnité, pour éviter d'éventuelles dérives. La part écrêtée retombe dans la caisse de la collectivité qui reste libre de l'attribuer selon les modalités ordinaires. Actuellement, députés et sénateurs ne peuvent percevoir qu'un montant indemnitaire total maximum de 8 272 euros dont 2 757 euros au titre de l'ensemble de leurs mandats locaux.

Concurremment à ces dispositions, un autre mécanisme a été utilisé pour parvenir au même but : la limitation du cumul des mandats, organisée par la loi organique du 30 décembre 1985, qui limite le cumul du mandat de député ou de sénateur avec un seul autre mandat selon une liste limitative et resserrée par la loi du 5 avril 2000 et, aujourd'hui, par coordination avec l'abaissement à 1 000 habitants du seuil d'application du scrutin municipal proportionnel. Le mandat parlementaire est incompatible avec l'exercice de plus d'un des mandats de conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants - et bientôt de 1 000. Les fonctions de président d'intercommunalité n'entrent pas en ligne de compte, ni évidemment celles liées aux divers satellites des collectivités.

Cet ensemble de dispositions n'a pas la cohérence de celles du dispositif mis en place pour limiter le revenu qu'un élu peut retirer de l'exercice de ses mandats. Quel rapport, en effet, entre la charge représentée par la gestion de la région Ile de France, d'une commune de 500 000 habitants, d'une communauté urbaine qui en fait le double et d'une commune de 950 habitants, même si la petite commune ne dispose pas des moyens humains des grandes collectivités ?

On voit bien l'intérêt de distinguer clairement le montant de l'indemnité assurant l'indépendance du parlementaire, condition fondatrice de son mandat, du type et du nombre de fonctions qu'il est susceptible d'assumer, voire que la collectivité gagnerait à ce qu'il assume, ce qui est l'objet de la proposition de loi organique de notre collègue Jacques Mézard.

Pour parler comme Descartes, il s'agit d'avoir une idée claire et distincte. Eliminer le soupçon que l'élu vise à s'enrichir sur le dos de la collectivité en cumulant les mandats constitue un premier pas avant de poser, le moment venu, les seules questions qui importent en matière de cumul des mandats : niveau de la charge, compatibilité des fonctions, effets sur l'équilibre des pouvoirs en général et au sein du Parlement en particulier.

Cette proposition de loi organique n'est pas une mortification pour conjurer les maux qui affligent le pays, mais une opération de clarification posant le seul problème qui devrait nous importer : comment rendre au Parlement son pouvoir, et au pays, le dynamisme que seule confère la division des pouvoirs ?

Compte tenu de l'actualité, je vous propose deux amendements : l'un pour intégrer les sociétés publiques locales dans les indemnités et rémunérations prises en compte au titre du plafonnement, l'autre pour que la proposition de loi entre en vigueur à compter de chacun des prochains renouvellements de l'Assemblée nationale et du Sénat, respectivement prévus en 2017 et 2014.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion