Intervention de Joël Bourdin

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 6 février 2013 : 1ère réunion
Bilan de la réunion commune sénat — Cese du 5 décembre 2012

Photo de Joël BourdinJoël Bourdin, président :

Mes chers collègues, le 5 décembre dernier, notre délégation a conduit une opération, jusqu'alors inédite, de collaboration avec une structure similaire créée, un an après la nôtre, au sein du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Cette opération a pris la forme d'une réunion conjointe organisée entre nos deux délégations, en liaison avec Jean-Paul Bailly, président du groupe La Poste et de la délégation à la prospective et à l'évaluation des politiques publiques du CESE, sur le thème de l'avenir de la planification stratégique, que le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, nous a fait l'honneur d'ouvrir.

Le choix de ce sujet de réflexion n'était pas anodin. Voilà quelque temps déjà, et notamment sous l'impulsion de notre collègue vice-président du Sénat et ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, relayé par Alain Fouché, membre de notre délégation, nous nous interrogions sur les structures de vision et de perspective à long terme dont disposent les pouvoirs publics pour préparer l'avenir de notre pays.

On pouvait en effet se demander si la suppression, un peu précipitée somme toute, du Commissariat général du Plan, en 2006, n'avait pas affecté notre capacité à préparer le futur. Certes, cette structure avait été remplacée par une autre, le CAS, le Centre d'analyse stratégique, lequel produit régulièrement des documents et études intéressants mais qui sont établis sur des bases un peu différentes et peut-être moins globales et moins empreintes de concertation qu'elles ne l'étaient auparavant.

Ces observations nous ont donc conduits, avec le CESE, à envisager de croiser nos regards sur l'utilité d'inventer une « nouvelle planification stratégique », qui sache s'inscrire dans le cadre mondialisé qui est désormais celui de notre société d'aujourd'hui, et sur les outils à mettre en oeuvre pour répondre aux besoins.

Il faut croire que nous avons su être visionnaires à l'époque puisque, six semaines après nous, le nouveau Gouvernement issu des élections présidentielle et législatives de 2012 a, à son tour, mis ce sujet sur la table. Au cours de la grande conférence sociale tenue au Palais d'Iéna les 9 et 10 juillet 2012, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, annonçait, en clôture, son souhait de créer un nouveau lieu de dialogue, de réflexion prospective et d'expertise sur les politiques publiques, ouvert à l'ensemble des acteurs sociaux. Le 12 septembre, il confiait à une mission, présidée par Yannick Moreau, présidente de section au Conseil d'État et ancienne présidente du COR, le Conseil d'orientation des retraites, le soin de réfléchir à la nature et aux compétences de ce nouveau commissariat.

C'est donc dans un contexte totalement en phase avec l'actualité que nous avons tenu cette réunion commune, qui s'est, je crois, parfaitement bien déroulée. J'en veux pour preuve l'affluence record et la présence très nombreuse du public, qui nous ont conduits à refuser du monde !

Nous avions organisé cette après-midi de travail en deux temps : d'abord, l'analyse des besoins en souffrance ; ensuite, celle des moyens à mettre en oeuvre. Chacun de ces aspects a fait l'objet d'une table ronde dédiée, à laquelle nous avions convié de nombreux experts, au premier rang desquels deux anciens Premiers ministres : Jean-Pierre Raffarin, pour la première, Michel Rocard, pour la seconde, que je remercie de nouveau pour leur participation active et efficace à nos débats, qui ont été de très grande qualité.

C'est pourquoi, mes chers collègues, j'ai pensé qu'il serait très utile que le compte rendu intégral de nos échanges puisse faire l'objet d'une publication sous la forme d'un rapport d'information, si vous en êtes d'accord. Cette publication me paraît d'autant plus opportune que, précisément la veille de notre réunion, Mme Moreau a remis au Premier ministre le rapport dont celui-ci lui avait confié la charge, rapport qui conclut à l'opportunité de créer un « commissariat général à la stratégie et à la prospective ». Cette structure devrait être mise en place très prochainement et nous serions ainsi en mesure d'en suivre de très près l'installation.

Je vous signale, au passage, que, dans le cadre du rapport qu'il a établi en novembre dernier, à la demande du Gouvernement, sur le thème de la compétitivité de notre économie, rapport qui a eu un grand retentissement, Louis Gallois était parvenu à la même conclusion du bien-fondé de cette démarche. Sa troisième proposition préconise ainsi de « créer un commissariat à la prospective, lieu d'expertise et de dialogue social » et d'« accompagner chaque loi de finances d'un rapport sur la situation de l'appareil productif fondé sur les travaux du commissariat ».

En quelques mots, permettez-moi de faire la synthèse des observations et préconisations formulées au cours de nos deux tables rondes.

Tout d'abord, il en est ressorti que, en dépit - ou à cause - de la multitude actuelle de structures de veille, d'analyse et d'évaluation, les décideurs publics ont du mal à disposer de repères de long terme. Je parlais du CAS, mais je pourrais aussi citer le Conseil d'analyse économique (CAE), le Commissariat général à l'investissement (CGI), la Cour des comptes, bien sûr, le COR, le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, la Datar, sans oublier les manifestations ponctuelles qui ont un objet similaire, comme les Grenelle de l'environnement ou la grande conférence sociale. Il en résulte probablement une vision fragmentée des choses et un degré de concertation qui pourrait être amélioré.

Ensuite, l'utilité de penser à moyen et long termes les politiques, plutôt que d'agir dans l'immédiateté, a été résolument affirmée. Certains pays le font bien mieux que nous : les pays émergents, dont la Chine, évoquée par le président Raffarin et qui a une réelle vision à long terme ; la Finlande, les États-Unis, le Danemark ou la Suède au sein de l'OCDE.

En outre, la ligne de partage entre la prospective et la prévision a été clairement définie : outre la différence tenant à l'horizon temporel de référence, la prospective embrassant une vision beaucoup plus large, cette dernière repose sur le postulat que le futur n'est pas écrit d'avance mais qu'il doit être construit par tous ses acteurs, dans le cadre des avenirs possible ; d'où l'élaboration de scénarios.

Par ailleurs, le futur doit se penser non pas uniquement au niveau national, qui était le périmètre du Commissariat général du Plan, mais aussi au niveau des territoires, des départements, des métropoles, des communautés d'agglomération.

Autre observation : la planification stratégique à réinventer suppose de laisser plus de place à la concertation et au dialogue social : les travaux menés dans le domaine économique montrent que performance économique et performance sociale marchent ensemble, en favorisant la confiance des citoyens envers l'État.

Cela étant, le rapport de Yannick Moreau préconise de ne pas dédier le futur commissariat au dialogue social : celui-ci aurait pour vocation de produire un travail concerté, pour une réflexion située en amont du dialogue social, à conduire ensuite entre les partenaires sociaux ou entre ceux-ci et l'État.

Enfin, il a été souligné que la culture de l'évaluation des politiques publiques reste faible dans notre pays, très faible même, alors qu'elle conditionne une gouvernance transparente et équitable. Sur ce point, certains, notamment Michel Rocard, ont mis en garde contre le risque de confier au futur commissariat cette mission d'évaluation, qui pourrait faire peser sur lui de trop lourdes responsabilités, insistant sur la nécessité de séparer le travail de prospective et le travail d'évaluation.

Je vous indique toutefois que, à l'inverse, le rapport de Mme Moreau préconise que ce commissariat siège dans les instances d'évaluation pour en être « l'observateur avisé ». Nous regarderons évidemment tout cela de près.

Je conclurai en évoquant les mots subtils du président du CESE, Jean-Paul Delevoye, un ancien collègue, lequel a souligné l'impertinence, nécessaire, dont les délégations à la prospective doivent faire preuve pour savoir sortir des chemins balisés où l'on peut vouloir les contenir. Soyons donc capables, mes chers collègues, d'une telle impertinence. Je m'empresse d'ajouter, en bon conservateur : « sans aller trop loin tout de même » !

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