Ce débat est essentiel pour les Français de l'étranger, car il concerne leur capacité à vivre leur vie citoyenne.
Vous avez, madame la ministre, évoqué longuement la grande réforme de 1982 du gouvernement de Pierre Mauroy, parallèlement à la réforme de la décentralisation engagée par Gaston Defferre, mise en place par Claude Cheysson, ministre des relations extérieures. C'est l'étape fondatrice du fonctionnement de nos institutions représentatives des Français de l'étranger, c'est-à-dire aujourd'hui l'AFE et en 1982 le Conseil supérieur des Français de l'étranger.
Je rappelle que le Conseil supérieur des Français de l'étranger a été créé par décret en 1949 par Robert Schuman, ministre des affaires étrangères. Il est clair que cette décision, à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, rendait hommage à la mobilisation des Français de l'étranger pour sortir le pays de la situation dans laquelle il était après la défaite de juin 1940. Le général de Gaulle lui-même n'avait-il pas souligné, dans l'appel du 18 juin, que des forces hors du pays étaient susceptibles de renverser la situation ?
Toutes choses égales par ailleurs, à chaque période de la vie d'une nation, il est important de conserver les liens qu'elle entretient avec ses ressortissants à l'étranger, car ces derniers, dans les périodes difficiles, sont ceux qui ont le meilleur aperçu de la situation. Il est donc essentiel de les écouter et de leur donner la capacité d'agir.
Bien entendu, et nous l'avons constaté lorsque nous les avons côtoyés quand nous vivions à l'étranger ou lorsque nous les rencontrons au cours de nos voyages, les modifications institutionnelles ne sont pas la première préoccupation des Français de l'étranger.
Toutefois, si ces questions ne sont pas une priorité, elles sont néanmoins indispensables, car les institutions permettent d'agir et de cadrer les politiques. Il importait donc – c'est l'Assemblée des Français de l'étranger qui a porté cette réforme – que les Français de l'étranger obtiennent une représentation complète au Parlement, non seulement au Sénat, mais aussi à l'Assemblée nationale.
Depuis une dizaine d'années, cela a été répété souvent à l'Assemblée des Français de l'étranger, à partir du moment où l'on commençait à envisager une représentation complète au Parlement, il est indispensable – l'Assemblée en est parfaitement consciente depuis juin 2012, de revoir la représentation des Français de l'étranger, la place de l'AFE ne pouvant plus être la même.
Voilà plus de dix ans, le Conseil supérieur des Français de l'étranger a travaillé à sa réforme. Entre 2000 et 2003, une commission de la réforme s'est réunie. Qu'il me soit permis de rendre un hommage commun à la fois à son président, Guy Penne, et à son rapporteur, Robert del Picchia, qui, ensemble, ont travaillé à l'élaboration d'un certain nombre d'outils ayant permis de faire progresser la représentation des Français de l'étranger.
Je pense non seulement à la dénomination de cette institution, mais, plus utile encore, à la fusion des listes électorales, qui a montré le poids politique des Français de l'étranger. De moins de 200 000 Français de l'étranger inscrits pour voter à l'élection présidentielle de 1995, nous sommes passés à plus de 1 million lors de l'élection présidentielle de mai dernier. C'est dire qu'un nombre croissant de Français vivant à l'étranger souhaitent participer à l'élection présidentielle. Il est donc important que les Français résidant à l'étranger, que l'on estime à quelque 2, 5 millions et dont plus de 1, 6 million sont inscrits au registre mondial des Français établis hors de France, soient représentés au Parlement, car les communautés françaises à l'étranger changent et ont besoin d'une représentation spécifique.
Après les travaux menés par la commission de la réforme et les nombreuses réflexions qui ont eu lieu au sein de l'Assemblée des Français de l'étranger, ainsi que des différentes associations et partis politiques, il paraît aujourd'hui logique de réformer la représentation des Français de l'étranger. Pour éviter les problèmes liés au calendrier électoral qui fixe actuellement un scrutin en juin 2013 et afin de mettre en place la réforme dont nous allons discuter maintenant, il est essentiel d'accepter le projet de loi de prorogation des mandats d'un an.
Madame la ministre, vous l'avez souligné, certains voulaient aller beaucoup plus loin dans cette réforme et souhaitaient donner à l'Assemblée des Français de l'étranger rénovée la capacité d'orienter l'ensemble des politiques publiques que notre pays mène à l'égard des Français vivant hors de France. Sans aller jusque-là, il importe de mettre en place une proximité avec les conseils consulaires et d'élargir le nombre de personnes ayant la légitimité, parce qu'elles seront élues, de parler et d'agir sur le terrain au nom des Français de l'étranger sur des questions qui intéressent plus particulièrement ces derniers.
Même si la réforme proposée n'est pas aussi ambitieuse que certains l'auraient souhaité, elle constitue un pas en avant non négligeable pour donner aux Français de l'étranger plus de capacité pour orienter les politiques publiques qui les concernent et peser davantage sur elles.
L'Assemblée des Français de l'étranger, qui a maintenant plus de soixante ans, est paritaire à 36 %. Elle fait donc figure de précurseur par rapport à d'autres assemblées. La fusion des listes électorales, que j'ai déjà évoquée, a mis en lumière le poids politique des Français de l'étranger. Elle a ainsi été le vecteur de la modification et de la réforme de la représentation des Français de l'étranger.
Enfin, le rôle de l'AFE pour la création des députés des Français de l'étranger n'est plus à démontrer ici. D'une certaine manière, cette réforme est le fruit des propositions faites par l'Assemblée des Français de l'étranger depuis plus de dix ans.
Bien entendu, d'autres points méritent d'être évoqués. Nous ne le ferons peut-être pas au cours de ce débat, mais nous les garderons en réserve pour l'avenir.
Certains s'interrogent. Au sein de l'Union européenne, quel est le sens d'une représentation des Français de l'étranger puisqu'il existe une citoyenneté européenne, qui ouvre des droits aux prestations à égalité avec les ressortissants du pays de résidence ? Ils ne comprennent pas pourquoi aujourd'hui on continue à parler de Français de l'étranger, même pour des Français vivant dans l'Union européenne.
Aujourd'hui, la coopération européenne en matière consulaire est difficile. Les consulats jouent un rôle essentiel dans les pays de l'Union européenne. Dans un certain nombre de pays, surtout dans une Europe en crise, il est important de défendre l'action sociale de nos consulats. Sans les écoles françaises, il serait difficile de transmettre le sentiment d'appartenance à la communauté nationale dans un certain nombre de pays. Oui, il est encore nécessaire de défendre la notion de représentation des Français à l'étranger, qu'ils résident ou non dans l'Union européenne.
C'est absolument indispensable, même si cela ne nous dispense pas de continuer à travailler à une meilleure implication des ressortissants communautaires dans leur pays de résidence, ainsi qu'au renforcement de la coopération consulaire entre les pays de l'Union européenne.
Cela étant, la situation aujourd'hui est telle qu'il est indispensable de conserver cette représentation de l'ensemble des Français de l'étranger, même de ceux qui vivent dans l'Union européenne.
Par ailleurs, ainsi que vous l'avez vous-même indiqué en partie, madame la ministre, la croissance importante de la population française à l'étranger ces dernières années mérite qu'on s'y attache.
Les raisons de cet accroissement sont multiples. Certains partent à l'étranger pour travailler, d'autres pour découvrir le monde, d'autres cultures, de nouveaux horizons. Pour d'autres encore, les motivations de départ sont plutôt négatives : leur recherche d'un emploi à l'étranger s'inscrit dans une lutte contre le « plafond de verre » des discriminations, contre la dictature du diplôme initial. Dans des pays où l'école de la vie est mieux considérée, ils parviennent plus facilement à faire leur place.
Par conséquent, un certain nombre de Français vont à l'étranger pour des motivations qui leur sont propres, mais nous devons, nous, législateur français, faire en sorte qu'ils puissent conserver un lien avec notre pays.
Pourquoi, me direz-vous, faut-il avoir des politiques publiques à l'égard des Français de l'étranger ?
Être Français, ce n'est ni le droit du sol ni le droit du sang, c'est l'appartenance à la communauté nationale. Cela oblige à un sentiment de solidarité. Bien entendu, il est plus facile d'éprouver ce sentiment entre personnes qui vivent sur un même territoire. Mais s'agissant de personnes qui vivent à l'étranger, il est indispensable d'avoir des outils pour permettre la préservation de ce sentiment d'appartenance. Bien entendu, il ne s'étiolera pas facilement, mais d'une génération à l'autre, ce sera beaucoup plus compliqué.
C'est la raison pour laquelle, afin de conserver le lien d'appartenance à la France, il est indispensable de maintenir des écoles, d'aider les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans qui ont parfois des difficultés à vivre à l'étranger. Elles sont françaises, la France pense à elles. C'est le signe qu'elles appartiennent à la communauté nationale.
Parce qu'être Français, appartenir à la communauté nationale a une signification particulière, il est indispensable de mener des politiques spécifiques à l'égard des Français qui vivent à l'étranger. C'est dans notre définition, notre conception même de la nationalité et c'est pourquoi il est important de défendre ces politiques et d'avoir des institutions qui sont capables de les définir, de les orienter et de les adapter aux réalités du monde d'aujourd'hui.
Il est important aussi de trouver des institutions qui permettent de mieux mobiliser les compétences, les connaissances, les observations des Français de l'étranger, dans la situation de crise que connaît notre pays aujourd'hui. Cette mobilisation des compétences pourra ensuite être orientée, grâce aux élus, grâce aux institutions, vers le redressement de notre pays.
Après ces remarques préliminaires, je dirai du projet de loi de prorogation des mandats qu'il relève d'un bon pragmatisme. À partir du moment où l'on considère qu'il faut réformer la représentation des Français de l'étranger, compte tenu de la croissance importante du nombre des Français qui vivent à l'étranger, de la charge de travail des agents consulaires, auxquels je tiens d'ailleurs à rendre un hommage appuyé, il serait vain de faire travailler cette année les consulats si l'on doit refaire une élection l'année prochaine ou dans deux ans. Par conséquent, cette prorogation est évidente pour cette raison.
J'en viens maintenant aux principaux apports du projet de loi de représentation des Français établis hors de France.
D'abord, la création de conseils consulaires permettra une représentation de proximité. Elle permettra, dans la plupart des pays, d'avoir plus d'un élu qui ait comme fonction de représenter la communauté française vis-à-vis du poste diplomatique et consulaire et, en même temps, grâce à l'Assemblée des Français de l'étranger, de faire remonter jusqu'à Paris les observations, les critiques, les demandes.
Bien entendu, l'évolution du nombre de conseillers consulaires, qui s'élèverait à 440, a un corollaire : l'élargissement du collège électoral des sénateurs, qui serait multiplié par trois. C'est vrai que le ratio de douze sénateurs élus par 155 grands électeurs, même si c'est en deux fois, tous les trois ans, semble totalement en décalage par rapport à ce qui se fait dans les autres départements et territoires de France. Cet élargissement du collège électoral est donc tout à fait intéressant et je pense qu'il fait l'unanimité parmi nous.
Enfin, l'Assemblée des Français de l'étranger élira son président. Cette demande depuis longtemps formulée avait été portée par la commission de la réforme que j'ai évoquée tout à l'heure, et la disposition sera effective dès l'adoption de cette réforme.
Après les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons souhaité faire évoluer le texte – comme un très grand nombre d'interlocuteurs nous l'ont demandé, mais aussi parce que cela s'inscrit dans une logique de respect des principes démocratiques – de manière à permettre l'élection des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger au suffrage universel direct, tout en assurant qu'ils procèdent des conseillers consulaires. C'est la proposition que la commission a adoptée la semaine dernière et qui figure donc dans le texte qui vous est présenté.
La commission a également indiqué une date pour les élections des conseillers à l'AFE concomitante des élections municipales en France. En effet, il nous apparaît nécessaire de souligner à quel point ces élections, qui sont locales, qui sont des élections de proximité, qui renouvellent le collège électoral pour les élections sénatoriales, peuvent être assimilées à des élections municipales pour les Français de l'étranger.
Beaucoup de Français à l'étranger ne sont pas inscrits en France, ne votent pas aux élections municipales. Par conséquent, si nous voulons leur montrer à quoi servent ces élections, au-delà des débats sur les conseils consulaires et sur leurs compétences, dont nous avons aussi parlé au sein de la commission et au cours des auditions, il est important, par un parallélisme des formes, par un phasage électoral, de montrer que ces élections sont de même nature : elles visent à élire des élus de proximité, qui, eux-mêmes, éliront leur représentation au Sénat.
Ensuite, il nous semblait important de souligner que ce travail sur les compétences pouvait être encore un peu amélioré.
Nous avons malheureusement constaté qu'un certain nombre de compétences de politiques publiques qui touchent les Français de l'étranger sont aujourd'hui définies par voie réglementaire et non par voie législative. C'est pourquoi il était difficile d'établir le contrôle de ces politiques par la voie législative. Une partie du débat parlementaire consistera précisément à voir comment nous pouvons, par un dialogue avec le Gouvernement, nous assurer que les conseils consulaires, que l'Assemblée des Français de l'étranger aient une compétence au moins partagée sur les orientations des politiques que la France mène à l'égard des Français de l'étranger. J'ai évoqué la question de l'aide sociale, je pourrais aussi parler des bourses.
Il est important, pour que cette réforme réussisse, d'abord, qu'elle soit comprise, qu'elle engendre une meilleure participation électorale, laquelle est liée à notre proposition de phasage avec les élections municipales. Même si, pour des raisons techniques – nous avons entendu les arguments qui ont été exprimés –, nous ne retenons pas cette disposition pour la première élection qui aurait lieu en 2014, cette concomitance permettrait une amélioration de la participation électorale.
De la même manière, il faudra faire en sorte que les élus au conseil consulaire et à l'Assemblée des Français de l'étranger soient le plus possible impliqués dans les réflexions, les dialogues de gestion, par exemple en ce qui concerne les politiques de bourses. Il faudra veiller à ce que, dans le débat démocratique qui aura lieu lors de ces élections consulaires, durant les campagnes électorales, personne ne soit mis de côté. Je pense en particulier à la fracture numérique, qui s'estompera avec le temps, mais qui existe encore aujourd'hui pour une partie de nos concitoyens âgés.
Une autre question importante est posée à laquelle il faudra aussi répondre : comment réussir une réforme à moyens constants lorsqu'on multiplie par trois le nombre d'élus ? C'est une gageure, madame la ministre. Nous serons tous mobilisés sur cette question. Nous connaissons la situation actuelle des finances de l'État, mais réussir une telle réforme à moyens constants est quand même une gageure. Nous reviendrons sur cette question lors du débat.
D'autres questions ont été posées, telles que la garantie de régularité des sessions, la participation des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger à titre consultatif au conseil consulaire de manière à s'enrichir des débats et à les enrichir de leurs expériences.
Nous avons évoqué beaucoup de questions qui reviendront au cours du débat. Je pense à la participation des membres des conseils consulaires aux conseils d'établissement des écoles, à la réforme des commissions administratives pour les listes électorales. Un certain nombre de questions, qui n'avaient pas été abordées jusqu'à présent, même à l'Assemblée des Français de l'étranger, nous semblent devoir être examinées dès lors que la représentation des Français de l'étranger est totalement modifiée.
Une question importante, même si elle n'a fait l'objet d'aucun amendement, concerne la manière d'orienter la politique de la caisse des Français de l'étranger et en particulier l'élection de son conseil d'administration qui est aujourd'hui élu par les membres de l'Assemblée des Français de l'étranger. Si, à l'issue de ce débat, le nombre de conseillers de l'AFE est élevé à 102 membres, une réflexion importante sur cette question devra être menée, comme sur les compétences et le fonctionnement de la Caisse des Français de l'étranger, sa capacité à être réellement universelle et à pouvoir remplir sa mission à l'égard de nos compatriotes les plus défavorisés dans les pays les plus reculés.
En conclusion, trouver le chemin d'une représentation proche des Français de l'étranger dans leur diversité est essentiel si l'on veut continuer à faire vivre les expériences des Français de l'étranger au travers d'institutions qui permettent de témoigner de leurs expériences, de leurs compétences, de leurs remarques à Paris.
Dans un contexte où les migrations, vous l'avez signalé, madame la ministre, sont de plus en plus importantes, il est essentiel, pour les Français de l'étranger et pour la France, de construire un système, des institutions qui permettent de tirer le meilleur profit possible des migrations des Français qui vivent à l'étranger. Il s'agit, en favorisant une bonne cohésion, d'assurer le meilleur lien possible entre eux-mêmes et la collectivité nationale. C'est l'enjeu de ce débat.