Je dirige une compagnie de théâtre et suis metteure en scène. Mon rapport à la question de la place des femmes dans le spectacle vivant est clairement lié au déclencheur que vous avez évoqué, Madame la Présidente : les deux rapports de Reine Prat de 2006 et 2009. Ils ont eu une importance cruciale : désormais, la situation est devenue visible. Auparavant, la réalité très défavorable aux femmes n'existait pas car elle n'avait pas été décrite par des mots.
Pour ma part, je n'ai jamais été victime de machisme ; je fais cependant partie des statistiques dénoncées par Reine Prat. Je dois donc me projeter dans ces données. En tant qu'artiste et femme, j'ai statistiquement moins de chances qu'un homme d'avoir accès aux moyens de production auxquels ils peuvent prétendre et de diriger telle structure importante. Que faire ? Plutôt que compter sur mon talent pour « passer entre les gouttes », j'ai choisi de considérer que la sociologie disait la vérité. Les déterminismes sociaux sont tellement forts que pour faire évoluer la situation, il faut le faire collectivement et politiquement. J'ai donc adhéré à l'association Collectif H/F, qui mène un combat collectif et démocratique, et surtout pas corporatiste ni communautariste : les femmes ne sont pas une communauté ! Il s'agit de combattre une inégalité, en l'occurrence une injustice. On est passé en quelques années à une époque nouvelle, où les changements se font par des actes. La situation est devenue lisible, donc honteuse, gênante. Alors une contre-offensive se met en place, comme en témoigne un article d'Olivier Bellamy paru dans le « Huffington Post », pour qui les mesures de la ministre de la culture, comme les « short-lists » paritaires, participent d'une nouvelle « doxa » politiquement correcte : en période de crise et de manque de moyens budgétaires, on chercherait des palliatifs en évoquant cette misérable question de l'égalité homme-femme... Je crois que c'est précisément parce que les choses commencent à évoluer que se fait jour cette contre-offensive. Le seul moyen de ne pas tomber dans ce piège est de s'en remettre aux chiffres : l'inégalité est scandaleuse ! Invoquer le politiquement correct est inacceptable.
Une fois ce diagnostic posé, deux actions sont possibles s'agissant des contenus des représentations :
- soutenir de toutes les manières possibles la programmation de textes contemporains, écrits par des hommes ou des femmes. Je ne crois pas en effet qu'on puisse faire dire ce qu'on veut à un texte qui a été écrit à une autre époque et dans un contexte social différent. Laissez-moi citer l'exemple de l'auteure Leslie Kaplan, qui a travaillé avec la « compagnie des Lucioles » pour un spectacle intitulé « Duetto » : elle a écrit un texte mettant en scène deux femmes, mais ces femmes ne sont pas déterminées par leur lien systématique avec un homme, contrairement au théâtre classique, dans lequel les personnages féminins sont épouses, filles, mères ou servantes... leur rapport au monde est toujours médiatisé par leur lien avec un homme. Il ne s'agit pas de promouvoir une écriture féminine, mais de représenter des femmes dans leur rapport avec le travail, la politique, l'agriculture, la métaphysique ;
- sensibiliser (à l'instar du projet du ministère de l'Education nationale relatif aux écoles primaires expérimentales) tous les élèves des conservatoires à une critique littéraire qui leur permettrait d'analyser les textes sous cet angle ; ainsi qu'à la théorie du genre ; enfin, leur donner des éléments de sociologie de leur futur milieu professionnel : les garçons et les filles doivent connaître les données sociologiques du milieu artistique dans lequel ils se projettent.