Avec la notion de « vivier », il me semble que nous abordons là la vraie question. Le talent n'est pas genré. Nous voyons aujourd'hui émerger des femmes de talent. Nous sommes donc dans un processus qui avance, même si l'on peut estimer qu'il avance trop lentement. Le combat s'est donc déplacé. Il s'agit moins, aujourd'hui, de faire reconnaître le talent des femmes que de leur permettre l'accès, notamment aux grands plateaux de théâtre, ce qui suppose qu'elles aient aussi les moyens de produire des spectacles de cette ampleur.
En effet, une nouvelle génération de metteures en scène arrive, qu'il faut accompagner. Mais elles arrivent dans un contexte budgétaire dégradé. Les budgets de production des spectacles sont, aujourd'hui, de plus en plus difficiles à bâtir. Nous le constatons même au Festival d'Avignon. Or, force est de constater que les femmes ont certainement encore plus de difficultés que les hommes à boucler leur budget. Derrière cette réalité objective, on trouve des ressorts souvent complexes et qu'il n'est pas simple d'analyser.
Par ailleurs, alors qu'à l'heure actuelle une réflexion est lancée qui devrait déboucher sur une véritable révolution dans le paysage des institutions théâtrales, dont on sous-estime souvent le caractère conservateur, il me semble - et ceci est un point de vue tout à fait personnel - qu'on oublie de porter la réflexion sur les institutions elles-mêmes.
Si on veut laisser de la place pour les femmes à la direction des institutions, il faut revoir les projets et élargir les cahiers des charges. Or, nous sommes aujourd'hui face à cette situation paradoxale : les institutions se voient imposer des cahiers des charges de plus en plus précis qui définissent mieux les missions des établissements, ce qui a certes des avantages, mais en contrepartie, cela réduit la diversité des projets et des gens qui sont capables de les mener.
Regardez les directeurs de théâtres et de centres dramatiques nationaux : vous verrez une homogénéité en termes d'âge, de sexe et, surtout, d'esthétiques défendues.
Cependant, ne brûlons pas les étapes. Avant de réfléchir aux places que les femmes peuvent occuper, il me semble essentiel de développer le vivier des talents.
Or, le fait qu'on donne, en France, si peu de place aux aventures collectives, qu'elles soient d'auteur-e-s, de metteur-e-s en scène ou de direction, est un premier facteur de blocage.
Je suis bien placée pour le savoir, ayant eu toutes les difficultés à imposer au ministère de la Culture la co-direction du Festival d'Avignon, que j'assume depuis bientôt dix ans avec Vincent Baudriller. Mais ceci impose d'adapter les projets, de laisser des portes ouvertes et de ne pas figer toutes les situations.
Apparemment, sur ce point, les choses évoluent puisqu'une co-candidature artistique a été retenue dans la « short-list » du Théâtre du Nord, qui peut être une aventure passionnante.
Par ailleurs, une véritable réflexion doit être menée sur les moyens d'accompagner ces femmes dans la réalisation de leurs projets. Sur ce point, rien ne se fera sans action volontariste. Comment privilégier les femmes dans l'attribution des subventions, dans le choix des centres dramatiques nationaux d'associer un artiste dont ils soutiennent la production ? Peut-être même pourrait-on leur dédier des lieux qui seraient des « incubateurs » de création ?
Quelle que soit la voie choisie, il faut trouver les moyens de rendre ce vivier foisonnant et fort, sans quoi les femmes continueront à avoir du talent sans avoir les moyens de l'exprimer.
A cet égard, la contrainte de l'établissement de « short-lists » paritaires est un accélérateur de changement. Mais si elle ne s'accompagne pas d'une véritable réflexion sur les projets des institutions, elle restera un palliatif à l'insuffisante préparation des artistes femmes à laquelle on aurait dû remédier depuis longtemps.
N'oublions pas qu'il faut des années pour construire un langage artistique, puisqu'un artiste peut, budgétairement notamment, envisager une création par an ou tous les deux ans.