Intervention de Caroline Sonrier

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 25 avril 2013 : 1ère réunion
Femmes dans le secteur de la culture — Table ronde

Caroline Sonrier, directrice de l'Opéra de Lille :

Je souhaite d'abord revenir à votre question : « Comment en êtes-vous arrivée là ? ». Si, moi-même, je ne peux témoigner de difficultés spécifiques dues au fait que je suis une femme, en revanche, je rencontre ces problématiques quotidiennement dans la gestion et le recrutement de mon équipe.

Il se trouve qu'en arrivant à l'Opéra de Lille, en 2001, j'ai eu pour mission la constitution d'une nouvelle équipe.

Le souci de la mixité a toujours été au coeur de mes préoccupations, y compris dans la constitution des équipes techniques, car j'estime qu'une femme artiste se trouve dans un meilleur environnement si les personnes qui l'accompagnent sur le plateau ne sont pas toutes des hommes.

La question de la conciliation de la vie personnelle et professionnelle se pose aussi d'une façon particulière pour une femme : je sais que je ne serais pas arrivée à ce niveau de responsabilités si j'avais eu des enfants. J'ai dû consacrer tout mon temps à mon métier, en particulier dans la période de 30 à 45 ans, ce qui n'a pas pour moi constitué un sacrifice car j'avais vraiment envie de m'engager totalement. Pour moi, comme pour toutes les personnes qui ont, autour de moi le même niveau de responsabilité, il est clair que nous ne serions pas arrivées là si nous n'avions passé l'essentiel de nos soirées et de nos week-end dans des spectacles.

J'ai été de nouveau confrontée à cette question récemment puisque plusieurs femmes de mon équipe assumant des responsabilités de cadres à l'Opéra ont eu des enfants. Je vois bien les difficultés qu'elles ont à quitter leur travail pour prendre un congé de maternité ou un congé parental. Ce sont des débats personnels terribles pour elles. Comment élever un enfant sans perdre le lien avec leurs responsabilités et la complexité des problématiques qu'elles ont à gérer à l'Opéra ?

Nous avons donc mis en place un système de communication par Internet qui leur a permis de rester en lien constant avec l'Opéra et de pouvoir gérer les choses à distance. Ceci implique aussi que la personne qui remplace coopère avec la salariée en congé de maternité, ce qui ne va pas non plus sans poser de problèmes, notamment humains.

Cette organisation a été pour moi une prise de conscience des difficultés que rencontrent ces femmes déchirées entre leurs responsabilités de mère et leurs responsabilités professionnelles.

A cet égard, je n'arrive pas à recruter une femme dans le trio de direction que nous formons avec le directeur administratif et financier, le directeur technique et de production et le secrétaire général. Les contraintes familiales des candidates à ces postes ont toujours été incompatibles avec l'engagement requis.

A cet égard, je vois bien les difficultés que rencontre Emmanuelle Haïm, cheffe d'orchestre de la « maison » et mère d'une petite fille qu'elle élève seule : accompagner une production lyrique nécessite d'être pendant deux mois en dehors de chez elle. C'est un déchirement permanent que de devoir élever souvent sa fille « à distance » ou par « nounou » interposée.

Les chanteuses d'opéra, qui travaillent sur un marché international sont amenées à mener des vies incroyables et à se déplacer souvent avec « nounous » et petits enfants ! C'est un point auquel il faut aussi réfléchir dans les institutions culturelles.

La proposition de mettre en avant des « duos » aux postes de direction a retenu toute mon attention. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans les maisons d'Opéra à l'étranger : on a un intendant et un directeur artistique, ce qui permet d'avoir une équipe mixte homme/femme.

L'exemple de Natalie Dessay est emblématique : je ne sais la part qu'a prise le fait d'avoir un enfant dans son choix d'intégrer une « troupe » permanente en Allemagne à un moment de sa carrière.

Les mêmes considérations ont conduit Sophie Karthaüser à travailler aussi régulièrement que possible avec le théâtre de La Monnaie à Bruxelles, dans sa ville.

En France, faute de troupe artistique permanente, certaines artistes tentent de s'associer avec des structures permanentes, comme l'Opéra que je dirige, et sont même prêtes à accepter de « petits » rôles pour rester près de chez elles et de leur famille. A chaque fois, elles font donc un arbitrage difficile.

En revanche, le peu de place faite aux femmes « compositrices » ne peut s'expliquer par des contraintes de mobilité : souvent cantonnées à un répertoire « pédagogique », les compositrices subissent plutôt les obstacles que nous avons décrits précédemment.

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